Mon âme est triste à en mourir…

Publié le par Garrigues et Sentiers

... priez et veillez avec moi !

Pour écrire sur cette mise à l’écart, il faut partir de soi, revenir aux moments de sa vie où l’éloignement de nos semblables plombait.

« Mon âme est triste à en mourir ; priez et veillez avec moi » (Matthieu 26,38).

Cette solitude fondamentale, parfois voulue, perçue ou ressentie comme telle, l’exclusion pour chacun d’entre nous est un passage obligé dans nos vies. Et dans l’inventaire de mes failles, faiblesses, handicaps, angoisses, culpabilités, et la conscience de ma finitude inéducable comment savoir que l’autre différent et semblable peut m’accepter comme je suis : « Le courage d’accepter d’être accepté » (Paul Tillich…). La reconnaissance de l’amour de Dieu est un itinéraire ardu.

Alors, être en Croix, pas au pied de la Croix, oh non ! En Croix avec notre Seigneur ! Consentir au « mourir à soi » pour entrer nu dans la compassion et connaître la Résurrection. Se soustraire à la pesanteur de l’être, pour endosser la fraternité, qui laisse entrevoir la beauté de l’incarnation et s’ouvrir à la confiance. Ainsi le socle est constitué pour acquiescer aux frères en exclusion.

Cette exclusion ontologique, je la vis bien réellement en prison, terrain d’humilité pour encore quelques année de ma mission en Église : concentré de vies tronquées qui représente un excellent laboratoire «  de tenir à l’écart » où pour un temps donné, l’Homme est radié de la société ; armée simplement de ma peau, j’avance dans les coursives.

  • Aller vers cet homme que certains d’entre nous, les biens pensant, les mieux lotis, qualifieraient de déchet d’humanité. Par la taille, un grand homme que sa maigreur maladive accentue. Je sais sa pratique intensive de produits illicites. Son champ intellectuel, au fil de sa vie, s’est absenté, son hygiène suspecte, sa mémoire défaillante mais ce qui constitue son humanité est présent ; il me parle de son enfance et de l’amour de sa maman qui l’aime et qui n’a pas su voir que contre de l’argent, son oncle prostituait le petit garçon qu’il était…

Comment cet homme de 45 ans qui a servi de « machine à sous » dès son très jeune âge, peut-il, à l’âge adulte, se considérer comme autre chose qu’un mouchoir en papier que l’on jette ? Le respect de soi, l’amour et la fraternité qu’en connaît-il ce déserteur obligé de l’humanité ?

  • Dans cette autre cellule dont la vitre de la fenêtre est obstruée par une serviette épaisse et sombre, regorgeant de denrées et de musique, un jeune homme, juste 18 ans, souriant et avenant m’avoue lors d’une de nos rencontres : « Vous savez mes copains de la cité, ils sont tous morts ; de morts violentes, overdose ou par balle, je suis le seul survivant ! Je dois ma vie à la prison ! »

Pour lui, l’univers des barres d’immeubles et de ces cages d’escaliers ont eu raison de l’éducation que sa famille a tenté de lui inculquer. Son lieu de vie, alors que ses frères et sœurs pour la plupart se sont intégrés, pour lui est devenu mortifère. Est-il plus faible et plus influençable ? Oui sans doute, mais dans sa jeunesse et avec son beau sourire mélancolique, il est bien mon petit frère en humanité.

  • Et cet homme commun, moyen par la taille et le poids, mais ayant un esprit vif et alerte par nature escroc, il est constitué ainsi ! Maladie, déviance ou autres ? Je veux rester dans l’ignorance, je suis aumônier et mon regard est Celui du plus grand que moi. Il ne peut plus sortir de sa cellule de 9 m2 partager avec un co-cellulaire, pour avoir escroqué d’autres personnes détenues. Ses seules visites sont celles de l’aumônier.

Issu d’un milieu de travailleurs de la terre, rien ne le prédisposait à son mode de vie actuel. Le mystère de cet homme reste entier, il sourit comme absent de lui-même ; en apparence rien ne peut l’atteindre. Mais le regard étonné de ses yeux bleus limpides est bien celui d’un frère.

  • Cet autre homme de plus de 50 ans avec son sourire doux qui, à l’anniversaire de ses 14 ans, doit aller vivre dans la rue, fuyant un père ultra violent. Malgré son jeune âge, l’apprentissage de survie doit être rapide ; c’est une question de vie ou de mort, avec le corollaire d’un autre apprentissage, celui de la drogue... Son lieu de vie pour les trois-quarts de son âge, c’est la prison : une première longue incarcération et un retour en prison après seulement quelques petites années dehors.

La violence, la drogue et les compagnons de cellule ont forgé un mode de fonctionnement redoutable à ce frère d’apparence calme, doux et intelligent, On ne peut que regretter son passé qui dirige son présent.

  • Tous ces hommes ont des misères sexuelles effrayantes et dramatiques. En premier lieu pour leurs victimes, parfois très jeunes ; mais aussi pour eux, victimes générant d’autres victimes.

Les regards posés sur ces hommes sont fuyants ou même on ne les regarde pas. L'ignominie est difficile à croiser ; nous souhaiterions leur disparition ou au moins leur transparence, eux qui sont pourtant présences d’hommes parmi d’autres hommes. Peut-on vivre avec l’état de honte et d’infamie tapi en soi ?

Mes rencontres avec ces hommes détenus différents sont autant d’exemples de misères.

La prison est le constat et l’aboutissement d’échecs humains et sociétaux. Sous des prétextes économiques nous laissons toute une marge de nos frères, hommes, femmes et enfants vivre dans toutes les grandes précarités. Ces diverses pauvretés sont l’exclusion en marche, la prison n’étant que l’aboutissement de cette course pour petits gens.

« Réinsertion » signifie et suppose qu’a un moment l’insertion a eu lieu, il n’en est rien !

La grande précarité est source d’exclusion.

Et quel que soit le bien-fondé de mettre des hommes derrière les murs, l’exclusion est une violence ; il faut avoir le courage et la volonté de proposer des alternatives viables et humaines… Notre vivre ensemble en est l’enjeu : mettre la fraternité au centre de nos préoccupations : « L’être s’accomplit dans la transparence de l’amour » écrit Maurice Zundel. Sans illusion, dans un pays d’utopie, si ensemble nous jugulions toutes ces misères, la prison et son cortège d’exclusion resteraient forcément nécessaire pour un nombre restreint d’hommes. Mais alors, dans le respect des droits de l’homme, le mot réinsertion prendrait enfin tout son sens et sa valeur ».

Comme l’a dit le père Joseph Wresinski :
« La misère n’est pas une fatalité,
elle est l’œuvre des hommes
et seuls les hommes peuvent la vaincre
 »…

Cette phrase est l’actualité du jour !

Martine Rancoule
aumônière de prison

Publié dans DOSSIER EXCLUS

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