L’Esprit dans la Trinité
L’ESPRIT, nous l'avons reconnu à l'œuvre en nous dans l'expérience que nous en faisons, dans la vie de l'Église dont il est l'âme et où il prend corps dans les sacrements ! Mais qui est-il en lui-même ? La réflexion chrétienne s'est posé cette question, bien avant de pouvoir répondre : la troisième personne de la Trinité. Ce qui, au premier abord, avouons-le, ne nous éclaire pas beaucoup ! Pourtant, c'est bien ce que nous confessons quand, dans nos professions de foi, nous affirmons croire au Père, au Fils et au Saint- Esprit, les unissant dans une même adoration et une même gloire !
Aux côtés du Père et du Fils
Souffle, vent, feu, chaleur, source… L'Esprit se réfère toujours à une origine et à un terme, mystérieux et insaisissables mais réels. C'est dire par là que, si nous ne le connaissons qu'à travers ses effets, nous ne pouvons aussi le définir qu'en relation avec ce dont il procède et ce vers quoi il va. Scrutant les évangiles, la théologie chrétienne dira : il procède du Père et il repose sur le Fils ; il remonte du Fils vers le Père, entraînant avec lui tous ceux pour qui le Fils a donné sa vie.
Il est l'amour saint et désintéressé dont le Père est la source. Il est la tendresse du Père pour tout ce qui naît de lui. À ce titre, c'est dans le Fils d'abord qu'il demeure, suscitant en lui l'action de grâces éternelle pour le don reçu du Père. C'est bien ainsi que les évangiles le présentent dans la scène du baptême et tout au long de la vie publique de Jésus. Il est l'Esprit qui guide le Fils, l'inspire en tout ce qu'il dit et fait, si bien qu'on peut dire de lui qu’il est l'Esprit de Jésus.
Il est aussi l'Esprit que Jésus va remettre au Père dans sa passion : lorsque tout aura été accompli (Jean 19,30). Il préside donc à l'attitude « eucharistique » qui est celle du Fils dans sa vie et dans sa mort, offrant au Père tout ce qu'il est et jusqu'à l'Esprit qui l'anime.
Il est entre le Père et le Fils cet échange continuel de don et de reconnaissance qui constitue leur amour mutuel. Entre eux, il y a un amour sans mesure, fort et éternel qui les lie l'un à l'autre d'un lien indestructible. Les Pères de l'Église ne craignaient pas de dire de l'Esprit qu'il est le baiser qui unit le Père et le Fils.
Le peintre avignonnais Enguerrand Quarton, l'a admirablement traduit dans Le couronnement de la Vierge : les deux ailes de la colombe, qui symbolise l'Esprit, naissent comme un souffle des lèvres du Père et du Fils qu'elles unissent sans les confondre. Inséparable du Père et du Fils sans lesquels il n'existerait pas, l'Esprit a cependant sa vie propre. Il est celui qui est en même temps aimé par le Père et le Fils. Il arrache leur relation à la stérilité du jeu de miroir où chacun se contemple dans l'autre et l'ouvre à l'altérité... Là où il pourrait y avoir complaisance réciproque dans le dialogue éternel de l'origine et de l'image, il introduit une ouverture. Parce qu'il est le co-aimé du Père et du Fils, il ouvre leur amour sur l'infini du don. Aussi, l'Esprit sera-t-il le don parfait du Père et du Fils, la communication de leur amour vivifiant. La prière chrétienne du Veni Creator aimera lui donner ce nom : « Altissimi donum Dei ».
Le Fils, en se liant par l’lncarnation au monde né de l'amour du Père, va entraîner au cœur de la création l'Esprit qui demeure en lui. Dans sa passion, il le remettra au Père pour qu'il puisse, en son nom, le remettre à ses frères : « Recevez l’Esprit-Saint » (Jn 20,22).
