Espérons une confiance en l’homme et sa conscience

Publié le par Garrigues et Sentiers

Le synode, après sa première session, a publié un certain nombre de propositions à discuter avant la fin mars 2015 pour préparer la seconde session qui devrait faire des propositions au pape. C’est dans cette démarche que nous écrivons ces quelques considérations.

Trois niveaux de réflexion peuvent être décelés dans les travaux du Synode à propos du caractère sacré du mariage et à propos de la famille.

- Le mariage chrétien est présenté comme un sacrement : le couple chrétien est le « signe visible » de l’amour du Christ et de son Église. Cela est fondé principalement sur le texte de Saint Paul dans la lettre aux Éphésiens (5,21-32). Le mariage est alors une institution sacrée, et bien sûr indissoluble. Le divorce devient un refus de porter cette relation d’amour, une négation de cet amour du Christ, quel péché serait plus grand ?

- Le divorce est formellement interdit par le Christ, mais sans référence à ce caractère sacramentel évoqué plus haut. A bien lire l’Evangile, il semble que le Christ considère le mariage comme une union bénie par Dieu, voulue par Lui (« ce que Dieu a uni… » et non ce que l’homme a voulu unir). L’homme a pris sa décision, mais après il l’a fait approuver par Dieu qui l’a reprise à son propre compte, et donc demande que l’homme ne sépare pas ce qu’Il a uni.

- Enfin, troisième niveau : la famille est présentée comme la cellule de base de la Société et de l’Eglise. D’où toute une réflexion sur cette réalité pour qu’elle corresponde à sa vocation.

Nous reprenons ces trois niveaux.

Le fait que le mariage soit le sacrement signe de l’amour du Christ lui donne toute sa profondeur. Mais alors que dire des célibataires ? 1 Ne peuvent-ils pas signifier cet amour du Christ ? L’Eglise a, depuis fort longtemps, donné une grande valeur, voire la première, à la virginité consacrée, bien avant de déclarer que le mariage est un sacrement (13ème siècle). Il serait intéressant de comprendre la démarche qui l’a menée à cette position tellement contraire à la coutume juive. Tout en lui donnant une grande valeur, elle n’en a pas fait un sacrement, cela aussi est étonnant et semble s’opposer à cette conception du mariage-sacrement, le mariage étant de fait à ses yeux un état de moindre valeur. Saint Paul lui-même ne s’en sort pas si bien car dans ce texte aux Ephésiens, et encore plus dans 1Corinthiens 7,1-16 ; 25-28, il ramène le mariage à un pis-aller pour lutter contre la concupiscence…Avouons que c’est une considération moins élevée ! Et c’est bien sur ces textes que l’Eglise s’est appuyée pour appeler à la virginité consacrée. On rencontre là une véritable difficulté.

Restons sur cette idée du mariage-sacrement, qui est incontournable 2. Quelles peuvent en être les conséquences pastorales ? Lorsqu’un jeune couple demande le mariage, les deux personnes en cause se sont choisies (dire que c’est Dieu qui les unit semble une pétition de principe pas tellement évidente). Il s’agit d’une démarche humaine qui précède la décision de faire intervenir Dieu. Mais plus grave, combien parmi ces jeunes couples veulent dans leur union être le sacrement de l’amour du Christ pour son Église ? Combien pensent que ce caractère sacramentel est premier dans leur union ? Y compris s’ils l’ont appris, entendu, il semble bien impossible qu’ils en vivent. Il faudra des années pour approcher cette réalité. Quand on se marie, c’est par amour pour une personne, un amour y compris charnel, un amour qui vous emporte…on accepte, si on le dit, que ce soit l’amour du Christ pour son Église, mais on ne peut pas dire que ce soit cette réalité que l’on vive à la base de la démarche d’amour. En bonne Justice, il semble que tous les mariages soient alors nuls ! Rajoutons que faire peser sur ces couples le poids de cette théologie semble très injuste, c’est mettre sur leurs épaules un joug qu’ils ne peuvent porter…et que ne portent pas ceux qui l’imposent. Cela ne peut pas se régler en disant qu’il faut les former mieux. On demande que la préparation dure un an, avec une réunion mensuelle…C’est bien, nécessaire, mais cela ne règle rien. D’ailleurs la hiérarchie impose une préparation autrement importante à ceux qui s’engagent dans la vie consacrée… et leur réserve des portes de sortie. Si la formation est nécessaire, on ne peut pas y réduire la démarche de foi. Découvrir l’amour du Christ et de son Église, cœur de notre foi, est le résultat d’un long cheminement, probablement, certainement jamais terminé. Une démarche humaine se fait dans le temps, elle peut s’éclairer à l’aide d’une formation, mais cela n’est qu’un support.

