Cheminements vers l’universel
Dans ma chronique du 6 juin dernier, je mettais en cause un certain syncrétisme spiritualiste qui prétendrait parvenir à une synthèse qui surplomberait toutes les religions. Un de mes lecteurs me reproche amicalement de « valider les conceptions communautaristes : c'est-à-dire la fixité d’appartenances auxquelles les individus-citoyens sont déterminés à s’incorporer par une prédestination tenant à leurs origines, à leur culture, à leurs croyances ».
Ce propos me permet de préciser davantage la réflexion.
S’il est important de poser un regard critique sur son identité d’origine, je pense qu’il serait illusoire de penser que l’on puisse faire l’impasse sur ses déterminations très concrètes car c’est à partir d’elles que l’on peut cheminer. C’est ce qu’exprime avec beaucoup de justesse Paul Ricœur lorsqu’il écrit : « Je suis très étranger à la notion d’un comparatisme, qui prétendrait se fonder sur une quelconque neutralité confessionnelle. On ne rencontre le langage que de l’intérieur d’une langue. Pour la plupart, nous sommes enracinés dans une langue maternelle ; au mieux, nous avons appris une autre langue ; mais comme on apprend une langue, c’est-à-dire à partir d’une langue maternelle et par des traductions. Il en est de même de la compréhension d’une religion qui s’effectue toujours à partir d’une religion de l’intérieur – qui n’est pas nécessairement la relation d’un croyant à sa confession »1.
La laïcité est un garde fou contre les dérives sectaires et fondamentalistes. En réagissant contre les tentations d'intolérance des religions, elle contribue à les renvoyer à leur vocation fondamentale d'éveil des hommes à la spiritualité et à l'engagement dans l'universel concret de la fraternité universelle. Mais, croire qu’elle occuperait une place qui surplomberait et toiserait toutes les langues maternelles historiques du sens et de la spiritualité, serait vouloir s’affranchir de sa propre histoire et s’égaler à l’universel. Et finalement substituer un cléricalisme à un autre.
À ceux qui croient un peu rapidement toucher les dividendes d’une critique en pensant avoir échappé à tout conditionnement, il faut rappeler ces lignes du médecin biologiste, philosophe et talmudiste Henri Atlan : « Avec l’athéisme et la démocratie, cette ouverture critique est ce dont l’Occident moderne a accouché comme source de salut. Chance de la modernité, mais risque aussi, de par son ouverture, car toujours fragile, toujours constitutionnellement à réinventer (...). Nous ne pouvons qu’aller de l’avant dans la pensée critique. Mais celle-ci ne peut-être aujourd’hui que la critique de la critique. Et, là, les enseignements traditionnels et non occidentaux sont d’une grande utilité ; non pas bien sûr comme justification à la régression et au renfermement pré-critique, mais comme moyens de distanciation et d’inter-critique, institution de multiples centres permettant à chacun d’être décentré part rapport aux autres »2.
Ce n’est pas dans l’évasion dans un univers abstrait, fut-il baptisé spirituel, mais dans un travail critique sur nos racines et la rencontre avec d’autres enracinements que nous avons quelque chance de progresser ensemble en humanité.
Bernard Ginisty
1 – Paul Ricœur, La critique et la conviction, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 254-255
2 – Henri Atlan : Tout, non, peut-être : Éducation et vérité, Ed. du Seuil 1991 p.53-54