Un silence assourdissant !
Depuis plusieurs années des chrétiens se font discriminer, chasser de chez eux, massacrer en Irak, en Syrie, au Nigeria, au Kenya et en bien d’autres pays pour ce qui est de la discrimination. Et cela dans le silence assourdissant de nos « élites ».
Un groupe de chant, dénommé Les Prêtres – ce qui aurait tendance à m’énerver ! – se voit interdire ses affiches dans le métro parce que leur concert est annoncé « pour les chrétiens d’Orient ». Au nom de la laïcité il serait malvenu de dire publiquement une solidarité avec un groupe, voire une communauté, discriminés ou – pire – massacrés.
On fait semblant de croire qu’il s’agit d’un groupe impliqué dans les conflits en tant que tel et donc peu défendable. On a reproché à ceux de Syrie de se faire protéger par Assad, mais on veut ignorer que les autres combattants les chassaient de chez eux ! Quant à ceux d’Irak ou d’ailleurs, quel motif a-t-on de les abandonner à la vindicte de groupes terroristes ? Pour d’autres, c’est le mot « chrétien » qu’il est interdit d’évoquer. Dans la France laïque, il n’y aurait plus de chrétiens, ni de Juifs, ni de musulmans, ni de francs-maçons, etc. : la laïcité contre le vivre-ensemble, la reconnaissance mutuelle, la solidarité citoyennC contre ce pour quoi elle a été conçue !!!
S’il s’agissait de Juifs, combien de voix – et la mienne en premier – se seraient élevées ? Et à juste titre. Dans l’antisémitisme, on ne demande même pas aux personnes discriminées, voire plus, si elles sont croyantes ou pas, pratiquantes ou non, défenseurs d’Israël ou non : on les discrimine pour ce qu’elles sont, parce qu’elles sont. Là est le scandale. Après, les bonnes âmes peuvent se justifier : si on est juif, on est riche, on est du côté des exploiteurs, on n’est pas « bon citoyen », etc. Amalgames insupportables, débiles, constructions a posteriori pour justifier l’innommable.
Actuellement, dans plusieurs pays du Proche Orient et de l’Afrique, le même processus s’applique aux chrétiens. Au Kenya, lors du dernier massacre (ce n’était pas le premier), on a abattu un à un (cela devrait nous rappeler quelque chose en France) des étudiants parce qu’ils étaient chrétiens, sans leur en demander plus. Et dans les massacres précédents, il y avait des enfants aussi. Les Chrétiens n’ont pas le droit d’être, tout simplement.
Alors pourquoi ce silence ? Que nous dit ce silence ?
- L’éloignement ? Cela joue, mais ce sont des pays que nous connaissons bien, avec lesquels nous avons des relations. Puis on n’en est pas au premier massacre, aux premières mesures d’expulsion, cela commence à faire beaucoup pour que cet éloignement suffise à nous faire taire.
- Parce que les chrétiens ont colonisé ? Cela est une des explications des exactions en certains lieux, mais ne peut justifier le silence. Toute la France (pour limiter notre propos) a colonisé, Jules Ferry en tête ! Et les chrétiens devraient-ils porter la responsabilité de ce qu’ont fait nos ancêtres ? Et qui plus est les chrétiens descendants des colonisés ? Être devenus chrétiens serait-il une tache indélébile, les rendant responsables collectivement ?
- Parce que les guerres de religion, l’Inquisition, ont montré une face sombre, criminelle du christianisme ? Remarquons d’abord que nous descendons tous de ces inquisiteurs, combattants au nom de la religion. Alors se dire chrétien aujourd’hui marquerait-il une connivence, une complicité avec tous ces crimes ? Quel amalgame ! Les massacres ne seraient-ils qu’un « juste retour de bâton » ? On voit le danger de tels amalgames : les Allemands ne peuvent pas être défendus parce qu’ils ont eu Hitler, les Juifs à cause de la politique d’Israël, les Musulmans à cause de Daesh, les Américains parce qu’ils ont massacré les Indiens, etc.
- Parce qu’en France les Chrétiens ne sont pas discriminés et forment même un groupe social visible, qui participe au dialogue et aux combats sociaux ? On peut (c’est mon cas) regretter bien des prises de position de la hiérarchie religieuse, les manifestations intempestives pour des positions rétrogrades. On peut lutter contre ces positions, ces démarches, ces lobbies, mais n’est-ce pas leur droit comme celui de tout groupe de citoyens ? De plus existe-t-il un « groupe chrétien » défini, comme s’il n’y avait pas tout en éventail de positions ? Dirait-on que tous les Juifs sont responsables des positions du président du CRIF ? Et encore celui-ci est-il élu, alors que, dans l’Église catholique au moins, la hiérarchie est malheureusement nommée, donc peut difficilement être amalgamée avec les fidèles de base. Les musulmans sont-ils identifiables à la Grande Mosquée de Paris ou celle d’Al-Aqsa …ou à l’État islamique ? Est-ce pour cela qu’il serait mal venu de soutenir les chrétiens massacrés en Afrique ou ailleurs ?
On touche une question fondamentale de la laïcité. La laïcité est le moyen de permettre un vivre ensemble, une solidarité des citoyens. Pour cela l’État doit rester neutre, ce qui se décline par des dispositions, lois ou règlements qui doivent permettre ce vivre ensemble (lois qui peuvent varier selon les circonstances : c’est le vivre en harmonie qui est le but). C’est le contraire de la discrimination. Que l’on soit athée, agnostique ou membre d’une communauté religieuse, du point de vue de l’État on est d’abord un citoyen, égal aux autres. Il semble que c’est la base sur laquelle l’ensemble des citoyens est d’accord. Lorsque le Front National profite des lois de la laïcité pour les détourner de leur but et les faire servir à la discrimination des musulmans, nous devons le combattre et nous le faisons. Nous défendons les musulmans quand ils sont discriminés parce que musulmans, de même pour les Juifs.
Garder le silence devant les massacres à répétition de chrétien, ou leur expulsion de leurs terres, c’est manifester que ce groupe ne mérite pas la même considération que les autres, c’est une atteinte grave à la laïcité.
Rappelons les paroles de Jésus la veille de sa mort : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tirés du monde, pour cette raison, le monde vous hait. Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : le serviteur n’est pas plus grand que son maître, s’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront… » (Jean 15,19-20).
Ces paroles s’appliquent probablement aux persécutés, encore qu’on ne leur laisse pas la possibilité de l’être à cause de leur foi mais seulement parce qu’ils appartiennent à un groupe honni, quelle que soit leur foi au Christ. Mais ces paroles ne doivent pas nous conforter trop vite lorsque nous constatons l’absence de solidarité de nos concitoyens en ces circonstances.
Cette haine que nous décelons peut être aussi le fruit de nos manquements, de notre façon d’agir dans la société en utilisant les moyens du pouvoir plutôt que du service, des contradictions entre nos discours et nos actes. Il est trop facile de nous donner bonne conscience et de nous croire discriminés à cause de notre fidélité au Christ.
C’est à lui de le décider, c’est à nous de regarder en face quelle est notre attitude dans notre société qui nous supporte si mal.
Marc Durand