Des vacances au risque de l’inattendu
Pour beaucoup d’entre nous, les semaines qui viennent vont être un temps de vacances. Il serait peut-être bon de nous rappeler que ce mot définit un état de disponibilité. C’est donc le moment de prendre du recul avec ce qui nous conditionne tout au long de l’année. Faut-il encore que nous échappions aux « devoirs de vacances » prescrits par les publicités à l’« individu consommateur » évoluant dans un monde où tout est marchandise.
Au lieu de nous laisser séduire par les prétendues aventures sur mesure, le temps de la vacance peut être celui de la rencontre de l’inattendu, de la différence, de ce qui peut bouleverser nos synthèses toujours provisoires.
Nous sommes inondés de sites qui proposent des « rencontres » en tous genres : ils ont en commun de nous éviter le risque de la surprise. Or, comme l’écrit le philosophe Alain Badiou : « une rencontre véritable assume toujours l’idée d’être le début d’une possible aventure. On ne peut réclamer un contrat d’assurance avec celui qui a été rencontré. Puisque la rencontre est un élément incalculable, si on tente de réduire cette insécurité, on supprime la rencontre elle-même, c’est-à-dire l’acceptation que quelqu’un entre dans votre vie, et quelqu’un au complet. C’est justement ce qui sépare la rencontre du libertinage » 1.
Une rencontre réelle avec l’autre n’est possible qu’en refusant de s’enfermer dans des logiques identitaires : « Quand c’est la logique de l’identité qui l’emporte, écrit Alain Badiou, par définition, l’amour est menacé. (…) Dans l’amour, minimalement, on fait confiance à la différence au lieu de la soupçonner. Et dans la Réaction, on soupçonne toujours la différence au nom de l’identité ; c’est sa maxime philosophique générale. Au culte identitaire de la répétition, il faut opposer l’amour de ce qui diffère, est unique, ne répète rien, est erratique et étranger (…). Aimez ce que jamais vous ne verrez deux fois » 2.
L’évolution de nos sociétés suppose un changement de regard des citoyens qui va de pair avec des renaissances personnelles. Celles-ci intéressent peu les médias, car elles trouvent leur origine dans une fragilité et une vulnérabilité reconnues et non dans les injonctions à la performance, à l’excellence et à la compétition dont on nous rebat les oreilles. Le monde de demain se prépare par les inventions spirituelles, culturelles, psychiques, philosophiques, éthiques que devraient favoriser les temps de vacances.
C’est ce « métier d’homme » qu’Alexandre Jollien définit ainsi : « Je dois me battre contre l’esprit de pesanteur. Cette gangrène intérieure voudrait suivre des modèles, se cramponner aux fausses certitudes, prétendre tout maîtriser pour éviter la crainte qu’inspire cet éternel combat. Sacré métier d’homme, je dois être capable de combattre joyeusement sans jamais perdre de vue ma vulnérabilité ni l’extrême précarité de ma condition. Je dois inventer chacun de mes pas et, fort de ma faiblesse, tout mettre en œuvre pour trouver les ressources d’une lutte qui, je le pressens bien, me dépasse sans toutefois m’anéantir » 3.
Bernard Ginisty
1 – Alain Badiou, Entretien dans Télérama, août 2010
2 – Alain Badiou : Éloge de l’amour, éditions Flammarion 2009, page 83
3 – Alexandre Jollien : Le métier d’homme, éditions du Seuil 2002 p 91