L'Esprit prend corps en Église
Un autre regard, une, nouvelle manière, inspirés par la spiritualité ignatienne,
de dire la place et le rôle de l' Esprit dans l’Église :
il est celui qui préside à la communion et à la mission.
Quand on parle d’Esprit, de corps de l’Église, une première donnée est à rappeler.
L’Esprit est auteur de la Communion
Un verset de la seconde Lettre de Paul aux Corinthiens, modifié légèrement pour des raisons euphoniques, est devenu l'une des salutations liturgiques qui ouvrent la célébration eucharistique dans le rite de notre liturgie romaine : « La grâce de Jésus notre Seigneur, l'amour de Dieu le Père et la communion de l'Esprit soient toujours avec vous ».
La force de l'habitude ou l'inattention risque de nous faire passer à côté de ce message qui a traversé les siècles : l'Esprit est communion, et pour cela même auteur de cette communion. Il est l'Esprit du Père et du Fils dans le mystère du Dieu Trinité. Il est l'amour du Père et du Fils, le Don qu'ils se font l'un à l'autre. Ce qu'il est essentiellement dans le mystère de la Trinité, il l'est tout aussi essentiellement dans le mystère de l'Église : il y est auteur de la communion. C'est-à-dire qu'il relie les croyants avec le Christ pascal et qu'il relie les croyants entre eux.
« L'Esprit prend corps en Église » au sens de faire prendre corps et de faire vivre le corps comme corps. Cette action de l'Esprit passe par l'organisation et les organismes du corps ecclésial, par les formes communautaires d'animation, de rassemblement, de prise en charge. L'action de l'Esprit ne va pas sans le corps, sans faire vivre le corps, sans faire prendre corps ni sans bénéficier de ce qui prend corps.
LE DEVENIR CORPS DANS l'ESPRIT
« L'Esprit prend corps en Église », l'expression évoque un devenir. Comment l'Esprit travaille-t-il à ce devenir ? Affinons notre analyse à partir du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie, sacrements dits de l'initiation chrétienne, c'est-à-dire du devenir chrétien, du devenir membre du Corps du Christ.
Le baptême
Écoutons saint Paul : « C'est dans un seul Esprit que nous avons été baptisés en un seul corps, juifs ou grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d'un seul Esprit » (1Co 1,12-13). Entendons bien : « dans un seul Esprit, baptisés en un seul corps », formule qui est à comprendre selon son sens littéral : « dans un seul Esprit, nous avons été baptisés à un seul corps ». Voilà qui rend compte de l'incorporation au Corps du Christ ressuscité qu'opère l'Esprit-Saint par le baptême. Dans le baptême « d'eau et d'Esprit » s'accomplit pour tout chrétien le devenir corps.
Ce qui marque ainsi l'être chrétien en son origine le marque tout au long de sa vie de foi au cœur du monde. L'Esprit-Saint est toujours l'Esprit des origines. L'Église demeure saisie dans le mouvement de son engendrement dans l'Esprit qui a jailli de la pâque de Jésus. Parler ici d'origine, ce n'est pas parler d'un événement enfoui dans le passé, mais de ce qui est fondateur et qui, par cela même, traverse le temps et demeure contemporain du déroulement de l'histoire. Dans cette perspective « l'être chrétien » est profondément marqué d'un devenir corps. C'est là une marque originelle et donc essentielle, qui demeure une référence constante pour comprendre la vocation chrétienne.
La confirmation
L'Esprit prend corps en Église quand il réunit des hommes de différentes cultures qui reçoivent dans leur propre langue la proclamation de la Bonne Nouvelle. C'est alors que se déploie dans toute sa dimension le mystère pascal du Christ : mystère de la mort et de la résurrection du Christ et, dans un même mouvement, mystère du don de l'Esprit, dans la naissance de l'Église.
Le récit johannique nous le donne à entendre, qui nous montre Jésus ressuscité donnant l'Esprit-Saint à ses apôtres qu'il envoie : « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. Cela dit, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l'Esprit-Saint » (Jn 20,21-22). Ainsi comme le mystère pascal s'accomplit dans le don de l'Esprit-Saint, ainsi la participation au mystère du Christ mort et ressuscité, inauguré par le baptême, s'accomplit dans le sacrement de la confirmation. Au long des générations, l'Esprit prend corps en Église à travers des chrétiens adultes, confirmés dans leur foi, et en qui prend sens la parole du prophète Isaïe, reprise dans l'évangile de Luc : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m'a consacré par l'onction (...) ». L'Église, corps du Christ, se reconnaît comme une communauté de baptisés libres dans l'Esprit.
