Les Cathos et le Front National

Publié le par Garrigues et Sentiers

Après le Nord-Pas-de-Calais, la Provence est la région où le pourcentage du vote en faveur du Front National a été le plus élevé dimanche dernier.
Nous étant donné comme objectif (cf. Qui sommes-nous, colonne droite) de « réfléchir aux réalités de notre région, qui sont pour les chrétiens autant de « signes des temps », nous sommes d’autant plus sensibles à ce vote que – fait nouveau – les catholiques y ont pris une place importante, comme le révèle un sondage IFOP publié dans Le Pèlerin :

- Ils ont plus voté pour les listes Front national que l'ensemble des Français (32 % contre 27,7 %).
- Et, si chez les catholiques pratiquants la proportion est moindre (24 %), elle n’en est pas moins 2,5 fois plus importante que lors des dernières élections départementales (9 %).

Aussi souhaitons-nous ouvrir à ce propos un débat auquel nous vous invitons à participer largement.
Dès à présent, nous versons à ce débat la tribune qui a été publiée par Jérôme Vignon, président des Semaines Sociales de France, à la veille du premier tour des élections régionales, le 3 décembre dernier.

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En tant que Français, en chrétien, face au Front National

Ce qui serre le cœur, face à la montée d’apparence inexorable du Front national, d’échéance en échéance électorale, n’est pas propre aux chrétiens. D’ailleurs, parmi les catholiques pratiquants une part croissante se sent proche désormais de ce parti, comme le montre l’invitation récente à la Sainte-Baume de la jeune députée frontiste Marion Maréchal Le Pen.

Ce qui crée un grave malaise pour beaucoup de Français, qui aujourd’hui se réclament sans doute plus nettement des valeurs de la République, est de l’ordre d’une conscience nationale.

C’est la mémoire historique de toutes ces périodes dramatiques où le peuple français a succombé aux tentations de la violence, où la manipulation des frustrations et des ressentiments a finalement débouché sur la guerre civile. Sans remonter jusqu’aux guerres de religions (quoique…) nous savons que chez nous le « vivre ensemble » est fragile. Ce n’est qu’avec le temps et la durée que la République a pu transformer en conflits politiques les affrontements fondés sur les haines de classe, la détestation des juifs et le mépris des « bougnoules ».

Aussi critique que l’on puisse être de cette politique et des partis qui l’incarnent, il n’empêche qu’ils sont les dépositaires de cette mémoire que nous appelons conscience civique, conscience républicaine, conscience de former une nation.

Or, comme le rappelait encore récemment Jean-Louis Schlegel dans la revue Esprit et comme le constatait encore courageusement La Voix du Nord dans ses éditions du 1er décembre, rien ne permet, au contraire, de penser que les dirigeants du Front national aient rompu avec cette tradition de détestation des autres : ces « autres », qu’il s’agisse des étrangers, ces migrants illégaux assimilables à une « métastase » dans la société, ou ces ayants-droits de l’aide médicale d’État qu’il convient de dénoncer afin « d’éradiquer toute immigration bactérienne ».

Cette détestation ne s’applique d’ailleurs pas qu’aux migrants : elle vise plus généralement tous ces gens d’en-haut contre lesquels il convient de faire « front ».

Au-delà des incohérences repérables dans le programme du Front national qui s’ajuste aux perspectives d’un pouvoir responsable, ce qui inquiète et mérite d’être fermement combattu sur le terrain politique ce sont deux ressorts inhérents aux stratégies du Front national : l’appel au contournement des institutions réduites à la bande des quatre, et l’inclination à la dénonciation des boucs émissaires à défaut de toute analyse des causes de nos difficultés.

Ce sont ces menaces graves pour l’avenir de notre pays, au moment où il aurait plus que jamais besoin de rassembler ses forces, qui amènent le christianisme social et les Semaines sociales de France à travailler sur les causes de l’injustice et à prendre clairement position contre le Front national. Et ce n’est pas pour, au premier chef, une incompatibilité intrinsèque avec la foi religieuse. Qui sommes-nous pour juger de l’authenticité de la foi de la tête de liste FN en région PACA ?

