Vivre les commencements
Les temps que nous vivons connaissent à la fois la résurgence des formes les plus barbares des fondamentalismes religieux et la diffusion d’un vague syncrétisme spiritualiste. La juxtaposition des aberrations commises au nom de religions avec la multiplicité des sollicitations du « marché » des croyances, des religions et des spiritualités peut conduire à une crise des identités comme l’écrit Gabriel Ringlet, vice-recteur pendant onze ans de l’Université Catholique de Louvain : « Face à ce qui apparaît bien comme une mutation générale du croire, les identités sont hésitantes, morcelées. Les institutions s’équivalent. On ne prend pas position (...) C’est le règne de l’adoucissant et de l’idéologie ramasse-tout (...) Croyances et pratiques deviennent interchangeables (...) J’aime entendre à ce propos la formule percutante du théologien orthodoxe Olivier Clément : L’homme ne se sauve pas en se dissolvant. Je ne cache pas que ces arrangements, ces bricolages idéologiques, ce syncrétisme doux, ce relativisme mou m’inquiètent presque autant que le fanatisme. Parce qu’ils conduisent à l’indifférence. L’indifférence à l’autre surtout »1.
Dans ce contexte, le théologien Joseph Moingt tente de définir ainsi l’originalité du Christianisme : « À notre époque où renaissent en différents endroits du globe de violents conflits religieux, il est important que le christianisme se signale par ce qui le différencie radicalement de toute autre religion, à savoir de n’être pas fondé sur du sacré, sur l’autorité d’une loi et d’une tradition immémoriales et intangibles, mais sur un Évangile, une Bonne nouvelle, une parole de libération et de paix »2.
Nous ne sommes pas condamnés à osciller entre l'identitaire communautariste et l'individualisme régulé par le seul marché mondial. À égale distance de l’intégriste religieux, idéologique, nationaliste ou ethnique et de l’individu consommateur avançant avec son caddie vers les nouveaux lendemains des croissances qui chantent, la voie évangélique amène à passer du particularisme des langues maternelles à une nouvelle naissance. Il ne s’agit pas de changer un système par un autre, mais de rester ouvert à un engendrement permanent. Dès le 4e siècle, Grégoire de Nysse définissait ainsi le cheminement chrétien : « Celui qui court vers Dieu devient toujours plus grand et plus haut que lui-même, augmentant toujours par l'accroissement des grâces (...) ; mais comme ce qui est recherché ne comporte pas en soi de limite, le terme de ce qui est trouvé devient pour ceux qui montent le point de départ de la découverte de biens plus élevés. Et celui qui monte ne s'arrête jamais d'aller de commencement en commencement vers des commencements qui n'ont jamais de fin »3.
Bernard Ginisty
1 – Gabriel Ringlet : L’évangile d’un libre penseur. Dieu serait-il laïque ? Éditions Albin Michel, 1998, pages 23-24
2 – Joseph Moingt : L’Évangile sauvera l’Église, éditions Salvator, 2013, page 87
3 – Grégoire de Nysse : Huitième homélie sur le Cantique des cantiques