Repenser les outils du "vivre ensemble"
Par delà les péripéties des querelles politiciennes et des stratégies présidentielles qui occupent le plus clair du temps des partis politiques, l’écologie constitue le nouveau paradigme qui doit nous amener à repenser les outils du vivre ensemble. Cette question ne saurait être la propriété d’un parti politique, fut-il écologiste.
La chronique des crises sans fin qui traversent le parti Europe Écologie les Verts démontre, s’il le fallait, la vanité de cette prétention. La société civile s’empare de plus en plus de cette question comme en témoignent, entre autres, les Assises chrétiennes de l’écologie tenues à Saint-Étienne le week-end dernier.
En effet, l’écologie suppose que nous interrogions les outils avec lesquels nous pensons l’économie. En 2011, l’ingénieur et socio-économiste Bernard Perret avait écrit un ouvrage remarquable intitulé Pour une raison écologique où il notait ceci : « Le souci du long terme constitue le noyau rationnel de l’attitude écologique, mais il est absent de contexte immédiat de la plupart de nos décisions. Nous sommes pris dans un flux continu d’actions et de choix qui s’enchaînent selon leur propre logique. (…) On vient nous rappeler à chaque instant que l’argent peut tout acheter et que rien n’est plus important au monde que de produire et consommer des biens monnayables, mais rien ne vient nous rappeler concrètement nos devoirs vis-à-vis de nos descendants » 1. Il concluait son livre par un appel à « cultiver l’intelligence écologique ».
Dans cet esprit, il vient de publier un petit ouvrage d’une centaine de pages, très utile pour tous ceux qui se sentent concernés par ce travail de refondation. Le cœur de son propos est de montrer que « les causes structurelles de la panne de croissance et la logique qui sous-tend les pratiques sociales de démarchandisation sont deux aspects d’une même situation historique » 2. La panne de croissance qui se prolonge à cause de « l’épuisement du cœur du réacteur de l’économie capitaliste, à savoir le mécanisme de transformation des besoins en marchandises et en profits financiers » est un des signes d’un changement d’ère. Il se traduit par l’évolution des pratiques de consommation qui donnent de plus en plus d’importance à l’usage plutôt qu’à l’acquisition 3.
Au terme de son ouvrage, Bernard Perret livre une « esquisse d’un programme de démarchandisation » avec une trentaine de propositions très concrètes.
 l’heure où l’économisme à court terme tient lieu trop souvent de pensée politique, le propos de Bernard Perret me semble essentiel : « L’économie n’est pas le bon langage pour dire la finitude du monde, pas plus qu’elle ne permet de fonder une position éthique face à cette finitude. La prise de conscience forcée à l’égard d’un écosystème fragile et limité constitue un changement majeur, une bifurcation brutale dans le cours de la civilisation. L’expansion du capitalisme industriel est indissociable du règne de l’objet manufacturé, appropriable et échangeable, dans lequel s’objective une richesse créée pour l’essentiel par le travail humain. La révolution écologique marque un changement radical dans le régime de la rareté : les biens rares autour desquels va devoir s’organiser l’activité sociale ne sont plus ceux que le travail humain peut produire, ce sont les ressources vitales fournies gratuitement par la nature. Ces biens devront être gérés collectivement sur des bases politiques et non en fonction de leur valeur marchande » 4.
Bernard Ginisty
1 – Bernard Perret : Pour une raison écologique, éditions Flammarion 2011, page 96.
2 – Bernard Perret : Au-delà du marché les nouvelles voies de la démarchandisation, Éditions Les Petits matins, Institut Veblen pour les réformes économiques (diffusion Seuil) 2015, page 13.
3 – Id. « Durant les deux dernières années, 52% des Américains ont loué ou emprunté le genre d’articles que les gens possèdent habituellement. Plus de huit Américains sur dix (83%) disent qu’ils adopteraient ce type de pratique si c’était facile à mettre en œuvre ».
4 – Id. page 21.