Ces dangers et ces menaces palpables s’inscrivent dans le champ du politique. Elles sont un signe supplémentaire de ce que l’action politique elle-même devra, dans notre pays, être à la fois réhabilitée et rénovée, ainsi que le soulignait une rencontre récente suscitée à Paris par la Conférence des Évêques de France. Ici peut se manifester une façon d’être chrétien, une manière de réagir « en chrétien » selon la distinction toujours utile de Jacques Maritain.

Plutôt que d’incriminer sans cesse, et à tort, la médiocrité générale de la classe politique, nous devrions rester fidèle à l’esprit de ces chrétiens – respectueux des lois mais les habitant autrement – que décrit la fameuse épître à Diognète.

Cela signifie de nous interroger nous-mêmes sur la part de responsabilité que nous pouvons avoir dans le fait que tant de Français ne se sentent pas reconnus ni représentés dans le débat politique tel qu’il se présente aujourd’hui. C’est se situer comme partie prenante d’un ensemble éducatif où effectivement l’ascension est bloquée particulièrement pour ces jeunes issus de l’immigration et cesser d’en rejeter la faute sur la seule « Éducation nationale ».

C’est admettre que les entrepreneurs, les partenaires sociaux en général, les lieux où se forment nos responsables économiques pourraient être plus incisifs pour proposer un marché du travail inclusif et cesser d’invoquer seulement la médiocrité du code du travail.

C’est devenir aussi plus exigeants, plus proactifs dans l’énoncé d’un projet politique pour l’Europe en admettant que les déceptions qu’elle a produites sont de notre fait, pas seulement de celui des technocrates bruxellois.

C’est en définitive s’engager en politique pour qu’elle ne se consacre pas seulement à dénoncer le mal, mais à concevoir et viser le bien.

Jérôme Vignon
Président des Semaines sociales de France
le 3 décembre 2015

 

