L’Avent, éducation à la Présence
Avec l’Avent commence le cycle liturgique par lequel l’Église éduque le chrétien à habiter le temps. Alors que les rythmes sociétaux ne cessent de nous conduire à remplir consciencieusement les cases de nos agendas qui nous rassurent sur notre productivité (« time is money ») et le nombre de nos relations, la spiritualité de l’Avent nous libère de cette frénésie de consommer le temps pour retrouver le sens de l’attente.
La liturgie n’est pas une pièce de théâtre où l’on jouerait un scénario écrit d’avance. Tout le paradoxe chrétien consiste à la fois à attendre et à savoir que le royaume est déjà là, parmi nous 1. L’Évangile se situe toujours dans le présent. Il est fait de récits courts, de guérisons et de vocations personnelles où la réponse doit être immédiate : « Va, ta foi t’a sauvé », « Viens et suis moi ». Il n’y a pas de longues maturations intellectuelles ou ascétiques, mais la découverte fulgurante d’un « déjà là » à la fois « déjà là » mais « au-delà » de notre perpétuel débat intérieur.
C’est l’événement, et non la théorie, qui fonde l’itinéraire chrétien. Et il n’est pas indifférent que les premières controverses qu’on peut lire dans le Nouveau Testament concernent la tentation de récupérer l’événement d'une « Bonne Nouvelle », dans le système d’une gnose.
Cultiver le sens de l’attente, c’est savoir que nous n’avons jamais fini d’être présents. Tout est déjà là, mais nous vagabondons ailleurs dans nos peurs, nos fantasmes, nos bavardages. Être présent, c’est retrouver nos sources, non comme un passé sans cesse ressassé, mais comme une donation actuelle. Le grand mystique médiéval Maître Eckhart nous invite à cette liberté d’une naissance permanente : « Les gens de bien devraient être libres et dégagés comme est libre et dégagé Notre Seigneur jésus Christ qui, en tout temps et hors du temps, se reçoit sans cesse à nouveau de son Père céleste et, en ce même instant, sans cesse s’enfante parfaitement en retour (…). L’homme devrait être ainsi qui voudrait se rendre accessible à la plus haute vérité et y vivre sans avant et sans après, sans être entravé par toutes les œuvres et toutes les images dont il a jamais eu connaissance, dégagé et libre, recevant sans cesse à nouveau, en ce maintenant, le don divin » 2.
Le Tout autre, celui qu’on nomme Dieu, ne se trouve pas au terme de notre virtuosité intellectuelle ou de nos programmes d’action : on ne peut que le recevoir. Face à ce Dieu toujours nouveau, toujours inattendu, existe la tentation permanente de nous barricader dans le confort des certitudes et des institutions. Le Dieu de la Bible se révèle à travers des événements et des histoires de vie. Ce temps de l’Avent nous prépare à accueillir une naissance pour laquelle « il n’y avait pas de place dans les hôtelleries » 3 du système économique et social de l’époque. Il invite à quitter nos peurs, nos crispations et nos enfermements, pour nous ouvrir à l’accueil quotidien de celui que les Écritures appellent le Messie.
Comme l’écrit le poète Jean Grosjean, traducteur et commentateur de la Bible : « Si proche que nous soit le Messie, il est celui qui arrive. Son intimité même est toujours événement. Il a fallu être loin de l’Évangile pour inventer une ère chrétienne. Pour nous, c’est toujours l’an Un, et chaque jour est le jour de l’An » 4.
Bernard Ginisty
1 – Évangile de Luc 17,21
2 – Maître Eckhart : Sermons, tome 1, Éditions du Seuil, 1974, page 4
3 – Évangile de Luc 2,7
4 – Jean Grosjean : L’ironie christique. Commentaire de l’Évangile de Jean, Éditions Gallimard Paris 1991, page 90