Que faire donc ? Il semble que la solution pourrait d’abord être de ne pas s’engager dans le mariage sacramentel avant de nombreuses années qui permettent d’en prendre la décision. Une première union, bénie par Dieu, serait possible, mais sans prétendre s’engager dans le sacrement. C’est de fait ce que vivent les nouveaux couples : lorsqu’ils se marient à l’Église (et que ce n’est pas seulement par respect de la coutume), ce qu’ils demandent est d’obtenir la bénédiction de Dieu sur leur union. C’est l’amour réciproque de l’homme et de la femme qui font découvrir ce que peut être l’amour du Christ pour son Église. C’est en ce sens que petit à petit s’est dégagée la notion de sacrement pour le mariage, au fil des siècles. Chaque couple est appelé à refaire cette découverte pour entrer dans cette démarche de foi et devenir lui-même sacrement de cet amour. Ce n’est pas donné au début de la relation, c’est plutôt un aboutissement. Il n’y a pas d’ « essence éternelle » du mariage qui tomberait sur le couple, mais une découverte existentielle de ce que peut être cette relation dans le mariage qui signifie progressivement cet amour divin. L’instant de la cérémonie du mariage est le début de ce processus.

Mais alors que faire de l’indissolubilité exigée par Jésus ?

Remarquons d’abord que ce qui précède ne dit rien de la pérennité du mariage qui ne serait pas un sacrement. Le jeune couple réalise un véritable engagement 3. Il faut réfléchir sur la notion d’adultère dans les deux Testaments. À part quelques exceptions, peu nombreuses, les textes ne parlent pas d’amour quand ils évoquent le mariage. Il s’agit d’abord d’un contrat assurant la procréation et les bases de la société. L’adultère est un vol, l’homme vole la femme d’un autre qui lui appartient, la femme vole son mari en se donnant à un autre. Par contre un homme peut aller vers une femme « libre » ou une prostituée… Jésus reconnaît encore cette possession de la femme par l’homme, et de son temps l’adultère était d’abord ce vol. Quant à la répudiation, qui était admise, elle était une grande injustice contre la femme qui perdait tout statut, et la sévérité de Jésus devant cette pratique correspond parfaitement à sa volonté de justice.

Il y ajoute que l’union du couple est due à Dieu, ce qui justifie d’interdire la rupture. Dieu a en effet marqué l’union de son sceau, cela donne la force du lien. La dissolution du mariage est alors un péché, même si Jésus a toujours aussi montré sa miséricorde.

Là encore il faut réfléchir aux conséquences pastorales. Remarquons d’abord que pendant 19 siècles le Magistère, comme la Bible, s’est très peu préoccupé de l’amour dans le mariage. L’indissolubilité a été une façon de conserver l’ordre social, et jusqu’à la pensée de la modernité (à partir de Kant si l’on veut) cet ordre social était soumis à Dieu tout comme l’union des couples était voulue par Lui. Si la théologie ne peut plus faire dépendre l’ordre social de l’action de Dieu, il faut trouver d’autres motifs d’indissolubilité.