Publié dans Réflexions en chemin

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F
Oui, c’est bien, comme sur le site de Denis Chautard, je souscris, mais, si on allait un peu plus au fond des choses !!! Lisons aussi Maurice Zundel, grand ami du pape Paul VI qui l’a cité nommément dans son encyclique « popularum progressio ».<br /> « "… La plus grande douleur des pauvres, c'est que personne n'a besoin de leur amitié. On vient chez nous quand on est crevé, on s'assoit sur le coin d'une chaise, on dépose de quoi poursuivre notre misère quelques jours, et puis on s'en va tranquillement à Chamonix ou sur la Côte d'Azur. Mais personne ne croit que nous, les pauvres, nous avons quelque chose à donner. Nous sommes simplement un organisme qui bouffe, - et voilà ! Si on nous donne à manger, à la dernière extrémité, on est quitte. Personne n'imagine que nous aussi, nous éprouvons le besoin de donner. Personne ne croit à notre dignité et c'est cela notre plus grande blessure. "<br /> Et cette femme, qui avait perdu un fils, qui l'avait retrouvé pendu en revenant de la Messe, mais c'était trop tard pour le secourir, qui avait vu un autre de ses fils aller en prison, qui ne pouvait donner que de la mauvaise nourriture à ses enfants parce qu'elle n'avait pas de quoi en payer de meilleure, considérait que la plus grande épreuve de sa vie, c'était ce mépris de la dignité en elle, ce mépris de ceux qui la secouraient et qui ne croyaient pas qu'elle était capable d'une amitié généreuse et gratuite. <br /> Elle réclamait donc ce pouvoir de donner, ce pouvoir de créer, elle aussi, une joie, un bonheur, d'être, elle aussi, pour un autre, un espace où elle pourrait trouver sa joie et sa liberté. <br /> Et c'est la même femme qui me disait : " Comment voulez-vous que je prie et que je pense devant mes marmites vides avec cinq enfants à nourrir ? J'ai beau vouloir prier et penser, c'est impossible, car enfin, je peux remettre à demain ma méditation, mais pas de nourrir mes enfants. " Elle était donc tenaillée aux entrailles par la faim de ses enfants et c'est cette inquiétude, et c'est cette menace physique qui lui interdisaient la liberté de la prière et de la pensée …»<br /> (Maurice Zundel in « Conférence donnée à Londres au Centre Charles Péguy, le 16 février 1964 »-site « mauricezundel.com ».)<br /> Me permettrez-vous d’ajouter qu’Hitler est parvenu au pouvoir pour la même raison !!! Ôtons la poutre qui nous aveugle et prions pour la réussite du pape François.
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T
( Commentaire déjà paru sur le site des SSF, origine de la déclaration de Jérôme Vignon, dont j'ai fait un simple copier/coller)<br /> <br /> <br /> TOULEMONDE<br /> 4 décembre 2015 at 18 h 44 min · Répondre<br /> Merci à Jérôme pour cette prise de parole vigoureuse de citoyen, exprimée « en tant que chrétien » (comme aurait dit aussi P. Ricoeur). Il me semble néanmoins que, en toute bonne foi, on pourrait en ajouter et oser juger, discerner qq. fruit de l’Esprit (ou non), quant au : » Et ce n’est pas pour, au premier chef, une incompatibilité intrinsèque avec la foi religieuse. Qui sommes-nous pour juger de l’authenticité de la foi de la tête de liste FN en région PACA ? » du texte.<br /> En effet: « On juge un arbre à ses fruits »: (Mt 12, 33; Lc 3, 9 ; …). A l’évidence, le fruit de l’arbre de famille FN est: retors, haineux, pervers qui mine le vivre ensemble, la communauté du bien. On peut donc, très raisonnablement douter et dénier à Marion MLP une quelconque capacité à affirmer, s’auto proclamer, défenseure des valeurs chrétienne et condamner ouvertement cette prétention. On eut aimé de surcroît une parole ecclésiale qui localement s’exprime en PACA où la jeune et séductrice Mme MMLP surfe allègrement sur sur une clientèle électorale catho (sociologique) décomplexée; cf. sa récente prise de position, ovationnée, devant un parterre local de la Manif pour tous, sans même revenir sur son invitation cet été à la Ste Baume par le P. Rey.<br /> Hélas, si d’autres évêques se sont exprimés dans le Nord, l’Est, ici en Paca: rien pour l’heure. Notre évêque étant, de surcroît, Pdt de la CEF.<br /> Or, « Si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40)
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L
Beaucoup, vraiment beaucoup de gratitude pour la citation, superbe et tellement appropriée à la situation : « Si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40)". D LEVY
J
