Le défi de François : une Église miséricodieuse
Plus qu’une année sainte, le jubilé proclamé par le Pape François, qui débutera la 8 décembre, est un appel au peuple des fidèles à surmonter les oppositions et les résistances que son pontificat rencontre. Les vingt prochains mois seront cruciaux, car les adversaires des réformes que projette le pontife argentin se montrent de plus en plus agressifs. Le cardinal américain Raymond Burke prétend que l’Église ressemble à un « bateau sans gouvernail » ; son compatriote, l’ancien archevêque de Chicago, Francis George, affirmait que, souvent, le pape ne mesurait pas les conséquences de ses propos ; le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal allemand Gerhard Ludwig Müller, se propose de « structurer théologiquement la papauté » (une façon élégante de dire qu’il faut rectifier les objectifs de François), le président de la Conférence épiscopale polonaise déclare qu’« on s’éloigne des enseignements de Jean-Paul II ».
L’Église catholique n’est peut-être pas mûre, en tant qu’institution, pour la révolution de François.
Les fidèles, eux, ont parfaitement compris le pape et la grande majorité d’entre eux approuve la vision d’une Église miséricordieuse qui accompagne les hommes et les femmes dans leurs difficultés existentielles, une Église « voix des pauvres » (dont les biens servent de préférence à aider les sans-abri, les migrants et les chômeurs), une Église dont les évêques ne soient ni des fonctionnaires ni des « princes de la Renaissance », comme le souligne fréquemment le pontife, mais des disciples du Christ. Une Église où les questions sexuelles ne prédominent pas et où les femmes puissent être présentes dans les lieux « où l’on décide et où l’on exerce l’autorité » (François est le premier pape à le dire).
Voilà le genre d’Église qui suscite de l’intérêt, y compris parmi les non-catholiques et les non-croyants. Mais une grande partie du clergé et de la hiérarchie épiscopale s’oppose à cette ligne, ou demeure observatrice. Au synode des évêques d’octobre 2014 sur le thème de la famille, la plupart des évêques et des cardinaux ont rejeté l’idée d’autoriser à communier les divorcés remariés et de reconnaître une dignité au lien de solidarité qui unit deux partenaires du même sexe.
La pénible impasse dans laquelle se trouvent le Vatican et la France à propos de Laurent Stefanini, désigné comme ambassadeur près le Saint-Siège et qui n’a toujours pas reçu l’agrément en raison de son homosexualité déclarée, prouve que François ne se sent pas assez fort (ou que la tactique lui suggère de patienter) pour imposer la fin des veto curiaux aux prétendues « situations irrégulières ». En d’autres termes, le pape, qui a affirmé « Qui suis-je pour juger une personne gay ? » et qui est allé jusqu’à recevoir, en janvier dernier, dans sa résidence, un transsexuel espagnol et sa fiancée, a été contraint, deux ans après son élection, d’accepter le poids d’un dogmatisme qui ne le convainc pas.
« Les doctrinaires, les hommes d’Église qui ne voient que la doctrine, me font la guerre » a confié le pontife à un ami, le mois dernier. Le front dogmatique se mobilise déjà dans la perspective de la deuxième session du synode sur la famille (octobre 2015) au moyen d’une pétition qui devrait être signée par des évêques, des cardinaux et des fidèles pour bloquer toute réforme pastorale concernant les remariages, le concubinage et les unions homosexuelles. On demande au pape de « ne pas dissocier la pratique pastorale de l’enseignement que Jésus-Christ a laissé en héritage ». En d’autres termes, de ne pas appliquer la loi du Dieu miséricordieux qu’il a annoncée dès le premier jour de son pontificat. Comme François accorde aux évêques et aux fidèles une totale liberté de parole, il est normal que s’organisent les partisans d’une opinion. En revanche, le fait que « le groupe réformiste » soit inerte, qu’il évite de se mobiliser, qu’il ne prenne pas d’initiative, l’est moins. « Nombre [de ses membres] applaudissent, mais ils laissent François seul », commente un évêque italien.
C’est sur cet arrière-fond qu’intervient la décision du pontife d’ouvrir une année sainte consacrée à la « miséricorde ». À la veille de cette annonce, il a souligné que « le chemin de l’Église consiste à ne condamner personne éternellement ». En préparant le jubilé, il rappelle : « Personne ne peut être exclu de la miséricorde de Dieu, nous connaissons tous le chemin qui y mène, l’Église est le foyer qui accueille tout le monde et qui ne rejette personne. » Ce manifeste, adressé à la masse des fidèles, se situe à l’opposé exact de l’idéologie de ces « docteurs de la loi » (pour employer un terme de l’Évangile) qui l’accusent sans cesse de se détourner de la Doctrine et de la Tradition.
Le temps presse, François a évoqué sa possible démission, comme Benoît XVI, le jour où les forces lui manqueront. À l’occasion du deuxième anniversaire de son élection, il a aussi expliqué qu’il avait la sensation que son pontificat durerait tout au plus cinq ans. « Et deux se sont déjà écoulés », a-t-il ajouté. Récemment, le premier dimanche de mai, il a enfin déclaré, presque en passant, qu’il était « un peu malade ».
Le jubilé de 2016 s’annonce véritablement comme la ligne de partage des eaux de ce pontificat hors du commun.
Marco Politi, journaliste
sous le titre Le défi du Jubilé
Spécialiste du Vatican, il est notamment l’auteur, avec Carl Bernstein, du best-seller Sa Sainteté Jean-Paul II et l’histoire cachée de notre époque (Plon, 1996), mais également de François parmi les loups paru en 2015 aux Éditions Philippe Rey.