Religion et universalité humaine : la laïcité

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’onde de choc causée par l’assassinat d’une partie de la rédaction de Charlie Hebdo et le crime antisémite du super marché de la porte de Vincennes n’en finit plus de déferler sur nos sociétés. Les grandes manifestations du 11 janvier ont traduit la volonté de millions de citoyens de se réapproprier non seulement les valeurs de la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité, mais aussi celle de la laïcité.

En ces périodes de fureurs identitaires religieuses et de procès des religions considérées comme génératrice de violence, il me semble utile d’entendre la voix d’un croyant juif lithuanien qui est aussi un des plus importants philosophes français du 20e siècle : Emmanuel Levinas.

C’est pourquoi, je vous propose cet extrait d’un de ses écrits sur la laïcité qui me paraît dépasser le cas particulier du judaïsme et éclairer nos débats actuels.

« Les institutions laïques qui placent les formes fondamentales de notre vie publique en dehors des préoccupations métaphysiques, ne peuvent se justifier que si l’union des hommes en société, si la paix, répond elle-même à la vocation métaphysique de l’homme. Sans cela, le laïcisme ne serait que la recherche d’une vie tranquille et paresseuse, une indifférence à l’égard de la vérité et des autres, un immense scepticisme. Les institutions laïques ne sont possibles qu’à cause de la valeur en soi de la paix entre les hommes. Mieux qu’une condition, formelle ou négative, d’autres valeurs qui seraient positives, la société s’affirme, pour les amis de la laïcité, comme valeur positive et valeur primordiale. Cette recherche de la paix peut s’opposer à une religion, inséparable des dogmes. Car les dogmes se révèlent au lieu de se prouver et heurtent les formes de pensée ou de conduite, qui unissent les hommes, pour leur apporter discorde et division. Mais si le particularisme d’une religion se met au service de la paix, au point que ses fidèles ressentent l’absence de cette paix comme l’absence de leur dieu, si la vocation subjective qui distingue le fidèle de ses prochains ou de ses lointains, ne le rend ni tyrannique ni envahissant, mais plus ouvert et plus accueillant – la religion rejoint l’idéal de la laïcité.

Dans le judaïsme, le conflit ne peut surgir parce que, pour lui, le rapport avec Dieu ne se conçoit à aucun moment en dehors du rapport avec les hommes. Le Sacré ne consume pas, ne soulève pas le fidèle, ne se livre pas à la thaumaturgique liturgie des humains. Il ne se manifeste que là où l’homme reconnaît et accueille autrui. A cause de son opposition à cette idolâtrie du Sacré, les auteurs anciens ont pu qualifier le judaïsme d’impie ou d’athée. (…) La connaissance de Dieu consiste, selon le verset 16 du chapitre 22 de Jérémie, " à faire droit au pauvre et au malheureux ".

Le Messie se définit, avant tout, par l’instauration de la paix et de la justice – c’est-à-dire par la consécration de la société. Aucun espoir de salut individuel – quels que soient les traits sous lesquels on le rêve – ne se peut, ne se pense en dehors de l’accomplissement social, dont les progrès résonnent, à l’oreille juive, comme les pas mêmes du Messie. Dire de Dieu qu’il est le Dieu des pauvres ou le Dieu de la justice, c’est se prononcer non pas sur ses attributs, mais sur son essence. D’où l’idée que les rapports interhumains, indépendants de toute communion religieuse, au sens étroit du terme, constituent en quelque sorte l’acte liturgique suprême, autonome par rapport à toutes les manifestations de la piété rituelle. Dans ce sens, sans doute, les prophètes préfèrent la justice aux sacrifices du temple.

Le malheur de l’homme est dans la misère qui détruit et déchire la société. Le meurtre est plus tragique que la mort. (…) C’est à l’homme de sauver l’homme : la façon divine de réparer la misère consiste à ne pas y faire intervenir Dieu. La vraie corrélation entre l’homme et Dieu dépend d’une relation d’homme à homme, dont l’homme assume la pleine responsabilité, comme s’il n’y avait pas de Dieu sur qui compter ».

Bernard Ginisty

1 – Emmanuel Levinas : Les imprévus de l’histoire, Éditions Fata Morgana, 1994, pages 181-183.

Publié dans Réflexions en chemin

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L
cette citation de Levinas éclaire le paysage de trouble et de colère que les crimes des deniers jours ont ouvert devant nous.Il l'éclaire par sa vertu d'apaisement - réfléchir, penser, mettre en perspective et dans une perspective ouverte sur l'infini de la spiritualité, plutôt que d'en rester à la douleur, à la peur et l'envie de vengeance. Et plus encore par ce qu'il apporte à la méditation de chacun, à sa réinterprétation de sa confrontation avec ces trois pôles entre lesquels la pensée humaine ne cesse d'aller et venir : le Mal, Dieu et les hommes..<br /> Une observation, qui n'est pas aussi incidente qu'il pourrait paraître. Levinas note : &amp;amp;quot;Cette recherche de la paix peut s’opposer à une religion, inséparable des dogmes. Car les dogmes se révèlent au lieu de se prouver et heurtent les formes de pensée ou de conduite, qui unissent les hommes, pour leur apporter discorde et division&amp;amp;quot;.Et si la question qu'appelle aujourd'hui notre entendement de la transcendance n'était pas précisément d'imaginer et de concevoir que la religion puisse être dissociable et dissociée de tout dogme - ce qui, à y bien réfléchir, la distingue déjà de la spiritualité.
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