Soyons angéliques, une fois…
Vingt quatre mille réfugiés en France, sur deux ans. Huit cent mille en Allemagne cette année… L’un veut montrer qu’il est « responsable », l’autre quelle est « généreuse ». Les chiffres n’ont aucun sens, ils font partie de la communication, ce mal du siècle, ils sont là pour nous balader, pour nous tromper. Si on revenait à l’essentiel ? Si on se permettait, volontairement, en toute connaissance de cause, un moment d’« angélisme »1 en ce temps où les « réalistes », totalement affolés, disent n’importe quoi, et surtout, à quelques exceptions près, ne font rien !
Oui nous sommes en guerre. La paix occidentale construite depuis soixante-dix ans le fut sur la dispersion ailleurs de semences de haine. Guerres coloniales, pillage des richesses, soutien de régimes pourris pillant leurs peuples sans vergogne, commerce des armes, exportation de nos combats en guerres locales, externalisées comme on aime faire pour empêcher l’immigration… tout cela avec la bonne conscience de civilisés face à des enfants sauvages… « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire »...
Cette guerre, comme toutes les guerres civiles, est faite de haine. Elle est féroce et elle nous atteint. Nous aimerions bien qu’elle ne soit une fois de plus qu’une péripétie, lointaine fille de nos disputes occidentales. Mais cette fois-ci, elle nous touche. DAECH, Al Qaida et tous les autres nous visent, ici. Nos soldats, outre leurs expéditions lointaines, sont mobilisés ici pour répondre à leurs soldats que sont les terroristes. Le coût pour nous est énorme, mais soigneusement caché car si on devait le comparer aux sommes dépensées pour les immigrés on pourrait se poser quelques questions…
Quand il y a guerre, il y a réfugiés. Pendant longtemps nous avons aidé les réfugiés de toutes ces guerres à s’installer chez leurs voisins, nous savons installer des camps, pour des millions de personnes. Pas trop regardants sur les « pertes collatérales », elles faisaient partie du journal de 20 heures. Qu’il y en ait deux millions en Turquie actuellement, un million au Liban (le quart de la population), à peu près autant en Jordanie, cela ne nous troublait pas. Quant à ceux de l’Érythrée, du Mali, où allaient-ils déjà ? Et au Soudan ? Mais voilà que malgré Frontex, malgré l’externalisation, malgré les passeurs qui pressurent le sang de tous ces gens, malgré les refus, les renvois, malgré la vie en bidonville de ceux qui ont passé, malgré tout cela les réfugiés viennent de nous atteindre en masse ; les bouchons, pourtant si bien enfoncés, ont sauté. Quand on accepte de risquer la mort comme ils ont accepté, rien ne peut vous arrêter. Nos dirigeants, dans leur bulle protégée, semblent ignorer quelques vérités de base de la vie… humaine, seulement humaine.
Nous avons la mémoire courte. La réponse, en 1940, lors de l’exode, n’a pas été de donner des chiffres, d’évoquer la crise, mais d’appeler tous à recevoir, abriter, sécuriser, sans savoir quel serait le lendemain. C’est l’époque ou Churchill promettait « des larmes et du sang » et de Gaulle proclamait qu’« une bataille [était] perdue, pas la guerre ». Le premier, par cette promesse, faisait de son peuple une nation debout et engagée, fière de l’être. Le second a fédéré l’embryon d’une résistance qui deviendra notre honneur.
La Politique, ce n’est pas uniquement de la gestion, de la comptabilité, de la boutique. Ce doit être en même temps un Verbe. « Au commencement était le Verbe… ». Un Verbe qui appelle à se dépasser, qui ne ment pas, qui ne cache pas la réalité ni ne la travestit, mais qui appelle à la transcender. Un Verbe qui appelle tous à œuvrer au salut de l’humanité en péril. Et qu’entendons-nous ? Que c’est difficile ! Tous ces medias, obligés à la compassion par la faute de goût d’une photo, blablatent sur des chiffres, des difficultés. On enfonce le peuple dans son confort : c’est tellement difficile qu’il ne peut rien, qu’il a raison d’avoir peur.