Reste l’interdiction de Jésus, alors que pour l’ordre social il avait bien pris ses distances (« rendez à César… »). Mais lorsque le mariage est détruit – quelle qu’en soit la raison – pourquoi s’arc-bouter pour faire perdurer le péché ? Oui, il y a le péché qui détruit le mariage, le divorce n’est plus que le constat du péché commis (évidemment il ne s’agit pas d’un péché défini dans le temps et le lieu, mais un état de péché qui mène à la dissolution) 4. Y-a-t-il un « commandement d’indissolubilité » qui rendrait la rupture impossible ? Il y a un commandement d’amour, et cela suffit. Dissoudre le mariage est conséquence du péché contre l’amour, mais la dissolution existe, la nier est nier la réalité.

 Pourquoi pardonner la séparation uniquement à la condition de reprendre la vie commune ? La séparation faite, de quel droit exiger le retour en arrière ? Le mariage est une union vivante, existentielle, non une essence abstraite et incontournable. Ce qui est de l’ordre de l’essence c’est l’acte juridique du mariage. Il est faux de dire que les divorcés restent dans leur péché. Il semble que le Magistère fasse une fixation pour des raisons autres que ce qui est en cause. Il semble que c’est bien l’ordre social qu’il veut continuer à assurer parce que « voulu par Dieu », mais justement il n’a pas de pouvoir légitime en ce domaine.

Le synode s’intéresse enfin à l’enseignement du Magistère sur la famille.

Une première question est de savoir ce qu’est une famille, comment elle fonctionne. On n’a aucun exemple déterminant dans les deux Testaments. Le Magistère tire à lui les textes, sachant ce qu’il veut enseigner, mais cela ne résiste pas à la critique. Prenons l’exemple de la Sainte Famille, qui est prêché chaque année après Noël : « Il redescendit alors avec eux et revint à Nazareth ; et il leur était soumis…Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » (Luc 2,51-52). C’est peu pour asseoir la « théologie » de la famille ! Et Saint Paul qui proclame : « que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme » (1Corinthiens 7,29). L’amour conjugal signe de l’amour du Christ pour son Eglise semble loin ! Et si on affirme que la famille est constituée par un couple qui s’aime et élève ses enfants, cela ne s’oppose pas à l’union homosexuelle ni à la GPA ou la PMA (nous ne disons pas ici que ceci est un bien, ou un mal, seulement que les textes ne s’y opposent pas, ne serait-ce que parce que c’était alors inimaginable). Ceci ne signifie pas que le Magistère ne puisse pas développer un enseignement sur la famille. Il faut partir des familles concrètes pour comprendre à travers elles la Révélation. Il ne s’agit pas un corpus tombé du ciel sur la réalité humaine.

La famille, quelle que soit sa forme, est effectivement la cellule de base de la société, et donc de l’Église. La foi se transmet dans la famille. La famille est le premier lieu où se vit l’amour qui est le fondement de notre foi. C’est l’amour qui doit animer les chrétiens, le Magistère peut développer une réflexion sur la famille. Et il le fait bien. Mais il semble trop souvent appuyer sa légitimité sur des textes bibliques ou de la Tradition chargés de justifier une position prise a priori. La plupart du temps cela semble un abus. Et encore plus quand la hiérarchie prétend imposer ses vues à l’ensemble de la société 5. On peut en dire autant lorsque le Magistère légifère sur la sexualité. Oui il a quelque chose à dire, mais ce qu’il dit est souvent infondé, il s’agit de pétitions de principe qui prétendent être une soumission à l’Écriture et à la Tradition. Il est temps d’éclaircir les bases de la réflexion. Enfin il faudrait s’interroger sur cette fixation du Magistère sur la sexualité, sur cette volonté de légiférer sur tous ses aspects. Qu’il y ait des actes contraires à l’amour (et beaucoup plus souvent dans d’autres domaines que celui de la sexualité), c’est vrai et on doit les condamner, mais le Magistère va beaucoup plus loin, il n’a pas autorité pour s’imposer.

