« Les seuls vrais points de départ d'une communauté humaine qui aurait un sens »
(Vaclav Havel)
L’obsession de la sécurité habite l’homme moderne. Il n’y a plus aujourd’hui de vision du monde partagée sur l’avenir, ce qui conduit chacun à tenter de préserver son pré-carré et à rechercher des assurances tous risques. L’actualité est tissée d’événements issus de cette crispation sécuritaire qui se voudrait fondatrice d’un ordre planétaire. La sécurité est un des éléments clés des programmes électoraux dans nos pays comme le montraient encore les débats en Grande Bretagne à l’occasion des élections du 7 mai, déterminantes pour le devenir européen du Royaume-Uni. Ils portaient essentiellement sur l’insécurité posée par l’émigration intra-européenne et la tentation du repli nationaliste.
En posant ce que Pascal appelle « l’ordre de la charité » comme signification ultime de la réalité, la révélation du Christ met en cause ce type d’organisation du monde.
L’annonce évangélique subvertit et rend définitivement dépassée cette construction obstinée des sécurités. Faute d’accueillir cet amour premier, fondateur de toute réalité, la perversion s’empare des ordres anciens. L’obsession de sécurité conduit des sociétés riches à ne cesser de se défendre contre les pauvres et l’instinct de survie s’épuise dans des guerres qui se veulent « préventives ».
À ceux qui objecteraient que de tels propos sont déconnectés des réalités, je voudrais rappeler comment Vaclav Havel, qui a payé ses convictions au prix fort de la prison avant de devenir Président de son pays, entendait sa responsabilité d’homme politique :
« Il me semble que nous avons tous une tâche fondamentale à remplir, une tâche dont tout le reste découlerait. Cette tâche consiste
- à faire front à l'automatisme irrationnel du pouvoir anonyme, impersonnel et inhumain des idéologies, des systèmes, des appareils, des bureaucraties, des langues artificielles et des slogans politiques,
- à résister à chaque pas et partout, avec vigilance, prudence et attention, mais aussi avec un engagement total,
- à nous défendre des pressions complexes et aliénantes qu'exerce ce pouvoir, qu'elles prennent la forme de la consommation, de la publicité, de la répression, de la technique ou d'un langage vidé de son sens ; (…)
- à avouer qu’il y a dans l’ordre de l’être quelque chose qui dépasse toutes nos compétences ;
- à nous rapporter continuellement à cet horizon absolu de notre être, horizon qui – pour peu que nous le voulions – nous donne à découvrir et à expérimenter notre être toujours nouveau ; (…)
- à ne pas avoir honte d'être capable d'amour, d'amitié, de solidarité, de compassion et de tolérance, mais au contraire à rappeler de leur exil dans le domaine privé ces dimensions fondamentales de notre humanité et à les accueillir comme les seuls vrais points de départ d'une communauté humaine qui aurait un sens (…)
Vous trouverez sans doute cela très général, vague et chimérique, mais je sous assure que, malgré leur apparence naïve, ces paroles sont ancrées dans une expérience fort concrète du monde, une expérience qui n’a pas toujours été facile.
Si on veut bien me passer l’expression, je sais ce que je dis. »1
Bernard Ginisty
1 – Vaclav Havel : Extraits de La politique et la conscience. Texte lu le 14 mai 1984 à l’université de Toulouse-Le Mirail, lors de la remise, en son absence, du diplôme de docteur honoris causa. Publié in Essais politiques, Éditions Calmann-Lévy, 1989, Pages 243-247