Petite méditation pascale
Le vendredi saint nous éprouvons de la compassion. Nous désirons mourir au péché, nous nous reconnaissons coupables 1. Et nous sommes inondés de joie le jour de Pâques, Dieu nous a sauvés ! Notre vie est transfigurée. L’eschatologie, cet avenir déjà là qui donne sens à notre vie et nous garantit le salut, prend toute sa place.
Mais pour passer du vendredi au dimanche, il y a le samedi. Pourquoi donc Jésus n’est-il pas ressuscité dès son passage par la mort ? Le voile du temple s’est déchiré, le monde a basculé, le sabbat commence, il aurait dû alors se lever ! Je n’avais jamais pensé à ce manque de logique. Que vient faire le samedi saint ? Jour bien réel où il est temps d’agir pour que Pâques advienne. Jour qui fait rentrer le temps dans l’économie du salut, jour de lutte et de jugement pour sauver le monde. C’est le premier jour de l’Apocalypse de la fin de l’Évangile de Matthieu.
Le Samedi, Jésus est descendu aux enfers. Nous le redisons lors de chaque Eucharistie : « Il est descendu aux enfers, le troisième jour (pas le second) il est ressuscité des morts ». Il est descendu aux enfers chercher ceux qui y étaient, tous ceux qui le précédaient.
Il nous faut faire mémoire de ceux qui nous ont précédés...
- Pas seulement les grands hommes, qui permettent d’expliquer l’histoire, qui servent d’exemple à nos egos individuels ou à nos nations et sur qui nous fondons notre être au monde.
- Mais aussi les sans-grades. Ils sont constitutifs de « l’autre » qui est au cœur de notre être-même. Les oublier serait couper une part de nous-mêmes, nous mutiler.
- Mais tous ceux qui ont souffert. Personne alors ne sera mort pour rien, n’aura souffert pour rien. Leur souffrance est reconnue par Dieu, à travers nous qui en faisons mémoire.
Faire mémoire pour les sauver. Eux aussi ressuscitent. Ils ont part à cette « vie éternelle » qui n’est pas infinie dans le temps, mais hors du temps. La Parousie est maintenant, la fin des temps a commencé. Il y a urgence à instaurer le salut. Aux enfers Jésus est venu les chercher tous pour que tous participent à sa Résurrection.
Jésus va chercher tous les exclus, les pauvres, ceux qui souffrent. Ceux qui s’enfoncent dans ces enfers, dans l’enfer. La Résurrection qui est en train d’advenir est un gage de résurrection pour tous ceux-là que nous oublions. Jésus va les chercher pour les mettre au premier rang. Cela nous choque, nous les bien-pensants, nous qui sommes remplis de richesse matérielle, bien installés, remplis aussi de richesse culturelle, spirituelle. Eh bien nous passons après. C’est dans les enfers que Jésus va chercher son peuple, qu’il en fait son Eglise. C’est par la part de nous-mêmes qui s’y trouve qu’il va nous accrocher…peut-être (rappelons-nous de la nécessité de revêtir la robe nuptiale – Matthieu 22,2-14 – même pour ceux qu’il a ramassés sur le bord du chemin). Nous ne voulons pas y croire car notre vie est désir – oh combien légitime ! de réussite. Cette réussite humaine est bonne et désirable, ne pas s’y employer serait mépriser notre propre humanité. Cette réussite est déjà comblée. Jésus, lui, va chercher ce qui est perdu. Notre réussite prend toute sa valeur quand elle est au service de ce qui est perdu. Ainsi le critère de réussite dans l’économie de la Résurrection est inversé : non pas ce qui nous met en première place, mais ce qui permet aux autres de réussir leur vie.
Alors probablement que Jésus vient aussi me chercher. Cela dans la mesure où je ne me suffis pas à moi-même. Dans la mesure où je me reconnais comme don de la part des autres et réponse aux autres, ouverture à eux et à travers eux ouverture à lui. Dans la mesure où je l’attends.
