L’Épiphanie ou l’invitation au voyage
Un jour, quelques originaux vinrent trouver un roi à Jérusalem pour lui faire part d'une nouvelle qui, pensaient-ils, devrait le réjouir. De leurs observations et de leurs réflexions, ils avaient conclu qu'une naissance capitale venait d'avoir lieu dans le pays de ce roi. Ils avaient entrepris un long voyage depuis leur Orient natal pour accueillir cette naissance. Leur guide était une étoile.
Ces fameux rois mages que met en scène le récit de l’Épiphanie étaient très ingénus. Ils pensaient que leur découverte allait soulever l'enthousiasme des responsables de ce pays. Mais voilà qu'au contraire, le « tout Jérusalem » et sa nomenklatura « sont pris d'inquiétude »1. Une naissance ? Quel risque ! À quoi bon avoir rampé des années pour obtenir tel poste et plaire aux Romains ? Si du nouveau advient, il risque de remettre en cause l'équilibre des pouvoirs péniblement atteint et les plans de carrière du tout Jérusalem ? L’élémentaire principe de précaution exige de neutraliser ce surgissement d’un événement inattendu. Dès lors, le roi Hérode prit les dispositions les plus violentes pour éliminer ce risque.
Chacun, à notre façon, nous cherchons cette « étoile » qui donnerait sens à nos existences. Nous sommes attirés par ceux qui montrent des astres capables de nous ouvrir de nouvelles routes, au risque parfois de nous intéresser plus à celui qui fait signe qu'au signe lui-même. « Lorsque le sage montre la lune avec son doigt, l'imbécile regarde le doigt ». Ce proverbe chinois devrait être médité chaque fois que nous avons la tentation de confondre une cause avec celui qui s'en fait le héraut. La vie sociale, religieuse, politique semble trop souvent se réduire à des jeux d'amour ou de haine vis-à-vis de personnages identifiés à un engagement, une valeur, une foi, une action humanitaire. Tout cela se termine généralement par des complaintes de « déçus ». Au plan politique, le bal des egos dont se régalent les médias nous transforment en spectateurs de moins en moins impliqués et de plus en plus désabusés de la vie collective.
Pour éviter ces perpétuelles désillusions, peut-être faudrait-il renoncer à ces comportements « imbéciles » qui nous font identifier les « étoiles » à ceux qui, à un moment donné, nous les ont désignées. S'ils ont été au service de cette « étoile », alors ils auront été des passeurs. S’ils s'en sont servis pour illuminer leur propre narcissisme, ils ne sont plus que de dérisoires « stars », suscitant séduction ou rejet et non l’invitation à un cheminement.
Remettons-nous du désenchantement causé parfois par ceux que nous avons admirés ou vénérés. N'ayons pas peur de regarder nous-mêmes les « étoiles ». La vieille histoire des rois mages nous montre qu'elles existent pour nous mettre en route en éveillant une lumière et une force intérieures. Ces étoiles risquent de nous mener, comme les mages, à la confrontation avec les pouvoirs et les pensées établis. Mais c’est à ce prix que nous pourrons accueillir l’Emmanuel, ce « Dieu avec nous » qui nous libère des idoles.
Bernard Ginisty
1 – Évangile de Matthieu 2,1-19