Je suis hostile au FN sans réserve ni ambiguïté, non seulement comme chrétien (tel Jérome Vignon), mais comme citoyen et plus encore comme historien. Il n'est jamais rien sorti de bon d'un nationalisme exacerbé. Et je suis assez vieux pour me souvenir qu'Hitler est arrivé au pouvoir — par les urnes — l'année où je suis né (sans qu'il y ait de lien, bien sûr !). Ce que j'écris ici n'est donc ni une justification de ce parti, ni encore moins un plaidoyer, mais un timide essai de réflexion sur une situation grave pour le présent et surtout pour l'avenir.<br /> L'analyse de Jérome Vignon comporte beaucoup de remarques justes, mais aussi quelques approximations. Par exemple sur une prétendue proximité des catholiques avec le FN. Excepté pour le vote de dimanche dernier, les statistiques récentes ont montré que les catholiques pratiquants se situent au-dessous de la moyenne nationale quant à une addiction au FN. L'invitation de Marion M.-L. par un évêque, connu comme politiquement conservateur, ne préjuge pas de la position de la centaine de ses collègues. En outre, il faudrait s'interroger sur les raisons d'une désaffection d'un certain nombre de catholiques, qui ont, peut-être l'impression d'être mal-traités par le pouvoir socialiste et une gauche dont la laïcité — qui avait été, au début du XXe siècle, un instrument de pacification du pays — semble devenue une arme anti-religieuse. Notons aussi que, dans les nouveaux électeurs du Front, il y a sans doute plus d'anciens communistes (cf. les milieux ouvriers lorrains) que de cathos.<br /> Le "vivre ensemble" est fragile dans la plupart des états. Et qu'est que signifie ce terme employé jusqu'à l'usure, quand une partie de la population d'un pays vit dans son quant-à-soi ? Une simple juxtaposition de peuples et d'ethnies, plus ou moins inconciliées, ne suffit pas (Cf certains pays d'Afrique noire). Ceux qui veulent vraiment vivre ensemble constituent une "Nation". Renan, plus cité que lu, la définissait ainsi dans une conférence à la Sorbonne en 1882 : “Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». <br /> Nation, c'est un mot que j'aime bien quand on parle des "valeurs républicaines" et qu'on a peut-être trop négligé. Il a été l'âme de la Révolution française (au point qu'elle voulait, un peu agressivement, l'étendre à l'Europe entière). Sommes-nous sûrs que seul le FN met aujourd'hui en danger cette nation qu'il a grimée en "nationalisme". Malheureusement, pendant des décennies, on nous a répété que nation avait des relents de nationalisme, donc était un concept ringard et dangereux , ou pire était forcément "fasciste" sur les bords. De là, une impossible "levée en masse" unanime quand les difficultés éclatent, qui nécessiteraient plus qu'un "vivre ensemble", de l' "agir ensemble". Ce que les partis "républicains" semblent actuellement incapables de réaliser.<br /> La détestation des autres est-elle aussi une spécificité frontiste ? N'y en a-t-il pas des relents dans d'autres partis, tels de vulgaires supporters d'équipes de foot rivales ? N'existe-t-elle pas aussi entre groupes ethniques ( Desproges voulait qu'on écrivit "anti-racismes" au pluriel et l'expérience lui donne raison) ? C'est malheureusement souvent la "détestation" qui semble constituer le ciment des entreprises humaines. Quel a été le programme des candidats aux élections sinon la seule détestation du FN ? On paye cher le fait qu'il n'y ait eu presque rien d'autre. Et l'on ne discerne toujours aucune remise en question sérieuse de leurs attitudes par les partis traditionnels et de leurs discours vides.<br /> Un exemple d'application : l'immigration reste en France une pierre d'achoppement politique, très mobilisatrice pour le FN, qui en joue, parce que gauche et droite modérée ont refusé, peut-être à cause des excès de ce même FN, d'accepter l'idée qu'elle posait des problèmes concrets dans la vie quotidienne d'une partie au moins de la population autochtone. Or il se trouve que pour 25 à 40 % des Français, il y a problème, et se mettre la tête dans le sable ne les résout pas. Il faut le prendre dans toutes ses dimensions : humanitaire, politique, économique, sociale, et pas seulement dans des déclarations de principes généreux mais vains, vains à la fois pour les migrants et pour les "accueillants". Sont-ils égoïstes ? Mais, à tort ou à raison, chômage, niveau de vie, avenir des jeunes… paraissent à ces électeurs au moins aussi urgents.<br /> Bon, on pourrait multiplier ces remarques. Elles ne constituent pas un scoop. Quand on refuse de voir que la soupape d'une cocotte minute est bloquée, elle finit par éclater, pour l'instant seulement dans les urnes. Prenons y garde.<br /> Jean-Baptiste Désert
