« Recréer le plein emploi, une utopie réaliste »

Publié le par Garrigues et Sentiers

Tout semble avoir été dit, écrit, expérimenté en matière d’emploi. A problématique majeure, productions prolifiques. Cependant, il semble pertinent de prêter attention à un petit livre récent : Recréer le plein emploi, une utopie réaliste 1, publié à l’initiative du Pacte Civique 2 : il s’efforce de réconcilier analyse et action, réflexion macro et initiatives locales, experts du temps présent et inventeurs de l’avenir. Et cela dans une démarche en trois temps : comprendre, agir, innover. Interviennent des responsables engagés dans la lutte contre le chômage avec des points de vue différents, critiques et constructifs. Cette présentation a voulu garder l’aspect pratique de « document de travail ».

Comprendre

Comment en est-on arrivé là ? La France est l’une des lanternes rouges de l’Europe en matière d’emploi. Pourquoi d’autres pays font-ils mieux qu’elle ? Fin 2014, le chômage était de 5% en Allemagne, de 10,5% en France, de 5,9% Royaume-Uni, de 8% Suède , de 6,1% aux États-Unis !

- Le chômage, un mal français ? « Deux voies sont possibles : la voie libérale, anglo-saxonne : l’emploi devient une marchandise, soumise aux lois d’un marché du travail dérégulé : aux États-Unis, le salaire minimum a été bloqué pendant 15 ans et il est momentanément supprimé en Angleterre. Bien qu’insuffisante, cette voie montre qu’on ne peut pas faire abstraction des lois du marché ; la voie recherchée par l’Europe du Nord et rhénane : elle accepte les lois du marché, sans s’y soumettre et sans sacrifier les dimensions humaines et relationnelles du travail. Grâce à un dialogue social fort, les partenaires sociaux décident de stopper temporairement l’augmentation des salaires ; ce que nous n’avons pas su faire en France où règne un collectif rigide réglementaire, faussement sécurisant qui n’est ni dialogué ni adaptable ; le chômage français n’a rien de fatal ; le Pacte Civique propose un Grenelle de l’emploi » (JB de Foucauld).

- L’emploi, un sujet mal traité : « Il y a chez nous une très forte dualité entre la protection accordée aux emplois permanents et le manque de protection pour les autres types de contrats, les CDD par exemple. On cherche des solutions instrumentales, « la mesure qui réglerait le problème » alors que c’est une question systémique qui supposerait une répartition raisonnable des rôles entre l’État et le marché ainsi qu’un compromis négocié entre le capital et le travail…

Il y a deux combats à mener : d’abord préserver nos emplois industriels en maintenant notre compétitivité face à des entreprises étrangères plus attractives du fait de charges salariales plus faibles. L’autre combat plus constructif est celui de notre adaptation pour accueillir et organiser les nouvelles sources d’emploi que le changement de modèle économique fait émerger. Nous sommes en train de passer d’une économie de la propriété à une économie d’usage et de fonctionnalité...

Le changement d’époque que nous vivons peut se résumer en trois mots : concentration, financiarisation, mondialisation. Cela se révélera décevant sur le plan de l’emploi car on a privilégié la quantité de la production au détriment de la qualité ». (Richard Thiriet)

- Un dialogue social impossible ? Faiblesse de la culture du dialogue social en France ; l’idée dominante est qu’on ne peut faire avancer le droit des salariés que par les conflits. Résultat : « les syndicats ont moins de prise sur les décisions stratégiques des entreprises et ne pèsent principalement que sur les conséquences de cette décision ; les tâches sont tacitement réparties : aux dirigeants d’entreprise l’économique et aux représentants du personnel le social » Depuis 2008,cette situation change avec la réforme de la représentativité (Véronique Descacq).

« Du fait de l’absence de reconnaissance mutuelle des intérêts communs entre le public et le privé et entre syndicats et patronat, le modèle social ne pourra tenir longtemps face au manque de croissance, au vieillissement de la population et à la hausse du chômage. On le grignote petit à petit sans engager des réformes structurelles ». (J.P.Martin)

« L’approche du pacte de responsabilité est bonne. Mais les acteurs vont-ils jouer le jeu ? Il ne peut y avoir de politique uniforme : quand il y a du profit, il faut augmenter les salaires. Ce n’est pas possible quand il n’y en a pas et que le chômage est élevé… Je suis pour un salaire minimum indexé sur les prix mais contre les coups de pouce au SMIC. Ce qui va au-delà doit se négocier dans les branches et les entreprises » (J.B de Foucauld)

