Massacrer au nom de YHWH ?
Oui ! Dans la Bible, un grand nombre de massacres sont commis par YHWH lui-même ou en son nom.
Dans quels textes ? Comment les interpréter ?
1 – Dans quels textes ?
- Dans l’Exode, la libération du peuple d’Israël passe par la mort des premiers-nés égyptiens : ainsi parle le Seigneur : « Vers minuit, je sortirai au milieu de l’Égypte ; tout premier-né mourra dans le pays d’Égypte, afin que vous connaissiez que le Seigneur fait une distinction entre l’Égypte et Israël » (Exode 11,4…7)
- Lors de la traversée de la mer Rouge, « c’est le Seigneur qui combat pour Israël » ; après le passage du peuple, son ange ramène les eaux qui noient l’armée de pharaon. Moïse entonne alors un chant de guerre (Exode 15,3) : « le Seigneur est un guerrier… ». Plus tard, lors de la traversée du désert, « le Seigneur lui-même marche à la tête de son peuple » (Exode 13,21).
- Durant la conquête de la « Terre Promise », le Seigneur enverra devant Israël un ange qui chassera les peuples occupant le pays (Exode 33,2) et leur accorde la victoire sur les cananéens ; en échange, Israël doit les vouer à l’interdit (herem 1) les habitants et leur ville. Lors de la victoire sur Sihon et Og, rois des Amorites, est cité le livre des guerres du Seigneur (Nombres 21,14). C’est encore le Seigneur qui organise, comme un chef militaire, les recensements du peuple et de l’armée. En Nombres 31,13s , lors du combat contre les madianites, ils tuèrent tous les prisonniers, hommes, femmes et enfants, pour « exercer la vengeance du Seigneur sur Madian » ; pour obtenir ce massacre, Moïse dût se fâcher contre les chefs d’Israël qui avaient laissé la vie à toutes les femmes ; or seules les filles vierges furent épargnées par Moise, signe qu’il s’agissait bien d’une guerre sacrée.
- Josué, successeur de Moise, « s’incline devant le chef de l’armée du Seigneur » (Josué 5, 14). La ville de Jéricho est prise au cours d’une « liturgie guerrière » : la clameur poussée au moment de l’assaut, l’usage du cor, les 7 processions, la mention des prêtres précédant l’arche, tous ces éléments manifestent le caractère liturgique et guerrier du récit. Après Jéricho, toute la population de la ville d’Ai est passée au fil du rasoir. D’autres villes, celles du Sud notamment, sont vouées aussi à la destruction totale, suivant les commandements de Deutéronome 20,16.
- Sous les juges, YHWH reste le chef de guerre : Gédéon ne gardera que 300 hommes pour que la victoire soit attribuée à YHWH seul.
- L’épisode du rejet de Saül est révélateur : il a été écarté par le prophète Samuel pour deux motifs : ne voyant pas arriver le prophète, Saul offrit l’holocauste, geste réservé au prophète qui est l’intermédiaire entre Dieu et le roi ; autre grief : Saul épargna le roi Agag et le meilleur du bétail que le peuple ne voulut pas vuer à l’interdit ; par contre, en vrai « trafiquant », Saul avait voué à l’interdit toute la marchandise sans valeur (1Samuel 14 et 15).
- Sous la royauté, la guerre sainte se laïcisa : ce n’est plus YHWH qui est à la tête des armées, mais le roi.
- Plus tard, sous les Macchabées (167), la guerre sainte devient guerre de religion ; la révolte explose lorsqu’Antiochus Épiphane veut imposer à la Judée les mœurs et les cultes grecs. De nouveau, c’est « Yahvé qui donne la victoire ». (1Macchabées 7,40).
- Dans les écrits de Qumran, les combats apocalyptiques des forces du bien contre les forces du mal tiennent aussi une grande place.
Quelques siècles plus tard, sous les persécutions romaines, l’Apocalypse johannique décrira le combat eschatologique des forces du mal contre celles du bien et la victoire définitive de Dieu à la fin des temps.
2 – Comment interpréter ces textes ?
2.1 Ne soyons pas scandalisés par ces massacres au nom de Dieu ! Ces textes sont « normaux » à l’époque, car guerres et religions sont liées chez beaucoup de peuples du Moyen Orient et de la Grèce antique. C’est un contrat qui lie la divinité et son peuple ; la divinité assure ce qui est essentiel pour un peuple : la fécondité des humains, des champs et des troupeaux, ainsi que la paix et la victoire sur les ennemis. En échange, le peuple honore le die eu par des actes cultuels, en respectant ses lois. Dans l’Ancien Testament, ce « contrat » se fait sous forme d’une alliance qui reprend la structure des traités d’alliance hittites et assyriens. (Exode 19 et 20).
2.2 Ces textes sont-ils anciens ? Les datations ont beaucoup varié : vers les années 1950, les historiens et exégètes faisaient remonter ces traditions de guerre sainte à une période ancienne, au moment de l’installation d’Israël en Terre Sainte (1250ans av JC), ou au début de la période monarchique (vers 1000), et lors de la chute du royaume du Nord (Samarie) en 721.