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L
D’HUMEUR (comment ne pas en avoir ?) ET DE RAISON (il en faut plus que jamais) : FACE À UN GRAND DANGER, DE GRANDES RÉSOLUTIONS.<br /> Au premier tour des régionales, on a chiffré des choix. Au second, on mesurera les rejets - s’entendent : les rejets du Front national. Autrement dit, on mesurera combien d’électeurs tiennent toujours que ce parti est en dehors de la république, qu’il n’est en rien un parti démocratique. On mesurera combien parmi eux voient distinctement qu’il représente bien pire encore : rien moins qu’une menace mortelle pour le régime républicain et la démocratie. Combien discernent également que de par sa filiation et de par sa nature intrinsèquement réactionnaire, il s’attaque aux droits et à toutes les dignités conquises depuis le temps des Lumières. Et combien enfin se rappellent que l’extrême-droite ne change pas, que dans son corpus idéologique, dans son référentiel, elle demeure telle qu’elle était sous Vichy et sous la Collaboration.<br /> Leur langage, leurs attitudes, leurs comportements vis à vis de leurs interlocuteurs politiques ou journalistes, tout chez les porte-parole du FN en cette soirée de leur succès électoral trahissait l’ancrage dans l’extrême de droite.<br /> Une addition d’agressivité et de vulgarité de pensée qui évoquait irrésistiblement ce qui est toujours sorti des rangs du fascisme.<br /> Plus significatif encore, les deux têtes de liste qui étaient hélas mises au premier plan ce dimanche soir, démontraient, chacune mot par mot, que le Front national n’avait pas d’autre définition que celle d’être le parti de la haine, et de haines obsessionnelles et compulsives : haine du musulman, de l’arabe, de l’immigré, du migrant (providentiel ‘’arrivage’’ d’un bouc émissaire venant s’ajouter à tous ceux qu’il cible depuis trois décennies), et bien sûr, en tant que réceptacle du double legs idéologique du PPF de Pierre Pucheu et de la Milice de Joseph Darnand, haine de tout ce qui est susceptible de penser autrement que lui, de ne pas partager ses fantasmes identitaires, xénophobes et répressifs.<br /> Rien concernant le FN ne relève de l’anecdote : ainsi en est-il allé de la confrontation qui nous a été offerte, à un détour d’images, avec les ‘’gueules’’ des gardes du corps de Marine Le Pen, avec leur allure, avec tout ce qui leur était façon d’afficher que la dé diabolisation si habilement mise en scène depuis des mois avait ses limites ou ses lacunes … On surprenait qu’ils s’imaginaient déjà en service à l’Elysée, et, de là, l’éventualité que la sûreté publique tombe dans des mains comme celles-ci faisait un instant froid dans le dos.<br /> L’envie de vomir que tant de caricaturistes attachent à l’évocation du Front national et de ses idées, trouvait, pendant les longues heures de cette soirée électorale, une validation aussi souvent répétée que les déclarations de la tante et de la nièce qui passaient en boucle sur les chaînes de télévision.<br /> Laissant de temps à autre la place - pour accoutumé qu’on soit aux aberrations et aux contre vérités de l’argumentaire et du programme frontistes - à des moments d’effarement quand ‘’le bouchon était poussé encore plus loin’’ que d’habitude par un émissaire du FN. <br /> Pour aller plus au fond, il est clair qu’au premier tour des régionales, la moitié du corps électoral n’a pas fait de choix. Parmi eux, bien sûr, la masse des abstentionnistes habituels ou pour la circonstance. Mais ceux auxquels il convient de s’arrêter n’ont pas opté pour l’abstention par paresse, désintérêt ou empêchement : ils n’ont pas choisi entre les listes simplement parce qu’aucune d’elles ne répondait, ou n’apportait suffisamment, à leurs attentes.<br /> Ce sont principalement des électeurs de la gauche alternative, ou qui ont glissé dans l’attraction de celle-ci en se détachant de la gauche ‘’de gouvernement’’. Et en vérité où auriez-vous voulu que leur choix se portât ?