La Joie de l’Évangile est- elle vraiment pour tous ?
Quelle question saugrenue !
Une fois ce titre posé, je prends conscience de l’effet qu’il peut produire chez vous, amis lecteurs. Bien sûr que la Bonne nouvelle est pour tous, il en va même de la catholicité de l’Église. Mais dans le concret de nos vies communautaires, qu’en est-il vraiment ?
Combien de mendiants restent sur les marches de nos églises pendant que la communauté chrétienne célèbre son Dieu ? Et je m’interroge : seraient-ils tous incroyants ? Aucun d’entre eux n’aurait-il le désir de partager sa foi, de prier en communauté ou de s’approcher pour tendre sa main, non pour mendier une maigre obole mais pour y accueillir Dieu qui se donne ?
Je garde encore en mémoire cette célébration où parce que j’animais les chants j’ai vu une femme rom à travers la porte vitrée de l’église se signer à multiples reprises et s'éloigner sans même oser rentrer. J’ai eu honte mes frères, honte de moi qui n’ai pas eu le courage de la rechercher ensuite dans les rues de ma ville pour l’inviter à rentrer pour prier ensemble
Or, vous comme moi nous le savons bien : le Dieu en qui nous croyons est ce Dieu qui choisit toujours le dernier et il semble que ce choix apparaisse même, en Jésus, comme un des lieux majeurs de la révélation du visage de Dieu.
Alors, pourquoi exclure – de fait – de nos communautés ces petits qui de toute éternité sont les privilégiés de Dieu ? Comment espérer accueillir un tel Dieu si ce n’est dans l’accueil du dernier, du plus petit ?
Depuis les commencements…
Si l’on devait arracher des 4 évangiles les pages qui narrent les rencontres de Jésus avec des personnes en grande précarité ou considérées comme indignes de faire partie du peuple de l’Alliance, notre texte actuel se réduirait à peau de chagrin. L’ensemble des évangiles fourmille de tels récits sans pour autant cacher l’attitude des disciples pas forcément en phase avec celle de leur maître. Leur souci de grandeur et de comparaison est souvent premier et met à mal le désir de ces exclus cherchant à atteindre Jésus. Luc signale que les disciples rabrouent ceux qui viennent présenter à Jésus des tout-petits pour qu’il les touche (Luc 18,15). Ailleurs, Matthieu nous montre les disciples qui demandent à Jésus d’accéder à la demande d’une femme cananéenne, non par compassion pour elle mais parce qu’excédés par ses cris (Matthieu 15,21-28). Quant à l’évangéliste Jean, il nous les montre tout prêts à endosser les préjugés de leur époque : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents pour qu’il soit né aveugle ? »
Pas plus que nous les disciples ne sont donc pas spontanément accordés à accueillir ceux qui appellent à l’aide et présentent à Jésus leurs faiblesses. Lui, en revanche, s’adresse à son Père : « je te bénis Père, Seigneur du Ciel et de la Terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (Luc 10,21)
J’aime relever que les disciples n’ont pas cherché à idéaliser leur histoire et n’ont pas passé sous silence leurs propres travers. Ils ont sciemment refusé de dresser un portrait idyllique d’eux-mêmes.
Il ne faudrait pas pour autant s’imaginer qu’après le don de l’Esprit à la Pentecôte une conversion totale et définitive les aurait transformés. Nous les voyons encore dans les Actes, au chapitre 6, se disputer au sujet des veuves du groupe des hellénistes. Tout comme nous, ils sont capables de s’opposer, de se prendre à partie vigoureusement à propos de l’accueil ou de l’exclusion de telle ou telle population, en particulier en ce qui les concerne des non-juifs, étrangers aux promesses de l’Alliance.
Tout comme les ronces, comme il est difficile d’arracher cette propension à l’exclusion lorsque nous sommes confrontés à la différence ! Comme il est plus facile de rejeter et d’exclure l’altérité radicale du petit ou du pauvre !