Oui, individuellement, on ne peut rien, ou pas grand-chose. Mais quand il s’agit de monter des camps de réfugiés au loin, nous savons faire. Nous avons les infrastructures, les compétences. Nos logisticiens savent organiser l’approvisionnement de la France à partir du marché de Rungis et ne sauraient pas répartir cent mille réfugiés, et traiter leurs dossiers ? Oui c’est difficile, mais nos pays sont équipés pour cela. Bien sûr le téléspectateur se sent bien incapable, mais on lui ment quand on lui fait sentir cette difficulté sans lui montrer en même temps que d’autres, dont c’est le métier, savent faire. On n’aurait pas les ressources nécessaires. Qui peut croire cela ? Elles ne sont pas visibles à tout un chacun, mais il faut les chercher, et pour cela bousculer quelques uns, quelques institutions (cent cinquante mille HLM seraient vacants, cette gestion ne pourrait être un peu bousculée ? et ce n’est qu’un exemple).
Le court terme est urgent, immédiat, il nous dérange fortement, il nous ébranle. On ne peut pas l’éviter, au risque de perdre totalement notre humanité – comme une grande partie de la classe dirigeante qu’on ne peut que juger et condamner, elle finira dans les poubelles de l’histoire. Ne jugeons pas nos voisins, nous ne savons pas leurs difficultés, leurs peurs, leurs impossibilités pas plus que leurs gestes généreux. Mais les responsables, qui aiment tant ce pouvoir pour lequel ils acceptent bien des compromissions, eux doivent être jugés à l’aune de ce qu’ils manifestent. C’est aux dirigeants aussi de préparer, gérer (et là avec des chiffres, de la comptabilité, du réalisme) le moyen et le long terme. À défaut de cela ils laisseraient retomber sur les individus les conséquences de leur générosité à court terme. Qui peut prendre en charge une famille si c’est pour la remettre à terme sur le trottoir ? Même s’ils ont totalement failli, les Politiques doivent assurer leur travail, il faut l’exiger d’eux, collaborer avec eux ; cela ne change rien ce que nous pensons d’eux. Et empêchons-les de profiter de ces événements pour passer par pertes et profits tous les « réfugiés économiques » comme ils en ont déjà manifesté l’intention, au nom du bon sens, bien sûr. Ces réfugiés prennent les mêmes risques, ils arrivent parce qu’il n’y a plus aucune perspective pour eux chez eux. Eux aussi ont le droit de vivre, même si ce n’est pas une kalachnikov mais la faim qui les menace ou tout autre fléau2.
Les Politiques ont failli. Restent les grands organismes indépendants. Ils peuvent suppléer, même si les dirigeants ne les sollicitent pas. Nous avons encore entendu bien peu d’appels. Qu’attendent-ils ? Ils ont la charge d’exiger des Politiques les solutions pour la suite. Et pour l’urgence ils peuvent, ils doivent appeler les bonnes volontés qui sont là, les fédérer. Nous comptons beaucoup sur eux.
N’oublions pas qu’au-delà des armes, l’antidote à la guerre de haine est l’ouverture de l’amour.
L’Allemagne actuelle nous le montre, ne la laissons pas seule.
Marc Durand
1 – Nous tous en avons d’autant plus le droit que par ailleurs nous mouillons aussi notre chemise dans la réalité la plus crue.
2 – Je ne peux m’empêcher d’ajouter les Roms, européens eux, mais pour lesquels tout est fait pour leur fermer les portes. Alors qu’on supporte la misère des camps de réfugiés au loin parce qu’on ne fait qu’en apercevoir quelques images télévisées, on s’est très bien adapté à celle des Roms à nos portes… « ils ne sont pas comme nous… ».