L'eucharistie
L'eucharistie – comme la réflexion et la réforme liturgique issues de Vatican Il ont aidé notre Église latine à le découvrir – est précisément le sacrement de l'Esprit-Saint. C'est dans la force de l'Esprit que l'eucharistie est célébrée, ce que met en relief particulièrement la double invocation de l’Esprit-Saint - les épiclèses - et sur les offrandes, pain et coupe, et sur l'assemblée. Ainsi, par exemple, l'invocation sur les offrandes de la deuxième Prière eucharistique : « Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit, pour qu'elles deviennent pour nous le Corps et le Sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur ». L’Esprit y est invoqué sur le pain et la coupe pour faire advenir au sein de l'assemblée la présence sacramentelle du Christ ressuscité, source de vie par son Corps donné et son Sang vexé.
La communion au Corps et au Sang du Christ, comme l'exprime saint Paul dès l'origine, fonde et crée la communion entre les communiants : « La coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas communion au corps du Christ ? Parce qu'il n'y a qu'un seul pain, à plusieurs nous ne sommes qu'un seul corps, car nous participons à ce pain unique » (1Co 10.1é-17).
« L'unité ainsi constituée n'est pas seulement d'esprit, mais d'Esprit-Saint, où tous sont fondus en un seul Esprit par le feu de la charité » (Francois-Xavier Durrwell, L'Esprit-Saint de Dieu, p.90).
Ce devenir corps, qui se fonde sur la communion au même corps et au même sang du Christ, est référé a l'Esprit dans la seconde épiclèse, invoquée sur l'assemblée. Citons celle de la quatrième Prière eucharistique : « Accorde a tous ceux qui vont partager ce pain et boire a cette coupe d'être rassemblés par l’Esprit-Saint en un seul corps, pour qu'ils soient eux-mêmes dans le Christ une vivante offrande à la louange de ta gloire. » Ainsi l’Esprit-Saint, qui rend possible la célébration eucharistique et renouvelle la création dans le mémorial de la pâque de Jésus, investit de sa force l’assemblée célébrante et la transforme. Rendue disponible a l’action de l’Esprit, l’assemblée est a même de devenir, dans sa communion au Christ pascal, présence vivante du Christ, Corps du Christ au milieu du monde.
Mais devenir « un seul corps », devenir Corps du Christ, c'est le devenir à la manière du Christ, L’Envoyé du Père, offert et livré totalement. La célébration eucharistique introduit à une existence eucharistique (ou eucharistiée) - qui est aussi une existence apostolique - où le chrétien devient avec ses frères et ses sœurs corps ecclésial donné, pain rompu et coupe offerte pour le service fraternel.
Le « devenir corps dans l’Esprit » révèle alors toute sa richesse et sa dynamique. Quand l’Esprit prend corps en Église, il est créateur non seulement d'une communion, mais encore d'une communion missionnaire et apostolique. L'Esprit qui fait prendre corps et qui prend corps dans l’Église, qui donc rassemble, est aussi, et dans le même mouvement, celui qui envoie et qui envoie pour vivre au cœur du monde a la manière du Christ Serviteur. C'est là un rythme essentiel à la vie de l’Église. Le rassemblement pour l’envoi est lui-même orienté vers le rassemblement. « Allez dans la paix du Christ », nous est-il dit au terme de la célébration eucharistique ; « Allez », au sens des paroles adressées par Jésus à ses disciples : « C'est moi qui vous ai choisis et établis pour que vous alliez et portiez du fruit » (Jn 15,1é).
La communion est tout à la fois source et fruit de la mission. Toute communion est missionnaire. Ainsi s'enrichit la formule dont nous sommes partis : « L'Esprit prend corps en Église ». L'Esprit fonde un devenir dans le devenir du Corps, et ce devenir est missionnaire. Une évidence alors s'impose : toute vie chrétienne, si personnelle soit-elle, est communautaire, « corporative », ou encore « communionnelle », c'est-à-dire marquée d'une dimension sociale essentielle. En d'autres termes, la vie de Dieu nous est communiquée en ce qu'elle est, communion et fondatrice de communion. La vie ainsi reçue ne peut pas ne pas communiquer sa dynamique propre : l’ouverture à l’autre, aux autres, le devenir corps avec d'autres, et corps offert a la manière du Christ. On ne devient pas chrétien sans le devenir avec d'autres et pour d'autres, toujours plus autres.
Claude Viard s.j.
La Baume
Cet article est tiré, sous une forme modifiée, d'une contribution faite par l'auteur au congrès de la Communauté Vie Chrétienne France (Lille, Pentecôte 1995).