La clef du coffre

Publié le par Garrigues et Sentiers

Quoi de plus beau et plus léger qu’une bulle de savon ?

Et pourtant toute bulle ne s’élève pas vers le ciel et il en est même qui sont de véritables carapaces qui entraînent vers les bas-fonds de la solitude et de la tristesse.

Toi Dvora, en ce jour tu t’isoles dans une bulle que même nos tentatives les plus délicates n’arrivent à faire éclater. Tout en toi désigne au contraire ton désir de t’exclure du groupe de partage dont le thème – la joie – te semble, en cet instant, bien étranger.

Rien n’y fait. Tes « non » prononcés distinctement sans même un regard à chacune de nos questions ou interpellation nous renvoient clairement dans nos buts. La règle du jeu ne te concerne pas, tu n’es pas de la partie et tu nous signifies clairement que tu ne joueras pas ta partition. Aucune illusion n’est désormais possible, il ne faut pas compter sur toi. D’ailleurs sans un mot d’explication subitement, tu décides de quitter la salle où le groupe échange et partage. C’est ton droit et ta liberté. Nul n’est en droit de te retenir. Le groupe se contentera donc de t’avoir croisé en ce lieu pendant quelques instants.

Tu aurais eu sans doute des merveilles à nous livrer mais nous n’avons pas su trouver la clef du coffre du trésor.

Résonne cependant en moi cette phrase de Diaconia « nul n’est trop pauvre pour ne rien avoir à partager » et pourtant le groupe continuera d’échanger… sans toi !

Nous sommes à Nevers dans une session de théologie pastorale où des croyants de toute origine sociale, certains en précarité et d’autres non, font le pari de partager le sens de leur existence à la suite du Christ. Nous sommes sur un pied d’égalité et, bon an mal an, chacun cherche et repère dans son existence des éléments de réflexion sur le thème proposé. Dans un même groupe d’une douzaine de personnes, prêtre diacre ou laïc, qu’il vive dans la rue ou dans un palais épiscopal, dans une HLM ou dans un quartier résidentiel, se risque à prononcer et enrichir le groupe de sa parole valant son pesant d’or parce qu’unique.

L’enjeu de cet espace de paroles est de libérer à la surface des perles dont nous pourrions mutuellement nous parer mais qui restent bien souvent enfouies dans nos profondeurs. Elles restent tapies en nous, soit parce que l’occasion ne nous a jamais été donnée de les extraire soit parce que personne ne nous a jamais dit qu’elles étaient précieuses et qu’elles manqueraient au monde et à l’Église si elles restaient enfouies.

Tout à ma réflexion, je vois à peine Dvora rejoindre le groupe, toujours aussi renfermé voire même encore un peu plus contrarié. L’un d’entre nous vient de prononcer « que l’on n’est jamais en joie tout seul et que la joie n’existe que dans la relation à Dieu ou à autrui ».

Belle occasion pour demander à Dvora son avis. La réplique cinglante ne tarde pas : « je sais pas ». Et notre témoin présent mais silencieux assiste à la suite de l’échange : « ma joie fut grande d’avoir été appelé pour distribuer des évangiles dans des paroisses de ma ville , on avait préparé un texte et j’ai pu pour la première fois parler à un micro dans une église, on me l’avait jamais demandé, je suis même pas regardé dans ma paroisse, je suis trop pauvre »  et une autre « lorsque sur son lit de mort, j’ai enfin pu enfin pardonner à ma mère de m’avoir abandonnée, j’ai ressenti une grande joie » et un autre « quand on est dans la galère et qu’on a perdu tous ses points de repères savoir que Dieu ne nous oublie pas, c’est une grande joie ».

Tout d’un coup, sans doute inspirée, je m’adresse à Dvora : « et toi, tu peux nous dire pourquoi tu n’es pas en joie ? » et lui de répondre sans hésiter « Nicolas est dans un autre atelier ». Silence stupéfait. Il faudra ensuite attendre la fin de la rencontre pour qu’un sourire se dessine sur son visage quand le groupe décide de retrouver Nicolas pour que Dvora puisse changer d’atelier.

