Résurrection
Le temps liturgique de préparation aux fêtes de Pâques m’a suggéré de relire un ouvrage de Christian Bobin intitulé Ressusciter. Je gardais le souvenir d’un texte fait d’éclairs lumineux et de l’attention au surgissement de ce qu’on nomme Dieu dans la plus humble de ses créatures. « J’ai trouvé Dieu, écrit-il, dans les flaques d’eau, dans le parfum de chèvrefeuille, dans la pureté de certains livres et même chez les athées. Je ne l’ai presque jamais trouvé chez ceux dont le métier est d’en parler » 1.
Son livre s’ouvre par ce récit de sa participation à la messe du jour de Pâques :
« Au moment de la communion, à la messe de Pâques, les gens se levaient en silence, gagnaient le fond de l’Église par une allée latérale, puis revenaient à petits pas serrés par l’allée centrale, s’avançant jusqu’au chœur où l’hostie leur était donnée par un prêtre barbu portant des lunettes cerclées d’argent, aidé par deux femmes aux visages durcis par l’importance de leur tâche – ce genre de femmes sans âge qui changent les glaïeuls sur l’autel avant qu’ils ne pourrissent et prennent soin de Dieu comme d’un vieux mari fatigué.
Assis au fond de l’église et attendant mon tour pour rejoindre le cortège, je regardais les gens – leurs vêtements, leurs dos, leurs nuques, le profil de leurs visages. Pendant une seconde ma vue s’est ouverte et c’est l’humanité entière, ses milliards d’individus, que j’ai découvert prise dans cette coulée lente et silencieuse : des vieillards et des adolescents, des riches et des pauvres, des femmes adultères et des petites filles graves, des fous, des assassins et des génies, tous raclant leurs chaussures sur les dalles froides et bosselées de l’église, comme des morts qui sortaient sans impatience de leur nuit pour aller manger de la lumière.
Cette vision n’a duré qu’une seconde. À la seconde suivante la vue ordinaire m’est revenue, celle d’une fête religieuse, si ancienne que le sens s’en est émoussé et qu’elle ne demeure plus que pour être vaguement associée aux premières fièvres du printemps » 2.
Ce texte traduit toutes les ambiguïtés des liturgies. Elles peuvent n’être que de vagues pratiques liées à une éducation et à un milieu. Mais c’est aussi un espace-temps, comme celui de la veillée pascale, qui nous ouvre à l’odyssée de l’humanité entière. S’il est un rôle qui revient au chrétien, c’est celui auquel Jean-Paul II appelait les jeunes lors de Journées Mondiales de la Jeunesse : « je vois en vous les sentinelles du matin ». Il fut un temps où on leur aurait enjoint d’être la jeune garde de la citadelle cléricale assiégée. Inviter les jeunes et plus généralement les chrétiens à être des guetteurs d’aurore, et non une milice gardienne de certitudes, c’est être attentif à découvrir en chaque être humain les germes d’une résurrection.
La lumière des matins de Pâques luit désormais par-delà nos ruines, nos échecs, nos déceptions. Non comme une pieuse et vaine consolation, mais comme l’éclatement fécond de ce qui paraissait l’évidence du monde. Elle éclaire cette histoire mystérieuse de la vie, qui, en dépit de tout, sait perpétuellement rebondir.
Cette lumière ne cesse de surgir au cœur de nos désarrois comme le chante l’antique hymne pascal Exultet et nous invite à ce que le poète René Char appelle « L’aventure personnelle, l’aventure prodiguée, communauté de nos aurores » 3.
Bernard Ginisty
1 – Christian Bobin : Ressusciter, Éditions Gallimard, 2001, page 60
2 – Id. pages 13-14
3 – René Char : Les Matinaux, Rougeur des Matinaux, XII in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard 1988, p. 332