Remarques inquiètes sur le cinéma

Publié le par Garrigues et Sentiers

Fan de cinéma ou plus exactement de films, je m'interroge sur quelques tics du cinéma contemporain. Que les choses soient claires : il y a toujours de grands films, voire des chefs-d'œuvre, et il y a toujours eu des navets. Je ne citerai nommément aucun film, d'abord parce que des goûts et des couleurs… mais surtout parce que ces remarques veulent rester générales : simples observations d'un "consommateur de films" quotidien. À chacun de vérifier si elles sont fondées. Néanmoins, certaines négligences, semblant se banaliser, suscitent l'inquiétude des amateurs du 7e art.

Il est difficile de parler des metteurs en scène : ils sont si différents depuis le planificateur tyrannique, qui ne supporte aucune faiblesse, aucune liberté chez ses acteurs, qu'il mène au knout, jusqu'au coordinateur faisant confiance à ses interprètes et tolérant (ou suscitant) les improvisations, l'un et l'autre peuvent obtenir de bons ou de mauvais résultats. Et puis, il y a le négligent, qui permet de s'interroger sur la nécessité couteuse d'en avoir un.

Mais quelle vigilance les ingénieurs du son gardent-ils pendant le tournage, durant la postsynchronisation ou le mixage ? Dans combien de films, bons par ailleurs, entend-on mal les dialogues parce qu'une musique aussi envahissante que tonitruante vient empêcher de saisir les paroles ? À moins, l'occasion rare peut s'en présenter, que ce soit volontaire, afin de conserver le mystère sur les échanges en cours ("astuce" très courue dans les films d'espionnage).

À propos de musique de film, on a dit parfois que la meilleure est celle qu'on ne remarque pas. Ce n'est, hélas, pas le cas général. Il existe trop souvent un hiatus entre le style du film et la musique mise en résonance. Celle d'un western ne convient pas pour un bal à la cour d'Autriche à la fin du XIXe s. ou une scène d'amour romantique, et réciproquement. La chanson "américaine", rock ou country, pour talentueuse qu'elle puisse être, ne vaut pas pour n'importe quoi, pas plus que le Also sprach Zaratoustra popularisée par 2001, L'Odyssée de l'Espace… tellement goûté par les vidéos de pubs, ou tel passage de Schubert.

Autre difficulté d'écoute… Il y a, certes, d'authentiques comédiens parmi les jeunes acteurs qui se bousculent au balcon de la renommée. Pourquoi ne leur apprend-t-on pas à articuler. Le bafouillement rapide, mangeant les syllabes pouvaient passer pour un signe d'authenticité dans des films sur les banlieues "sensibles", mais il a gagné tous les milieux sociaux. Tout le monde ne peut avoir la diction de Michel Bouquet, Michael Lonsdale ou de Fabrice Luchini (qui parfois en fait peut-être un peu trop, mais au moins on le comprend !). Il y a sans aucun doute une attention à porter à ce problème dans les castings, car le spectateur a le droit de comprendre ce qu'est censé dire un acteur ; il a payé pour cela.

Après l'ouïe, la vue : il est normal qu'une scène censée avoir lieu la nuit soit sombre. Il n'en demeure pas moins vrai que, dans certains films (thriller si possible), on passe de longues minutes dans un noir relativement absolu. Les maîtres expressionnistes allemands ont aimé l'ombre, la nuit. On voyait pourtant ce qui se passait dans leurs scènes, tout en restant conscient que ça avait bien lieu la nuit ou dans un local non-éclairé.

Reste, parmi beaucoup d'autres, une question loin d'être mineure : le scénario. La question devrait être relativement facile à résoudre quand il s'agit de l'adaptation d'une œuvre littéraire : roman, pièce de théâtre, etc. Encore faut-il que les "adaptateurs" n'estropient pas le texte en le tirant dans un sens qui n'a rien à voir avec celui voulu par l'auteur (le droit de la propriété intellectuelle ou artistique, ça existe ?). Beaucoup de films de second ordre paraissent ne pas avoir de texte préétabli. Bien sûr, on connaît des maîtres d'œuvre qui remettent les répliques au jour le jour, soit qu'ils ne sachent pas à l'avance ce qu'ils vont exprimer, soit qu'ils veuillent préserver la spontanéité des interprètes. Suis-je un spectateur primaire ? Subis-je une déformation scolaire ? J'aime bien qu'un film (ou un livre) développe une histoire avec une présentation, un déroulement, une conclusion (comme dans une bonne dissertation, va-t-on me reprocher). Or, on a parfois l'impression que la succession de scènes, sans forcément de lien organique, pourrait durer longtemps et qu'on n'en saurait pas plus à la fin sur le fond de l'histoire, comme si on visionnait une série de diapositives.

Dans les films dits d'action, la priorité, réservée à l'action précisément, se manifeste par des explosions, dont on se demande comment les protagonistes humains parviennent à se sortir, des poursuites sans essoufflement apparent, des mitraillages surabondants qui ne tuent (presque) personne. Tout ce remue-ménage – spectaculaire, convenons-en – cache trop souvent la médiocrité du propos. Ne parlons pas des scènes obligatoires, quoique non-indispensables, de copulation, si possible dès le début du film…

Bref, s'affichent de nombreux films qui ne disent rien et où l'on s'ennuie…

Marc Delîle

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J
Je souscris aux "remarques inquiètes" de M. Delîle. J'ajouterai que, ce qui peut passer — si l'on est indulgent — pour de l'inattentions ou des négligences, est d'autant plus incompréhensible que, comme les génériques en font foi, le moindre film est l'"œuvre" d'une foule de collaborateurs, assistants des collaborateurs, adjoints des assistants…  À quoi servent-ils ? Qui est chargé du contrôle final du produit ?
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