Accueillir la radicalité de la grâce

Publié le par Garrigues et Sentiers

Dans la grande tradition de l’Église, le temps liturgique du Carême que nous vivons actuellement est qualifié de « temps de la grâce ». Certes, comme l’écrit Georges Bernanos à la fin de son roman Journal d’un Curé de campagne : « Tout est grâce », car chaque moment de notre vie nous est donné. Cependant, ce temps de préparation à Pâques se révèle particulièrement propice à nous désencombrer de tout ce qui nous fait manquer le surgissement du neuf dans nos vies. Comprendre la Grâce, c’est accueillir la Bonne Nouvelle que quelque chose de radicalement neuf et de radicalement bon est à la base de nos vies. Nous sommes précédés par un don primordial qui nous fonde. Par delà nos erreurs, nos fautes ou les malheurs de nos existences, la source génératrice de vie est toujours présente.

Dans un de ses Sermons sur le Cantique des Cantiques, Bernard de Clairvaux fait dire au Christ : « Tu reprendras vie dans ma grâce, parce que tu auras compris que je suis plus indulgent encore que tu n’es coupable ». La grande mystique Catherine de Sienne fait parler ainsi le Christ : « Voilà le péché impardonnable dans ce monde et dans l’autre. C’est celui de l’homme, qui, en méprisant ma miséricorde, n’a pas voulu être pardonné. C’est pourquoi je le tiens pour le plus grave, et c’est pourquoi le désespoir de Judas m’attrista plus que sa trahison. Aussi, les hommes seront-ils condamnés pour ce faux jugement qui leur fit croire que leur péché était plus grand que ma miséricorde » 1.

Comme l’écrit Saint Paul « Là où la faute a abondé, la grâce a surabondé ».La générosité créatrice est infiniment plus forte que nos calculs, notre culpabilité et nos renfermements. La civilisation régnante de la marchandise tend à faire de nous des maquignons de l’essentiel. Or ce n’est que l’accessoire qui se vend et l’essentiel est toujours donné. Nous n’avons rien fait pour mériter de vivre, pour rencontrer la beauté et l’amour, pour être pardonné. Tout cela nous arrive comme une grâce. La conscience d’être fondé non pas sur nos savoirs, nos richesses, nos sécurités ou nos supposées vertus, mais sur cet improbable qu’est la Grâce amène à penser nos vies, non comme un plan de carrière, mais comme la participation au flux vital de la gratuité. Comme l’écrit avec beaucoup de justesse René Habachi dans son ouvrage, Théophanie de la gratuité, « la grâce n’est pas une force extérieure se greffant du dehors, mais une source surgissant du dedans de la liberté, quand celle-ci enfin se décrispe et se détache de ses adhérences. Alors monte le flot d’une vie plus intérieure que la vie » 2.

Bernard Ginisty

1 – Sainte Catherine de Sienne : Dialogue 37, Éditions du Seuil 1953, page 127
2 – René Habachi : Théophanie de la gratuité, Éditions Anne Sigier, 1989, page 94

Publié dans Réflexions en chemin

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L
" Voilà le péché impardonnable dans ce monde et dans l’autre. C’est celui de l’homme, qui, en méprisant ma miséricorde, n’a pas voulu être pardonné." : il était bon de remettre sous nos yeux que là est le "péché contre l'Esprit'', le seul, et que la force nécessaire pour ne pas s'y soumettre réside dans la foi en la Grâce - foi si admirablement résumée et contenue dans l'insondable beauté de formule de Bernanos : « Tout est grâce », formule qui nous met en face de "la splendeur de la vérité".(souvent évoquée à des titres bien discutables ...). Le temps de Pâques, de la double confrontation avec les mystères corrélés de la Rédemption et de la Résurrection, est par excellence celui qui se prête à la méditation sur cet infini de la Grâce. Merci de nous l'avoir remis en mémoire.
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