La terre chemin du ciel
ouvrage de Fabrice Hadjadj
Du fumier propice à l'esprit : le titre du premier chapitre du petit livre de Fabrice Hadjadj donne le ton. L'auteur nous invite à retrouver nos racines terrestres sans lesquelles toute tentative spirituelle est vaine. Rejetant au passage le dualisme d'un Descartes comme le relativisme de notre soi-disant modernité, il réaffirme notre animalité, laquelle « n'est pas une entrave, mais l’auxiliaire de notre spiritualité ».
Trois attitudes théologiques sont fausses :
– la spiritualité hautaine faite de haine de la terre et de mépris du corps (exemple du catharisme).
– Le panthéisme qui confond le monde et la divinité (« les choses existent en Dieu, mais ne sont pas Dieu »).
– L'agnosticisme qui confond transcendance et extériorité (« le Créateur n'est pas séparé du monde, il est dans chaque brin d'herbe »).
La révélation du Verbe devenu chair tranche définitivement le débat transcendance-immanence : « Le catholicisme n'a rien du spiritualisme éthéré ni de l'universalisme décolorant. Il est une spiritualité de l'Incarnation ».
Il nous faut retrouver le sens de la Création et ne pas nous arrêter à nos lectures, même si elles sont sources de méditation : « Dieu, comme un excellent maître, a pris soin de nous laisser deux écrits parfaits afin de faire notre éducation […]. Ces deux livres divins sont la Création et l’Écriture sainte. » (Thomas d'Aquin)
« Quitte ton pays pour le pays que je t'indiquerai » : cette demande de Dieu à Abraham n'implique pas l'abandon de la terre, mais la prise de conscience qu'elle nous est confiée par le Tout Autre. Nous ne sommes pas propriétaires : « la terre m’appartient et vous n'êtes pour moi que des étrangers et des hôtes »(Lv 25, 23). La terre des ancêtres n'est pas à sacraliser, mais à sanctifier, en y reconnaissant le don divin qui est fait.
« Pourquoi restez-vous à regarder le ciel ? » est-il dit aux disciples tout étonnés du départ de leur maitre. Fabrice Hadjadj, qui aime le paradoxe, nous présente l’Ascension comme une descente, celle de la gloire divine jusque dans notre chair, l'ultime étape de l'Incarnation : « la montée du Christ au Ciel signifie sa plongée dans nos entrailles terreuses ».
La devise bénédictine conclut l'ouvrage : « Prie et travaille. Contemple et laboure. Laboure avec ton âme et contemple avec tes mains. Change l'épée en soc, trace un sillon comme une prière, chante un verset comme une semence, et creuse, creuse toute chose jusqu'à Dieu ».
Pierre Locher
Éditions du Cerf, 2001, 96 pages