… une Église appelée à prendre la tenue de service
Ce constat, amis lecteurs m’empêche d’idéaliser les disciples du Christ, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui. Jésus a choisi des disciples non pas au nom de leur perfection mais c’est bien avec leur caractères, lenteurs, faiblesses et grandeurs qu’il les a envoyés proclamer la Bonne Nouvelle.
La vocation de l’Église n’est pas tant de se poser en modèle de perfection, donneuse de leçon au monde que d’entendre les soifs des hommes : soifs de Dieu, soifs de réconciliation, soifs de justice. Il arrive – et j’en suis l’humble témoin – que ces affamés de Dieu soient parfois mieux ajustés à la Bonne Nouvelle que nous qui sommeillons peut-être dans notre confort et nos habitudes de nantis. Je dis bien « parfois » car, ni plus ni moins que les disciples ou chacun d’entre nous, les personnes en précarité ne sont dispensées de parcourir le chemin de conversion pour marcher à la suite du Christ.
Le pape François souligne cependant que parmi toutes les discriminations dont souffrent les personnes en précarité, celle qui le touche le plus c’est le manque d’attention à leur vie spirituelle. Note indifférence comme communauté croyante à leur soif de Dieu, soif de Sa vie, de Son pardon, de Sa miséricorde et de Sa joie mérite d’être dénoncée. Pas plus que chacun d’entre nous, ils ne peuvent être réduits à des mains tendues, des corps à habiller et à nourrir.
La Joie de l’Évangile est pour tous, et le pape François d’affirmer sa préférence pour une Église pécheresse mais qui laisse passer les petits et les humiliés, qu’une Église de purs qui leur fermerait les portes.
« Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui fermez devant les hommes l’entrée du Royaume des Cieux ! Vous-mêmes en effet n’y entrez pas, et vous ne laissez pas entrer ceux qui le voudraient » (Matthieu 23,13).
Restons donc très vigilants à autoriser l’accès à Dieu à ceux qui meurent de faim, soit parce qu’ils se sentent abandonnés de leurs frères, soit parce qu’ils se croient maudits de Dieu.
Nous laisser évangéliser par les exclus : une étape supplémentaire
La foi en Christ pose dès son origine, l’exigence radicale du souci des exclus et des petits. Tout au long des siècles des hommes et femmes laïcs, de nombreuses congrégations religieuses ont su ouvrir leur porte et leur cœur à la dimension du « care »envers les plus petits. Les nombreuses « œuvres de miséricorde » en témoignent encore aujourd’hui.
Mais voilà qu’un homme aujourd’hui ose nous bousculer et dépasser la verticalité du proverbe burkinabé « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit »pour nous situer dans l’horizontalité de l’amour égalitaire de Dieu pour chaque être humain.
Il va même encore plus loin car il ose affirmer « je désire une Église pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei (intelligence de la foi) par leurs propres souffrances ils connaissent le Christ souffrant. Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux. La nouvelle évangélisation est une invitation à reconnaître la force salvifique de leurs existences, et à les mettre au centre du cheminement de l’Église. Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux » (Exhortation apostolique « La joie de l’Évangile » n°198).
Serait-ce folie que de croire en cette capacité de parole évangélisatrice d’un chrétien au prétexte de sa précarité ? Les chrétiens pauvres n’auraient-ils pas eux aussi, une vie de foi à partager ?
Qui a eu la chance de partager la Parole de Dieu avec ces « petits » peut témoigner que cette parole des pauvres, éclairée par l’Esprit qui se donne à tous, est d’une force et d’une vérité bouleversante parce que non seulement elle est habitée par l’expérience du Christ venant tendre la main aux désespérés sur le bord de la route mais aussi parce qu’elle rejoint l’expérience elle-même du Crucifié abandonné et rejeté de tous, exclu parmi les exclus. L’expérience quotidienne de la souffrance, du mépris et de l’exclusion apporte à leur témoignage une originalité propre qui bouscule et interpelle. Ne nous en privons pas !
Alors oui, osons le proclamer à temps et à contretemps : « la joie de l’Évangile est pour tout le peuple, personne ne peut en être exclu » (Exhortation apostolique La joie de l’Évangile n° 23).
Nathalie Gadea
Toulon 26 octobre 2015