Accompagnement de familles Roms
La situation à Marseille
D’une façon inattendue, des familles Roms sont arrivées dans des locaux de la paroisse Saint-Pierre au mois de mars 2012. Parce qu’en plein hiver elles étaient menacées d’expulsion, de l’enclos de l’église St Martin très délabrée et fermée depuis des années. Mgr Pontier, archevêque de Marseille, a mis à leur disposition une ancienne école paroissiale transformée en appartements et inhabitée depuis deux ans. Une convention d’un an a été passée avec une association (AMPIL) pour gérer le quotidien. Vingt-sept adultes et vingt enfants, cela ne passe pas inaperçu et il a fallu faire face à l’hostilité déclarée, à la minute même de leur arrivée, de la majorité des habitants du quartier. En trois jours une pétition a recueilli 540 signatures !
Avec d’autres bénévoles nous avons décidé de voir « ce qu’on pourrait faire ». Et l’aventure dure depuis. En trois ans et demi il y a eu plusieurs périodes.
De mars à septembre 2012, la première chose dont nous nous sommes occupés était de préparer la rentrée 2012 pour les enfants. Pendant six mois ce fut de la « préscolarisation » à la maison, c'est-à-dire, surtout pour des enfants qui souvent n’étaient jamais allés à l’école, l’apprentissage de quelques règles simples : la régularité dans les horaires, le respect du matériel et des autres. Mais quelle fierté en septembre 2012 quand tous les enfants ont fait leur rentrée ; les mamans ce jour-là s’étaient mises sur leur trente-et-un et étaient aussi fières que leurs enfants.
Pendant l’année scolaire 2012-2013, nous avons assuré du soutien scolaire et un peu d’alphabétisation pour les mamans.
L’insertion dans le quartier a progressé, même s’il est resté quelques irréductibles. L’accueil des commerçants a été bon. Les maraîchers présents sur la place de l’église le jeudi matin donnent souvent à la fin du marché un cageot de légumes aux femmes.
Des temps festifs, arbre de Noël, invitation à la pastorale jouée dans l’église, repas préparés par les familles pour nous remercier et nous faire connaître la cuisine roumaine ont permis de tisser des liens, d’apprendre à se connaître et d’instaurer des relations de confiance.
Cette confiance a cependant été ébranlée quand en juin 2013, la convention avec le diocèse étant finie et l’AMPIL n’ayant pas trouvé les financements nécessaires pour réhabiliter la maison, les familles ont du quitter Saint-Pierre. Mais tous étaient persuadés qu’à leur retour de vacances en Roumanie, ils réintégreraient les lieux… Il n’en fut rien.
Septembre 2013-juillet 2014 : période très difficile : les familles se sont retrouvées sur un terrain sans eau ni électricité – sans parler de la présence de rats – sur lequel elles ont construit des cabanes serrées les unes contre les autres. Une vingtaine d’autres familles étaient déjà sur ce terrain où on a compté jusqu’à 150-200 personnes.
Malgré les difficultés, les enfants ont repris le chemin de l’école même si les absences étaient nombreuses. Mais que répondre à : « Il n’est pas allé à l’école parce que le linge n’a pas séché à cause de la pluie et il n’avait rien de correct à se mettre » ?
Ce fut pour nous une période d’intense activité. En effet la quasi-totalité des adultes n’ayant jamais été scolarisés, les inscriptions des enfants à l’école, les démarches pour obtenir l’aide médicale, le suivi médical des enfants (vaccination…), nécessitaient un accompagnement. Bien sûr, il aurait fallu faire « avec » et non « à la place de » mais…
Grâce à l’hospitalité du père Paul Daniel, curé de la paroisse de la Belle de Mai nous avons pu proposer quelques cours d’alphabétisation pour les adultes, pas toujours avec le succès espéré. Parfois nous avons été un peu découragées de leur manque d’assiduité à ces séances, des oublis de rendez-vous mais sans vouloir tout excuser il faut essayer de comprendre. Dans ces familles en grande précarité, la notion du temps n’est pas la même que la nôtre. Quand il s’agit de survivre, quand on a continuellement la peur d’être expulsé, « l’horizon temporel » dépasse rarement la journée.