L’Église, dès les origines, avait pris l’habitude de prier le Père, par une même adoration et une même gloire. Lorsqu’elle a réfléchi sur la relation qui unissait en un seul et unique Dieu le Père et le Fils, elle n’a pas pu ne pas évoquer aussi l’Esprit. Elle se serait crue infidèle à l’Écriture, en particulier à l’Évangile, si elle n’avait dit de l’Esprit que ce qu’elle disait du Fils, à savoir qu’il était, lui aussi, Dieu de Dieu, lumière née de la lumière, de même nature que le Père… et qu’il devait être, avec le Père et le Fils, confessé et adoré.
Dans une communion parfaite
Mais en affirmant la parfaite égalité du Père, du Fils et de l'Esprit, en leur accordant à tous les trois la même adoration, l'Église ne renonçait-elle pas a ce qui avait été l'essentiel de la foi d’Israël : l'affirmation d'un Dieu unique ? Les chrétiens des premières générations ne se sont pas posé la question, tant il était évident pour eux que le Père et le l’Esprit ne faisaient qu’un, qu'ils étaient inséparables l’un de l’autre et qu’il était impossible d'aller au Père sans passer par le Fils et sans vivre de l'Esprit. Mais devant les questions des Juifs et des païens, qui les accusaient de tri-théisme, il leur a bien fallu tenter de trouver des réponses.
La simple confession de foi en un Dieu un dans son essence et trine dans sa révélation ne suffisait plus. Il aurait été simple de dire que Père, Fils et Esprit n'étaient que trois noms employés tour à tour pour désigner la même réalité. Mais c'était là dépersonnaliser le message évangélique et vider de toute réalité le rôle du Fils et de l'Esprit dans notre salut. Il fallait donc tenir la distinction sans rompre l'unité. Ce n'est pas le Père qui s'est incarné et pourtant il est présent à tout ce que fait le Fils et réciproquement. Les théologiens chrétiens, après bien des hésitations, ont finalement retenu le mot personne pour traduire cette réalité que, dans la Bible, il y avait trois voix qui pouvaient parler au nom de Dieu. Ils ont immédiatement précisé que ces trois personnes n'étaient pas trois sujets indépendants et autonomes, mais qu'elles n'existaient qu'en relation l'une avec l'autre : la relation faisant partie de leur être essentiel.
Pour exprimer leur unité sans gommer leur distinction, c'est le mot communion qui a été retenu. Communion dans une même essence divine, dira la théologie occidentale, pour bien souligner qu'entre ces trois personnes il y a une unité de pensée, d'action, d'être... Communion dans la même origine : le Père, dira la théologie orientale, pour souligner la place du Père dans la Trinité. Au-delà des différences d'accent, l'important reste ce mot communion et tout ce qu'il évoque entre des personnes : dialogue, échange, partage, amour... C'est sous ce visage qu'il faut concevoir l'unité du Dieu de la Révélation chrétienne, pas un Dieu un, monolithique, mais un Dieu uni, relationnel. Ceci souligne bien ce qui différencie le monothéisme chrétien du monothéisme musulman par exemple.
L'unité, dans une perspective chrétienne, c'est la communion et sa perfection est celle du dialogue, de l'échange et du partage. Ce n'est pas sans conséquence pour nous qui sommes créés à l'image de ce Dieu-communion. La véritable image de Dieu en notre monde, ce n'est pas le saint, mais la communion des saints. Quand nous disons que « Dieu est amour », nous n'affirmons pas seulement qu'il est infiniment bon, nous témoignons qu'il est, en lui-même. dialogue, échange, partage ; nous confessons que son unité est communion.
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L'Esprit, qui est le lien d'amour du Père et du Fils, nous a introduits au cœur de la Trinité.
Michel Rondet s.j.
La Trinité de Dieu est le mystère de sa beauté.
Si on la nie, on a aussitôt un Dieu sans éclat, sans joie,
un Dieu sans beauté.
Karl Barth, Dogmatique 2, t. 1, p. 417