« Tous Charlie » stop ou encore ?
Il y a trois mois, nous étions tous Charlie. Ou presque tous. La France communiait dans une émotion républicaine. Un pays entier se sentait libre, égal et fraternel. Chrétiens, juifs, musulmans, athées, agnostiques, français de toute origine, étrangers… c’était beaucoup plus qu’une belle image : un beau message que la patrie des droits de l’homme envoyait au monde entier. Si nous étions tous Charlie, ce n’est pas que nous étions tous d’accord avec Charlie, loin s’en faut. Mais nous avions, tous, conscience d’une forme de responsabilité, conscience de l’importance de la liberté de parole et de conscience. Très vite cependant, trop vite, les choses ont commencé à se gâter.
Il y a, d’une part, la nouvelle vague laïciste, qui pousse à la répression et à la censure. Certains ont voulu profiter de l’occasion pour régler leurs comptes avec telle ou telle religion, ou avec toutes. Spéculant sur l’inquiétude ambiante et sur la crainte de la contagion islamiste, les tenants d’une laïcité d’étouffement ont repris leur étrange combat. Ils ont marqué des points à gauche comme à droite. Pris à partie devant l’urne par une scrutatrice Front de gauche, le grand rabbin de Toulouse a failli ne pas pouvoir voter aux élections départementales parce qu’il porte une kippa. Nicolas Sarkozy – le même Nicolas Sarkozy qui, naguère plus inspiré, essayait de promouvoir une « laïcité positive » – s’est abaissé à vérifier qu’il y avait bien du porc au menu de toutes les cantines scolaires. Cette ambiance de chasse aux sorcières et de surenchère sectaire n’a rien à voir avec l’esprit de tolérance qui était et demeure l’esprit Charlie.
Il y a, d’autre part, le réflexe du politiquement correct qui lui aussi pousse à la censure, même si c’est pour des motifs opposés. Toute vérité ne serait pas bonne à dire, parce qu’elle risquerait de montrer du doigt une religion, en l’occurrence l’islam, ou une communauté, les musulmans de France. Au nom de cette belle intention, on se permet alors de trier entre les bonnes victimes et les mauvaises. On relativise les drames. On refuse de mettre des mots.
La semaine dernière, c’est la RATP qui a refusé que la promotion du concert des Prêtres à Paris mentionne que celui-ci est donné au profit des chrétiens d’Orient, invoquant une prétendue « neutralité » dans un conflit en cours. Certes, au bout du bout de son obstination déraisonnable, elle a fini par céder. Mais il a fallu pour cela quatre jours d’intense campagne sur les réseaux sociaux et de forte pression politique. Neutralité, vraiment ? Allons donc ! Quand les victimes sont chrétiennes, sont-elles moins victimes ?
Tout n’est pas perdu. Nous sommes peut-être en train de sortir de cette mauvaise passe, de cette navrante alternative entre intimidation au nom de la laïcité et intimidation au nom du refus de toute « stigmatisation ». Nous sommes peut-être en train d’accepter de mettre des mots sur les maux, sans tricher, sans stigmatiser, sans trier non plus.
Depuis la microscopique mais significative affaire de la RATP, depuis aussi le terrible massacre des étudiants du Kenya, un déclic s’est produit. Désormais, ô miracle, l’indignation publique inclut même les victimes chrétiennes du terrorisme, qui jusqu’à présent étaient regardées avec une certaine indifférence – que l’on se souvienne du silence gêné qui a suivi les incendies d’églises au Niger après la reparution de Charlie Hebdo.
En dénonçant mardi une « indifférence générale de la communauté internationale que seul le pape a tirée de sa torpeur coupable », le député radical Olivier Falorni a montré qu’un miracle était possible.
Jean-Pierre Denis
Directeur de la Rédaction de laVie