La religion universelle du Dieu obscur

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’ignoble assassinat d’Hervé Gourdel par des fanatiques se réclamant de l’Islam a soulevé une indignation universelle. Au sein de l’Islam de nombreuses voix se sont élevées pour une condamnation sans équivoque. Parmi les prises de positions venues du monde musulman, je retiendrai la déclaration de Cheikh Khaled Bentounes, leader spirituel de l’Association Internationale Soufie Alâwiy : « Cette folie meurtrière n’a rien à voir avec les principes de l’Islam dont ils se réclament. Ils instrumentalisent l’Islam pour servir une idéologie politique qui vise à conquérir des territoires et coloniser des esprits par la terreur ». Participant à la manifestation tenue à Paris le 26 septembre dernier, il déclarait : « Il est impératif que l’humain en nous triomphe de la monstruosité, de l’inhumain qui habite certains d’entre nous ».

Un tel événement n’a pas manqué d’alimenter l’islamophobie, comme si l’Islam était la seule religion qui ait servi de prétexte au sectarisme, au fondamentalisme et à des intérêts politiques ou mafieux. L’histoire montre que la plupart des religions ont connu ces dérives.

Dans un ouvrage où elle met en scène un dialogue entre un moine chrétien et une psychanalyste juive, Marie Balmary fait dire à Ruth, la psychanalyste : « Je crois qu’il y a une religion universelle avec laquelle on ne compte pas assez : c’est justement celle que combattent tous les penseurs, Freud y compris. Cette religion n’a pas de nom, ou plutôt elle a tous les noms, christianisme, judaïsme ou islam, mais elle consiste aussi bien dans toute conformité absolue à un ordre, une caste, une classe. En fait, elle traverse toutes les religions et même les idéologies athées : c’est celle du dieu obscur qui demande à l’homme le sacrifice de sa pensée, le renoncement à sa conscience (…) La seule religion qui pourrait m’intéresser serait celle qui donnerait aux humains deux choses que les religions d’habitude leur retirent : la conscience de ce faux dieu et surtout l’autorité pour le mettre dehors » 1.

La lutte nécessaire contre la barbarie qui se cherche des justifications religieuses ne doit pas nous éviter de rester en éveil sur les tentations qui menacent notre propre tradition, comme l’exprimait avec beaucoup de lucidité Timothy Radcliffe, Maître général de l’Ordre dominicain de 1992 à 2001 : « Confrontés au vide, nous pouvons être tentés de le remplir, par des platitudes que nous croyons à demi, par des substituts du Dieu vivant. Le fondamentalisme que nous observons si souvent dans l’Église aujourd’hui est peut-être la réaction effrayée de ceux qui se sont retrouvés à l’entrée du désert mais n’ont pas osé l’endurer. Le désert est un lieu de silence terrifiant que nous essaierons peut-être de couvrir en ressortant de vieilles formules assenées avec une terrible sincérité. Mais le Seigneur nous conduit dans le désert pour nous montrer sa gloire. Aussi Maître Eckhart nous dit-il : Tenez bon, et ne vacillez pas devant votre vide » 2.

Bernard Ginisty

1 – Marie Balmary : Le moine et la psychanalyste, éditions Albin Michel, 2005, pages 49-50
2 – Timothy Radcliffe : Je vous appelle amis, éditions du Cerf, 2000, pages 210-211.

 

 

Publié dans Signes des temps

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R
Voilà qui est bien dit !!<br /> RK
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