La Parousie annoncée par l’Apocalypse est à venir, elle vient, elle est déjà là. Elle arrive dans un combat pour détruire tout mal, et ce combat passe par la souffrance, les douleurs de l’enfantement disent les textes. La Parousie ne sera complète qu’après une rupture dans le temps et que tout sera repris. La Parousie est le salut de tous. L’Église voulue par Jésus, sa véritable Eglise qui est au fondement de notre foi, c’est tout le peuple ressuscité. Notre appartenance à l’Église passe par l’espérance de notre résurrection. L’Église ne sera complète qu’à la fin des temps, et jusque là il manquera quelque chose à notre salut à chacun. D’où cette attente, urgente, que nous avons tendance à oublier (chacun obtiendra le salut après sa mort, il s’en contente). Le salut n’est pas qu’individuel. Tant qu’il reste un homme à sauver, il demeure incomplet. Le Samedi saint Jésus a enclenché cette histoire du salut et tout n’a pas été terminé le lendemain.
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Après la descente aux Enfers du Samedi Saint qui ramène tous ceux qui nous ont précédés, arrive enfin le matin de Pâques, nous sommes libérés avec le Christ, appelés à la vie dès maintenant. De Pâques à la Pentecôte nous sommes conviés à méditer sur ce Salut qui nous est offert, sur ce Nouveau Monde qui advient.
Relisons Saint Paul : nous sommes morts au péché, nous sommes au-delà de la Loi.
Le Chrétien « ne connaît pas le péché parce qu’il est né de Dieu » (1Jean 3,9)
Alors pourquoi toujours revenir au péché ? Le Vendredi Saint n’est pas le point final ! Le péché est séparation d’avec Dieu, ce que nous appelons « nos péchés » ne sont bien souvent que des épiphénomènes qui marquent cette séparation, des défauts liés à notre condition d’humains, êtres finis et en construction, ils n’ont d’importance que relativement à cette rupture fondamentale. Cette rupture est en même temps séparation d’avec les autres hommes, et donc d’avec nous-mêmes. On comprend que les conséquences soient douloureuses, Dieu n’a pas besoin d’être un père fouettard, il ne nous fait pas souffrir pour nous punir, la souffrance liée à la rupture est notre souffrance. Par les prophètes Dieu n’a cessé de nous rappeler à lui, en nous disant où nous menait le péché. A-t-il condamné Adam et Eve, comme on le dit souvent ? Son jugement n’est-il pas plutôt une simple constatation ? L’homme sera errant et c’est dans la douleur qu’il avancera sur son chemin, à la recherche de l’unité avec lui-même qu’il ne trouvera qu’en faisant l’unité avec ses frères et avec Dieu.
« Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’ils soient en nous eux aussi » (Jean 17,21) 2
La création, qui était bonne, l’est restée. L’homme est toujours et encore appelé au bonheur, ici et maintenant. L’Ancien Testament est un hymne à cet amour de Dieu pour les hommes, ce Dieu qui veut changer notre cœur de pierre en un cœur de chair.
« Et je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair » (Ézéchiel 36,26).
Le temps pascal est un temps pour méditer sur cet amour qui nous appelle au bonheur. La Résurrection nous fait entrer dans la nouvelle création. Cela ne nous dispense pas de la Croix, présente dans ce travail quotidien de recherche de notre unité, car si la victoire est désormais certaine, elle n’est pas encore achevée. Mais ce qui nous anime, ce n’est pas la conscience du péché, les remords ou les regrets, la pénitence, ce qui nous anime c’est l’Esprit de Dieu, manifesté à la Pentecôte.
« Vous êtes manifestement une lettre du Christ […] écrite non avec de l’encre, mais avec l’esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de cœurs de chair » (2Corinthiens 3,3).