Il est aussi assez pénible de l’entendre parler sans cesse de miséricorde. Oui Dieu est miséricordieux, oui nous sommes tous pécheurs, nous avons tous besoin de sa miséricorde. Au regard de ce commandement, nos vies – quel que soit notre statut – sont toujours chaotiques, infidèles, pardonnées, à recommencer… Mais lorsque par exemple on parle des divorcés remariés en évoquant la miséricorde nécessaire, c’est de fait une condamnation : « vous êtes des pécheurs, vous vivez dans le péché, pour le moment nous ne pouvons pas vous pardonner, mais nous avons un regard miséricordieux ». C’est insupportable, et c’est un mensonge. Le péché ne perdure pas, remplacer l’accueil qu’on doit à toute personne par la miséricorde c’est l’exclure.

Y-a-t-il une solution ? Qu’attendre du synode sur ces sujets ? Peut-être d’abord la reconnaissance que ces questions existentielles ne se règlent pas par le Droit Canon, par le permis et le défendu. On peut attendre un enseignement (ouvert) sur le sacrement du mariage et sa signification fondé sur la prise en compte de la Révélation à travers la vie des hommes. On peut attendre un appel aux chrétiens à demeurer dans cette démarche d’amour, une reconnaissance de ce qui se vit, sans condescendance (la « miséricorde ») et une recherche sur ce que peut signifier l’amour de Dieu à travers nos expériences humaines. Espérons une confiance en l’homme et sa conscience. Une liberté laissée aux Églises locales pour avancer sur ce sujet. Si la conscience individuelle est le lieu de la décision ultime, c’est à travers la relation avec les autres membres de l’Eglise que les décisions se mûrissent, mais certainement pas comme soumission à un édit romain qui, de par sa nature, interdit ce mûrissement par l’imposition de sa loi.

Marc Durand
24 janvier 2015

1 - Dans la tradition juive, le célibat ne pouvait être qu’exceptionnel et n’était pas prisé. Paul est justement un rabbin juif célibataire ! Cela explique peut-être certaines de ses considérations sur le sujet, il n’était pas le mieux placé pour en parler.
2 - On pourrait aussi discuter le fait de dire que le mariage serait « le » sacrement de l’amour du Christ et de son Église. Qu’il en soit un signe est une chose, mais en disant « le » que fait-on de tous les actes d’amour qui jalonnent nos vies ? Ne sont-ils pas « signes visibles » de l’amour de Dieu, et donc aussi de celui du Christ pour son Église ? Et le péché n’est-il pas la trahison de ces actes d’amour, qui nie cet amour de Dieu pour les hommes ? Le poids donné au mariage semble exagéré et mener à une impasse.
3 - On peut tout de même discuter ce que peut signifier un engagement « à vie ». Comment prétendre savoir ce que deviendra le couple dans 10, 20 ou 50 ans ? L’engagement « à vie » serait plutôt un engagement total, de toute la personne sans calcul de retour. Ce n’est pas une question de temps mais de profondeur de l’engagement. Ne serait-il pas plus honnête de dire : « Je jure, non de t'aimer toujours, mais de rester fidèle, quoi qu'il arrive, à la grandeur de cet amour qu'aujourd'hui nous vivons ».
4 - Il peut y avoir péché de l’un, de l’autre, des deux. Il peut aussi y avoir simplement l’état pécheur du monde, séparé de Dieu, qui a mené à l’impossibilité de continuer la vie du couple. Tout ceci précède l’acte formel du divorce qui est simplement la prise en compte du point où le couple est arrivé.
5 - Tout groupe de pression, l’Église en est un, peut dire sa position sur les sujets de société. Mais elle ne peut les imposer. Chercher des bases communes que l’on peut partager avec les autres est bien, mais imposer son point de vue au nom de notre foi n’est pas légitime.

 

Publié dans Dossier La Famille

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