<br /> Ce constat est pour eux certainement plus qu’affligeant : il serait désespérant s’il ne leur suggérait pas que ce qui a manqué aux listes de leur camp, c’est l’espérance qui auraient dû les porter - et d’autant plus que les matériaux ne manquaient assurément pas pour un grand soulèvement des consciences contre la chômage, la précarité, les inégalités, la destruction des protections sociales, l’arrogance et la soif inextinguible de profits des acteurs de la mondialisation capitaliste et autres privilégiés, et globalement contre un système économique qui détruit l’humain (et plus que jamais sans doute) en même temps qu’il détruit l’environnement. Et si cette espérance a fait défaut, c’est bien parce que la visibilité de ‘’l’offre politique’’ faite à cet électorat est sinon à peu près nulle, du moins extrêmement réduite. Et si l’on porte plus avant le diagnostic, ne faut-il pas se demander si cette offre, les analyses et les propositions qui en font la matière, ne sont pas affectées autant par la faiblesse de leur capacité à convaincre et à entraîner que par le peu d’affichage dans le débat public. <br /> Autant de considérations qui ne détournent pas de ce qui apparaît bien comme le plus lourd d’enseignements immédiats. La perte d’espérance a en effet une portée plus large et plus signifiante encore. Le vote apporté par les jeunes aux listes du Front national signale à lui seul que la force du changement n’est pas discernée du côté des idées dont la gauche se réclame, et qu’elle ne réside plus dans les idéaux républicains.<br /> Comment à cet égard ne pas être frappé, en observant le bilan de ce premier tour des régionales et de la campagne qui l’a précédé, et en considérant l’état et l’idée de la République qui s’y sont fait jour, par le contraste saisissant, fulgurant, qu’impose à l’esprit la puissance du discours tenu par le pape François à chacune de ses prises de position, par celle du message qu’il dispense ?<br /> Autant de raisons qui militent pour l’élaboration d’un projet de société qui ouvre sur une démocratie solidaire, égalitaire et authentiquement écologique, sur une démocratie en avancée continue vers des conquêtes nouvelles de droits, de libertés, de protections et d'émancipations. Rien moins qu’une refondation du pacte républicain et du contrat social qui sous tend celui-ci. Mais l’ampleur même de ce chantier exige d’en passer par une large convention citoyenne - des Etats Généraux ? -, elle-même portée par une très vaste réflexion publique des intellectuels, au sens le plus large du terme, qui réfléchissent et agissent dans le sens de ce changement de modèle. Rappelons que c'est d'un rassemblement des intellectuels anti fascistes qu'est né le Front Populaire, et que les mobilisations populaire et sociale ont ensuite embrayé aux différents niveaux et selon le calendrier propre à chacune. <br /> Peut-on sans cette capitalisation des aspirations, des idées, des talents et des énergies inventer un nouveau programme de résistance - cette fois dirigée contre un totalitarisme économique et financier, celui de l’argent et du marché. Un programme fédérateur, comme le fut celui du CNR (on aura ici une pensée pour Stéphane Hessel), qui puisse se revendiquer, et être pleinement perçu, comme un réponse aux impératifs de justice et de bien être, et comme une réponse conformée pour les temps nouveaux où il est visible que nous entrons - et qui comme telle intègre totalement l’exigence environnementale ? Et est-il un autre processus pour entraîner symétriquement l’ensemble de la mouvance écologique, dont il va de soi qu’elle est au premier chef partie prenante à la même réflexion et au même débat, à adhérer au constat que les défis pour la planète et le vivant ne sont surmontables que dans une économie libérée de la pesanteur du profit et dédiée à la seule satisfaction du bien commun.<br /> Pour celles et ceux qui se sentent appelés à les partager, ce sont là une grande ambition et de grandes perspectives pour le moyen et le long terme. Reste que le cap qui est juste devant nous est celui qu’il faut franchir avec ce second tour des élections régionales : on s’en tiendra à redire que ce sera le moment d’exprimer et de mesurer un rejet dont la puissance décidera pour beaucoup de l’avenir de la République. Mais immédiatement ensuite devra venir celui du grand chantier civique en faveur duquel on s’est efforcé de plaider.<br /> Didier LEVY - 09 12 2015
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K
Comment ne pas approuver en tous points l'appel de Jérôme Vignon à la lucidité, la responsabilité, ce qui fonde les valeurs essentielles du Judéo-Christianisme ?; face aux tentations d'aigreurs et d'illusions de régler des comptes anciens ?<br /> Robert Kaufmann
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