Miettes de réflexion sur une polémique d'aujourd'hui
Au nom des principes – sur lesquels on ne s'interroge plus (égalité, droit du sol, refus de double peine etc.) – on refuse la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux. On ne parlera pas des terroristes français nés français, qui ne peuvent être légalement déchus en vertu de l'article 15 de la Déclaration universelle de droits de l'homme de 1948 : « 1. Tout individu a droit à une nationalité. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité » (encore qu'on puisse argumenter sur le arbitrairement).
À l'égard des binationaux, on comprend ces principes ; ils ont leur valeur. Mais peut-être faut-il réfléchir aussi sur ce qu'est l'appartenance à une Nation. Ce ne saurait se limiter à émarger à la Sécurité sociale ou aux Caisses de retraite ; cela suppose un minimum d'amour du pays dans lequel on a choisi de vivre et le respect de ses concitoyens autochtones.
On cite toujours la phrase fondatrice de Renan, dans sa conférence à la Sorbonne en 1882, mais semble-t-il sans plus y croire vraiment : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». Sans doute peut-on mettre à jour tel détail de cette définition ; elle comporte pourtant un mot magique répété à gogo par nos hommes politiques sans en mesurer les implications : « le désir de vivre ensemble ».
La notion de bi-nationalité mériterait d'être éclairée par ce qu'on y met et par ses limites concrètes. Imaginons le drame d'une personne appartenant à deux pays qui se feraient la guerre. Quelle sortie choisir ? Pendant la Seconde guerre mondiale, en réponse à ce dilemme, on a mis des étrangers ou natifs étrangers dans des camps. Sans nous focaliser sur la seule France, pensons au sort des Japonais aux USA après Pearl Harbour. Or, comme on le rappelle régulièrement, « on est en guerre ». Un Français qui tue des Français en cas de guerre, ça s'appelle un traître et la loi martiale le condamne à mort. Alors la déchéance de nationalité semble une peine bien indulgente.
Et puis, que faire de ces personnes convaincues de trahison ? Les enfermer ? Mais où ? Comment ? Jusqu'à quand ? Avec quels crédits ? Ces questions, de simple bon sens, peu de personnes les posent ; peut-être parce que, malheureusement, elles consonnent avec des sommations du F.N. (mais si celui-ci affirme qu'un ciel sans nuage est bleu, refusera-t-on de l'admettre ?).
Sur la sécurité, qui devient le problème principal de beaucoup d'habitants ou de touristes étrangers, souvenons-nous de quelques autres principes, hautement républicains, puisqu'ils sont inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 par les inventeurs de la République française une et indivisible. Son préambule rappelle aux membres du corps social que, s'ils ont des droits, ils ont aussi des devoirs :
- Art. 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.
- Art. 4 - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
- Art. 10 - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.
Alors, restons vigilants pour éviter d'une part la confusion entre concitoyens musulmans et terroristes, d'autre part les risques d'un régime tyrannique qui interpréterait les lois d'exception de façon restrictive contre les libertés de chacun, et les rendrait oppressives.
Dans tous les cas, restons réalistes en fonction de la situation géopolitique mondiale, hic et nunc. Profitons d'être protégés par des principes humanistes (liberté, égalité, fraternité et pour ce faire : laïcité…) mais n'en soyons pas victimes quand certains cherchent à en profiter pour mettre en cause et combattre ce même humanisme.
Jean-Baptiste Désert