Les recherches actuelles 2 s’accordent sur une date plus tardive, vers la période de l’exil après 581. Le genre littéraire des « guerres de YHWH » se serait développé à Babylone alors qu’Israël, exilé, n’ayant plus ni territoire, ni temple, ni culte, ni roi, confronté aux religions polythéistes florissantes de Babylone devait garder sa foi en Yahvé en se reconstituant une histoire de peuple de Dieu avec des traditions anciennes. Ce fut la façon du peuple d’Israël de dire non à l’oppresseur, d’abord à Édom, ensuite à Assur, à Babylone puis aux Grecs. Sa seule chance de subsister et de se reconstruire était de placer une confiance totale en Yahvé, seul Dieu et maître de l’histoire. Ce n’était donc pas un message de conquête illustrée par des guerres réelles, mais un approfondissement de sa foi : Dieu sauvera le peuple exilé, comme il l’a fait dans les origines.
Peu importe pour notre propos la datation exacte des diverses traditions. Car, nous l’avons vu, le lien entre les guerres et le culte à la divinité est fréquent dans toute l’Antiquité ;
Il est à noter cependant que dans les traditions , qu’elles soient anciennes au moment de l’installation ou plus récentes, au moment de l’exil, il ne s’agit en aucun cas de guerre de conversion comme dans les guerres saintes islamiques : dans la Bible, Israël ne se bat pas pour convertir les peuples vaincus (la conversion ou la mort), il combat pour sa survie, pour son existence ,pour un territoire au moment de la conquête ou pour subsister comme peuple de Yahvé au moment de l’exil.
2.3 Plus significative est l’évolution du thème de la guerre Sainte dans la Bible. Déjà lors de l’exil, apparaît la mystérieuse figure du serviteur souffrant, un serviteur qui ne sera plus le messie guerrier vainqueur, mais qui accomplira sa mission « sans éclat extérieur, dans la douceur, (Isaïe 42,2-3,) dans l’échec apparent ; traité comme un malfaiteur frappé par Dieu (Isaïe 53,4-12) il fut voué à une mort ignominieuse (Isaïe 53,8ss.) « En réalité, il s’est livré lui-même pour les pêcheurs dont il portait les fautes…. Il a fait de cette souffrance expiatrice le salut de tous » (Isaïe 53 6,10).
La tradition chrétienne a vu dans ce serviteur souffrant l’annonce de Jésus qui, au contraire des espoirs contemporains en des messies politiques vainqueurs des Romains, n’a pas vécu la carte militaire ; mais s’est laissé arrêter par les autorités religieuses et condamné par les pouvoirs politiques à la crucifixion, mort infâme réservée aux esclaves ; c’est dans cette mort même, par sa résurrection qu’il apporte le salut au monde.
Comme R. Girard 3 l’a remarquablement montré, la dynamique mortifère de la violence enclenchée depuis l’origine de l’homme et poursuivie par les tous les guerriers, rois messies, chef militaires a été totalement inversée par la mort de Jésus.
3 – Quelles conclusions tirer pour notre actualité concernant les guerres saintes et le djihad d’aujourd’hui ?
3.1 D’abord un message d’humilité : pour nous chrétiens, les guerres au nom de YHWH d’abord et puis au nom de Jésus-Christ avec les guerres de religion et l’inquisition, font partie malheureusement partie de notre tradition religieuse y compris dans notre belle région de garrigues… : nous avons un passé chargé !
3.2 Mais aussi un message de courage et de fermeté : la dynamique inaugurée par Jésus n’est plus celle de la violence guerrière qui ne mène à terme à rien : le chef doit se faire serviteur ; c’est peut-être la plus haute forme de violence inversée, ouverte par celui qui a dit : « je ne suis pas venu apporter la paix mais la guerre ».
3.3 Mais aussi un message d’espérance et de collaboration : pourquoi l’islam ne ferait-il pas aussi le cheminement que nous avons mis des siècles à parcourir ? Comment faire partager notre expérience religieuse de conversion ? Car il y a dans l’islam des jalons, dans le passé : ainsi la passion d’Halladj, martyr mystique de l’islam (mort en 922), et aujourd’hui par la réflexion faite par des croyants musulmans, même s’ils sont encore peu nombreux et s’ils font malheureusement moins parler d’eux que les assassinats de Daech.
Antoine Duprez
1.1 2015
1 – En ce qui concerne l’interdit, le Herem (Deutéronome 27,4) dans la guerre sainte, l’homme ne doit rien garder pour lui et doit tout « consacrer » à la divinité en détruisant tout, hommes et bêtes. C’était une pratique fréquente au Moyen Orient, comme le prouve l’inscription du roi Moabite Mesha au neuvième siècle av. J.C.
2 – les guerres de Yahvé, Anton Van der Linden Cerf 1990
3 – René Girard, La violence et le sacré, Paris 1972. Cf. aussi l’article du dossier Le Sacré intitulé René Girard, le sacré, la violence.