Quand nous accueillons ceux que nous aimons, attendons-nous d’eux qu’ils s’excusent de ce qu’ils ont fait de travers ? Qu’ils demandent pardon de leurs manquements ? Nous n’y pensons même pas, nous nous réjouissons de leur venue, tout simplement. Quand il reçoit le fils prodigue, le Père parle-t-il de son abandon ? Il n’en dit pas un mot, tout à la joie de retrouver celui qui était perdu. Jésus, lui, ne parle jamais du péché de ceux qu’il rencontre, il leur apporte la parole, la vue, l’ouïe, il les met debout sur leur chemin, il les sauve. Oui, nous savons que nous sommes pécheurs, mais de grâce, par la grâce même, cela est derrière nous ! Nous sommes dans la joie du Père. Quel Dieu fabriquons-nous qui, au nom de son amour, nous demanderait sans cesse de nous abaisser, de battre notre coulpe ? Serait-cela un Père ? La Résurrection est signe de la nouvelle création, de la liberté retrouvée qui nous permet d’accéder à l’amour. Nous étions errants, conduits par des bergers qui nous égaraient, Jésus est le berger qui nous rassemble pour que nous vivions. Nous sommes projetés en avant, vers le Père, et donc vers nos frères ‘le premier commandement est semblable au second), alors pourquoi toujours regarder en arrière en ramenant le péché ? Nous nous réunissons pour célébrer l’Eucharistie, ce partage du pain qui est le Corps du Christ, ce partage qui fait de nous les fils du Père et sanctifie tous les partages que nous faisons dans la vie de tous les jours, et voilà que nous avons encadré cette célébration d’une longue litanie d’aveu de fautes et de suppliques 3. Nous avons inventé une religion de la contrition, faisant de Dieu un être qui se complairait à nous voir nous morfondre, et nous prétendons qu’il nous aime et nous veut libres !
Le pain partagé, Corps du Christ offert à tous, est une fête. Le Père nous veut debout pour goûter sa bonté, bonté qui s’exprime dans la création qui est bonne et faite pour notre bonheur. Croyons-nous, oui ou non, au Salut qui est ce don de l’Esprit qui vit en nous ? « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi », le Christ qui, par l’Incarnation, peut vivre en nous sans altérer notre humanité. Le Salut n’est pas d’abord pardon des péchés (il l’est par ricochet pourrait-on dire) mais don de la vie.
« Je suis venu pour que les hommes aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance » (Jean 10, 10)
Notre esprit participe de l’Esprit de Dieu : ce que nous faisons, nous le faisons en union avec le Christ, nous sommes dans le monde avec lui (mais pas « du monde ») car par nous c’est l’Esprit qui anime le monde.
Ne serait-il pas temps de croire à l’Esprit qui vit en nous ? De se reconnaître libérés du péché et de la Loi ? Du moment que nous tenons à ce lien avec Dieu, le reste ne compte plus. Le Vendredi Saint nous a permis de méditer sur ce risque de séparation, ce risque de sombrer, sur les conséquences de tout ce qui nous sépare des autres et de nous-mêmes, mais il ne faut pas en rester là. Pâques a suivi et la Pentecôte est la fondation du Peuple de Dieu, habité par l’Esprit.
« Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères. Vous serez mon peuple, et moi je serai votre Dieu » (Ézéchiel 36,28)
L’Esprit que nous recevons est esprit d’amour, de bonheur et de joie partagés. Ne le trahissons pas en en faisant un esprit de tristesse, de culpabilité, d’abaissement. Reconnaissons que la création est bonne, que le bonheur est dès maintenant, et pour nous. Reconnaissons dans la Résurrection l’assurance que l’Esprit nous fait vivre car il est en nous.
« Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte […]. L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu. Enfants donc héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ. » (Romains 8,15-17)
Marc Durand
1 – Non une culpabilité malsaine mais une reconnaissance de notre humanité donc de notre responsabilité. Par les temps qui courent nous avons tendance à nier toute responsabilité. Il y aurait un « ça » qui nous a faits, à qui nous imputons nos fautes (notre éducation, nos malheurs, etc.). Mais alors nous nions notre liberté d’hommes, nous renonçons à notre humanité. Reconnaître son péché est un gage d’humanité.
2 – Mais cette unité n’est pas confusion. Elle ne peut exister qu’en respectant la différence, l’altérité, sinon elle serait meurtre de l’autre et inceste. «Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » (Mt 10, 34).
3 – Confiteor, puis Kyrie (« ayez pitié »), même dans le Gloria on éprouve le besoin de parler de l’agneau qui « porte le péché du monde », et cela continue avec l’Agnus Dei qui en remet une couche (« aie pitié de nous ») et enfin la reconnaissance de notre indignité pour partager le pain ! Et il s’agit d’un repas de fête ?