Mais à 14 heures quelle ne fut pas notre surprise d’accueillir Dvora. Nicolas n’a sans doute pas été trouvé. Mais c’est un tout autre Dvora qui ouvre le temps de partage en nous faisant prier en chantant, tirant même des larmes chez certains d’entre nous.

Nicolas le compagnon retrouvé nous a livré la clef du coffre : Dvora joue merveilleusement de la guitare et écrit paroles et musique de prières. C’est donc en toute liberté que Dvora a choisi notre atelier pour partager sa  vie de galère parsemée d’embuches et de misères. Son sourire ne le quitte désormais plus jusqu’au moment de la célébration où il anime le temps pénitentiel pendant la liturgie finale.

Dans le dernier partage en atelier nous est demandé ce que nous emportons de précieux dans nos valises. Je garde en mémoire la parole de Dvora : « je ne sais que chanter et jouer de la guitare, je ne sais faire que ça, alors je remporte la joie d’avoir chanté et d’avoir fait prier et chanter ».

Je dois te dire Dvora que tu m’as donné de comprendre de manière neuve tout à la fois ce verset de Luc : « À ce moment, Jésus exulta de joie sous l’action de l’esprit saint et dit : Père, je proclame ta louange ; ce que tu as caché aux sages et aux savants tu l’as révélé aux tout petits « Luc 10,21 et cette invitation du pape François à se laisser enseigner par la parole croyante des petits.

EN effet ton mutisme affiché du matin exprimait clairement en acte ce qu’un théologien le lendemain matin formulera dans un concept : la joie ne peut se vivre que dans la relation. L’homme créé – être de relation à l’image et à la ressemblance de Dieu – ne peut pas éprouver de la joie lorsqu’il est centré sur lui-même, replié dans une solitude choisie oui imposée par la vie.

La joie surgit toujours inattendue comme fruit d’une relation de qualité, à autrui ou à Dieu. À ce titre elle devient participation à la vie trinitaire d’un Dieu qui ne vit que dans et par la relation. La dimension collective s’exprime clairement dans le verset de Luc. Ils sont tous là, Jésus bien sûr, le Père à qui il s’adresse et l’Esprit qui fait que Jésus tressaille de joie. Pour toi Dvora, ton compagnon Nicolas était ailleurs… et toi tu étais bien seul isolé au milieu de tous, dans l’incapacité de communiquer ou de partager.

Le théologien poursuivra en disant combien la souffrance sépare et enferme dans une bulle qui fait écran à la communication. Plus rien alors ne peut être donné ni reçu. Or la réciprocité de la relation est constitutive de notre humanité.

L’incapacité de partager enferme et isole dans une bulle.

L’espérance alors est de croire tant pour celui qui souffre que pour celui qui en est le témoin impuissant, que ce n’est que la bulle éclatée par une main tendue enfin acceptée que pourra  surgir la Vie jusque-là emprisonnée par le pierre du tombeau. Le temps, la patience dans la confiance et l’espérance sont alors les seuls compagnons.

Alors oui, le texte final de Diaconia l’affirme avec vigueur : Nul n’est trop pauvre pour n’avoir rien à partager… mais désormais grâce à toi je rajouterai, dans la persévérance pour chercher et trouver la clef du coffre.

Merci Dvora.

Je ne suis pas près de t’oublier.

Nathalie Gadéa
Nevers 6 décembre 2015

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Comme toujours, les articles de Nathalie nous plongent dans une méditation sur nos croyances, pratiques et certitudes, non pour les rejeter ou les détruire, mais pour les relire, les ouvrir, leur donner nouveaux sens. Merci Nathalie. Il nous faudrait plus de textes de toi. Et bonne année !
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