Parallèlement nous vivions très difficilement que les familles, accueillies un temps se retrouvent dans la rue alors qu’il leur avait été dit qu’on ne les renverrait pas à la case départ (c’est-à-dire dans la rue). Il nous semblait que le diocèse avait en quelque sorte un contrat moral avec elles qui devait être respecté. Les menaces d’expulsion se précisaient, il fallait trouver une solution. Elle fut trouvée avec le Secours Catholique et l’Association des Cités du Secours Catholique (ACSC).
En mars 2014 un projet Sortie de bidonville a été proposé à 12 familles (26 adultes, 27 enfants). Elles allaient être mises à l’abri (hébergement provisoire) et accompagnées jusqu’à leur insertion avec un logement et un travail puisqu’ils disent tous qu’ils veulent désormais faire leur vie ici, surtout pour leurs enfants.
Ils s’engageaient de leur côté à assurer la scolarité de tous leurs enfants et à suivre les cours d’alphabétisation qui leur seraient proposés. Ils ont bien sur tout de suite dit oui avec enthousiasme. Sans doute voyaient-ils surtout « être en sécurité et ne plus avoir la peur de l’expulsion ».
Depuis juillet 2014, les paroisses du diocèse ont été sollicitées pour offrir un hébergement en dur ou un terrain avec caravane à une ou plusieurs familles. Les 12 familles ont ainsi été réparties dans 5 paroisses, le plus gros contingent (5 familles) réintégrant le rez-de-chaussée de la maison Saint-Pierre.
L’accompagnement consiste à les rendre le plus possible autonomes, les reloger dans des appartements séparés et rechercher des formations et des emplois, ce qui n’est pas facile ! La recherche des appartements, les relations avec Pôle-emploi où ils sont inscrits, le travail plus « administratif » étant faits par les travailleurs sociaux de l’ACSC, nous (les bénévoles) nous attachons essentiellement au suivi scolaire et sanitaire des enfants et aux cours de français pour les adultes.
La difficulté que nous rencontrons avec les adultes est de leur faire accepter les contraintes liées à une présence régulière, de les convaincre de l’utilité de faire de substantiels progrès en français, clé indispensable pour espérer trouver un emploi et aussi pour se débrouiller dans la vie de tous les jours.
Les cours de français ne présentent pour eux une utilité que si nous pouvons leur promettre « à coup sûr » un travail et dans « pas trop longtemps ». Pourtant ils touchent du doigt les difficultés qu’on rencontre quand on ne maîtrise rien de l’écrit (retrouver un papier, ne pas se tromper de médicament…)
Mais il y a sûrement aussi autre chose, toujours présent chez les exilés : apprendre le français signifie quelque part perdre son identité, sa culture. Difficile alors de manifester notre opposition au fait que toute la journée leurs télés diffusent les programmes de la télé roumaine ! Nous leur avons demandé de regarder au moins des informations en français mais…
Sur bien d’autres points leurs habitudes ne sont pas les nôtres.
- Ici les enfants de 3 ans partent à la maternelle, les leurs sont encore au sein !!
- Quand ils parlent de l’avenir d’une petite fille de 6 ans ils disent : « elle ira à l’école et à 18 ans elle se mariera ! » Femme au foyer pour s’occuper des enfants est la seule chose qu’ils envisagent.
- Les liens familiaux sont très forts, d’autant plus que les 12 familles (et d’autres que nous connaissons aussi) viennent de villages très proches et qu’ils sont tous cousins. Quand la semaine dernière une petite fille a du subir une opération la quasi-totalité des femmes (avec les enfants) et quelques hommes ont passé la journée à l’hôpital !
- Ils repartent parfois en Roumanie sans crier gare (parce qu’un membre de la famille resté là-bas est malade) et interrompent ainsi les démarches en cours ou les ralentissent, ratent un rendez-vous médical pris de longue date.
Nous avons parfois l’impression que nous voulons les emmener là où peut être ils ne veulent pas aller.
Insertion ? Intégration ? Assimilation ?
Mais maintenant les liens tissés sont trop forts, nous savons (et ils savent) qu’ils pourront toujours compter sur nous. Cependant nous espérons (et nous y travaillons) pouvoir leur lâcher la main… bientôt ?
Régine Hugues et Joëlle Palési