L’enrichissement croît… l’appauvrissement aussi !
L’OCDE (Organisation de Coopération et Développement économique) vient de publier un document de travail intitulé « Tendances de l’inégalité des revenus et son impact sur la croissance » 1 qui cherche à mesurer l’impact de l’accroissement des inégalités de revenu, actuellement les plus hautes depuis trente ans, sur le fonctionnement de l’économie mondiale.
Le rapport met en lumière un double mouvement : l’enrichissement croissant des plus riches et un appauvrissement accru des plus défavorisés. Selon l’OCDE, la hausse des inégalités pénalise la croissance, car elle compromet l’instruction et la mobilité. Elle aurait coûté 8,5 points de Produit Intérieur Brut (PIB) en 25 ans.
Ainsi, dans de nombreux pays dits « avancés », la question de la pauvreté est revenue dans le débat politique. Tout cela se traduit par un accroissement non seulement du chômage, mais aussi des travailleurs pauvres. Dans son rapport annuel, le Secours Catholique signale qu’il accueille de plus en plus de personnes en situation de grande précarité alors qu’elles ont un travail. Transformer des chômeurs en travailleurs pauvres et précaires, c’est peut-être permettre des effets d’annonce sur la réduction du chômage, mais en aucun cas lutter contre la décomposition du lien social.
En ces temps qu’il est convenu d’appeler « les fêtes », on peut évidemment choisir de ne pas parler de ce qui dérange. Les lumières de nos villes et les éclatants étalages de nos magasins, vitraux de la religion de la consommation, nous invitent à faire comme si tout allait bien. La logique économique qui conduit les médias à vivre principalement de publicité accentue encore l’opacité de cet écran de belles images sur la détresse de tant de nos concitoyens.
À l’heure où le problème de l’insécurité devient une des préoccupations majeures des français et des futurs candidats aux présidentielles, il ne faudrait pas oublier que la sécurité d’une société repose d’abord sur des valeurs et un sens partagés par la très grande majorité de cette société. Quand on accepte que la loi de la jungle règne sur l’économie, il ne faut pas s’étonner qu’elle ne tarde pas à apparaître dans nos villes et nos banlieues.
En 2012, l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’Enfance) publiait une étude sur l’inégalité mondiale 2 qui l’amenait aux conclusions suivantes : « Dans l’ensemble, l'extrême inégalité dans la répartition du revenu global devrait remettre en question le modèle actuel de développement, qui a principalement bénéficié aux plus riches. Il y a un besoin urgent de mettre l'égalité au cœur de l'agenda du développement. L'inégalité est dysfonctionnelle, inhibe la croissance économique et la stabilité démocratique. (…) Dans le contexte de la crise économique mondiale, ce rapport fait valoir que l'urgence de politiques équitables n’a jamais été aussi grande ».
Cette situation risque de faire basculer nos sociétés dans ce que l’économiste Jacques Généreux appelle « l’inhumanité de dissociétés peuplées d’individus dressés les uns contre les autres ». D’où, écrit-il, « l’urgence de la dépollution des esprits après deux ou trois décennies de lavage de cerveaux individualiste, consuméristes, compétitiviste, fataliste (…) Notre survie et notre bien-être dépendent de la conversation que nous entretenons avec les autres pour bien vivre ensemble, c’est-à-dire, au sens vrai du terme, de la conversation politique » 3.
Bernard Ginisty
1 – Cf. Journal Le Monde du 10 décembre 2014 : Le fossé entre riches et pauvres n’a cessé de se creuser depuis trente ans, page une.
2 – UNICEF : L’inégalité mondiale. La répartition des revenus dans 141 pays août 2012 http://www.unicef.org
3 – Jacques Généreux : La Dissociété, Éditions du Seuil 2006, pages 443-446.