Paradoxes de la prière
Un type de prière ne devrait pas susciter de question pour un croyant, du moins faut-il l'espérer, c'est la prière de Louange ; elle nous annonce l'éternité et nous y prépare. Elle est l'expression de notre relation personnelle à Dieu ; elle peut devenir notre raison d'être, notre souffle vital, comme pour le moine, dont elle est l'occupation principale.
La prière de remerciement apparaît tout aussi "naturelle". J'ai reçu du Seigneur, je lui rends grâce, non pas dans une relation comptable, mais en juste retour : « Quid retribuam pro omnibus quae retribuit mihi […] nomen Domini invocabo … » (Psaume 115,3). Elle n'est d'ailleurs pas éloignée de la prière de louange, puisque, dans les deux cas, on « sanctifie son nom ».
Il peut, en revanche, y avoir ambiguïté dans la prière "de demande". D'abord parce que nous implorons souvent pour tout autre chose que ce que Dieu veut nous donner, alors qu'il sait mieux que nous ce dont nous avons vraiment besoin. Il nous propose la sainteté, tandis que nous lui réclamons une réussite matérielle, des amours terrestres heureuses (et pourquoi pas multiples), de nous sauver de la maladie et de la mort…
Mais qu'est ce qui est meilleur pour nous ? La mort, dans notre foi, ne devrait-elle pas nous apparaître comme la "porte" pour l'ailleurs ?
Ensuite, en cas d'échec, nous avons tendance à rendre responsable le "Bon Dieu", qui est dit "tout-puissant". Si notre requête ne marche pas, on en déduira qu'il n'est pas bon ou qu'il se révèle impuissant. C'est souvent ce que lui reproche le "monde" face aux souffrances générées par les guerres et la misère. Certes, « ses décisions sont insondables », comme dit Paul, et ses chemins qui ne sont pas les nôtres (Marc 6,33) peuvent paraître occasionnellement obscurs, voire – à vue humaine – scandaleux. Cela nous permet d'oublier que c'est nous qui faisons les guerres, qui créons la misère par une organisation injuste de la société. Dieu devient l'alibi de nos défauts, de nos lâchetés, de nos crimes, surtout depuis que la notion de péché est mal vue et rejetée.
La prière n'offre aucune assurance de certitudes. Elle n'octroie jamais de points cadeaux. Elle est une voie difficile. On sait par quels doutes crucifiants ont pu passer de grands saints, telles Thérèse d'Avila ou Thérèse de Lisieux.
La prière peut être un dialogue, elle ne supporte pas le bavardage ; elle est une marche de foi, par des chemins souvent raides, cahoteux, malaisés.
Elle se réduit parfois simplement à un temps dédié à Dieu, temps vide peut-être, mais vide de notre vide, et il faut être vide pour que l'Esprit de Dieu puisse imploser en nous.
Notre prière ne peut s'animer, se réanimer, que par la venue de l'Esprit, qui est rien moins qu'assuré en temps et lieu, surtout si on ne lui demande pas de nous inspirer, de dire « abba » (Galates 4,6) à notre place d'handicapé spirituel.
On doit alors s'abandonner à lui avec confiance : au Père par le Fils dans l'Esprit, non dans un stérile quiétisme, mais dans cette confiance totale, qui se nomme "espérance".
Albert Olivier