« Le dialogue social France est contraint par des lois (seuil d’effectif, représentativité syndicale) qui n’ont plus lieu d’être. Ces lois deviennent des contraintes qui peuvent bloquer parfois les processus de recrutement. Il y a en France 2,5 fois plus d’entreprises de 48 salariés que d’entreprises de 50… Le dialogue social doit rester une prérogative de l’entreprise. Car aujourd’hui dans une PME, c’est là que ce dialogue se noue naturellement entre les chefs d’entreprise et les salariés » (Richard Thiriet).

- Des politiques publiques de l’emploi incohérentes ou inefficaces ? « Deux options dans l’accompagnement des chômeurs : proposer de fortes indemnisations et accompagner au plus près les chercheurs d’emploi ou l’inverse (faible indemnisation, faible accompagnement et marché du travail peu réglementé). En France, les indemnisations proposées sont fortes, au moins pour un demandeur d’emploi sur deux, mais on les accompagne peu. Plus on s’enfonce dans le chômage, moins on est accompagné, ce qui est contradictoire... Trouver une formation quand on est chômeur est un véritable parcours du combattant ! » (JB de Foucauld).

- Pour favoriser le retour à l’emploi pour les personnes précarisées qui en sont éloignées, on pourrait exonérer de charges pendantun an, les entrepreneurs qui embauchent leur premier salarié et créer ainsi une dynamique de l’emploi. (R.Thiriet)

- L’emploi un problème démocratique ? Il y a du côté syndical une tendance à la fuite devant le réel et du coté du monde de la finance et de l’argent, une fuite devant les responsabilités sociales. Le monde de la finance a absorbé une partie de la vie des entreprises, ceci au détriment de l’emploi ; idéologie versus flexibilité. On ne sort pas de cette opposition. Il faudrait un Aimé Jacquet de l’emploi, un chef d’orchestre qui ne travaille pas pour son égo…. Le plein-emploi n’exclut pas le marché mais exclut le chacun pour soi « (J.B de Foucauld)

Ce que vous devez retenir (C.Barbaroux)

- « A partir des années 1970, le marché du travail s'est durablement déréglé : ce dérèglement qui en annonçait d'autres dans le système socio-productif n'a, en France, jamais fait l'objet d'un diagnostic partagé et les politiques n'ont mis en œuvre que des remèdes désordonnés entre fatalisme et visées électorales.
C'est ainsi qu'à la différence d'autres pays européens, la France a toujours connu un chômage structurellement haut, et spécialement pour les jeunes, les seniors et le chômage de longue durée.
Un sentiment d'incohérence, d'inconstance et d'atomisation des mesures domine là où il faudrait du systémique, de la persévérance, du collectif et du solidaire. Faute d’avoir choisi un modèle de référence néolibéral ou keynésien et d’avoir créé un consensus provisoire entre majorité et opposition, on zigzague entre des mesures souvent contradictoires : indemnisation élevée du chômage et faible incitation à la reprise d’emploi par insuffisance d’accompagnement, allégement des charges sans capacité de négocier des contreparties dans la durée ».
Mais la solution n'est pas pour autant, comme d'autres pays voisins de la France l'ont fait, dans de "petits boulots mal payés " et des temps partiels imposés . Elle nécessite d’accepter des comparaisons entre nos pratiques et celle des autres pays, et de donner des responsabilités aux acteurs syndicaux, expérimenter dans la durée en faisant confiance aux initiatives locales ; tout faire pour lutter contre le chômage« si l’emploi ne règle pas tout, le chômage dérègle tout »

= Agir

De nombreuses associations agissent au niveau microéconomique pour accompagner individuellement des chercheurs d'emploi et cela avec une réussite certaine à la différence des grandes institutions qui traitent globalement de grandes masses d'individus sans véritable approche personnalisée.

Par exemple :

- Le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP : www.mncp.fr) agit pour l’amélioration des conditions de vie des chômeurs et précaires en termes de revenus mais aussi de logement et de santé qui se dégradent de plus en plus avec comme objectif la réduction des inégalités en prenant conscience du changement de fond qui se produit dans le domaine de l’emploi.

- La Fédération des Clubs régionaux d’entreprises partenaires de l’insertion (Crepi :www.crepi.org) s’efforce de mettre en relation des demandeurs d’emploi de tout niveau de qualification avec des entreprises par le biais de diverses actions et spécialement pour réduire le fossé qui sépare les insiders er les outsiders.

- Le Coorace (ww.coorace.org) Fédération nationale de l’économie sociale et solidaire promeut l’intérêt des entreprises adhérentes en tant qu’acteurs d’un autre modèle de développement économique.

« L'accompagnement de l'association SNC depuis janvier m'a permis dans un premier temps de me recentrer sur mes premiers objectifs professionnels et sur mes compétences.

En dialoguant avec mes accompagnateurs, j'ai amélioré la présentation de mon cv et travaillé sur la confiance en moi en entretien.
Humainement, l'échange avec mes accompagnateurs m'a toujours semblé bienveillant et encourageant et surtout mes accompagnateurs ont su « dédramatiser » cette période de chômage.
Ces rendez-vous permettent de redonner une organisation de vie et de se sentir accompagné sans être materné jusqu'au mois suivant. » ( témoignage d’une accompagnée qui a retrouvé un emploi).
Il faut donc encourager toutes ces actions individualisées qui permettent la prise en compte de situations humaines difficiles et bouleversantes bien au delà des statistiques macro- économiques.
Pour les faire monter en puissance et en efficacité, il faut relier toutes ces initiatives entre elles. Il faut aussi les rapprocher des partenaires sociaux, les articuler avec des politiques de l'emploi plus décentralisées.

Mais il convient aussi de donner plus largement la parole aux chercheurs d'emplois...

Le système redistributif français corrige fortement les inégalités de revenu mais révèle aussi une société très inégalitaire (de plus en plus d'ailleurs).
Il s'agit d'une correction ex post des inégalités alors qu'il faudrait une réduction ex ante. Et cela nécessite de multiples transformations profondes de notre société (système éducatif, formation professionnelle...) avec  un changement des représentations du fonctionnement de notre société et de l'action publique.
Les politiques ne font pas ce choix, les grands média n'y contribuent d'ailleurs pas non plus.

= Innover !

Le livre fourmille d’expériences et de réalisations actuelles auxquelles nous renvoyons le lecteur nous en extrayons quelques conclusions :

Innover, c'est oser remettre en question l'ordre établi, ouvrir de nouveaux possibles dans un monde complexe et en évolution brutale pour sortir de la crise "par le haut".
La fin d'une économie de production en masse de biens appelle la rénovation d'une société par tissage de liens.
« Testons, apprenons, partageons, améliorons
Demain nous serons tous entrepreneurs
Demain nous serons seuls et plusieurs à la foi
Demain nous travaillerons moins et mieux
Demain nous renforcerons les devoirs de la collectivité vis-à-vis des personnes au chômage.
Le futur s’invente aujourd’hui ».

Conclusions

Réinventer le plein emploi c'est accepter de changer de regard, de méthode et d'échelle...

changer de regard : reconnaître que chercher un emploi est plus difficile que travailler.
C'est accepter le fait que le modèle social français, miné par le chômage n'en est plus un.
changer de méthode : pas de recettes miracles mais des actions pluridimensionnelles, cohérentes et durables.
Sortir de l'urgence, se donner le temps pour établir un diagnostic commun à partir de l'éthique de la discussion.
C'est cesser de faire reposer sur la seule action publique le problème de l'emploi et mobiliser la société pour des compromis positifs et féconds.
changer d'échelle : Non seulement rendre visible toutes les initiatives mais aussi...
. en organisant la co-construction avec les chercheurs d'emploi des politiques qui les concernent en premier.
. en accroissant les capacités d'action des partenaires sociaux
. en élargissant la notion d'initiative, en pensant le travail autrement.
. en reprenant le débat sur le temps de travail, le partage des revenus et des richesses…

J.M Parodi
A. Duprez

1 – Recréer le plein emploi, une utopie réaliste d’Anne Dhoquois, ateliers Henri Dougier, 2015, 96 p., 9,90 € ; pour ce prix, une mine d’or, un grand cru à ne pas manquer !
2 – Le Pacte Civique, c’est un appel à des personnes et des organisations qui sont prêtes à se transformer et à transformer la société pour penser, agir, vivre autrement en démocratie. C’est aussi une démarche novatrice de changement fondée sur un engagement dans la durée. Voir http://www.pacte-civique.org.

Publié dans DOSSIER EXCLUS

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