Faut-il supplier Dieu ?
Dans son édito pour la revue du Service des relations à l’islam (SRI) de juin 2014, Christophe Roucou écrit que le Pape François « rappelle aux croyants leur responsabilité spécifique, celle de supplier Dieu pour que la paix advienne ». Cela me pose question : notre Dieu est-il quelqu’un qu’il faut supplier ? Est-ce vraiment cela notre responsabilité commune et spécifique de croyants ?
Certes on trouve des supplications dans la Bible : « Seigneur réponds-nous ! Nous as-tu oubliés ? » Et l’Église prie : « Seigneur écoute-nous ! Nous te supplions humblement ! » Un prêtre palestinien déclarait : « On va tellement supplier Dieu qu’il finira bien par nous envoyer la paix ! » Trop de croyants supplient Dieu pour leurs projets personnels et témoignent ainsi d’un infantilisme et d’une instrumentalisation de Dieu. Des messes ont été dites pour la pluie ou pour que l’équipe nationale gagne la Coupe du monde de foot !
Mais ne faut-il pas tout de même demander à Dieu ces biens essentiels que sont la paix et la justice ? Nous le faisons d’ailleurs à chaque messe.
Pourtant, je ne crois pas en un Dieu distrait ou sourd dont il faudrait attirer l’attention par des neuvaines de prières ou des sacrifices. Je ne crois pas en un Dieu qui distribuerait ses bienfaits à ceux qui montrent plus de persévérance ou qui auraient trouvé les bonnes prières ou les bons intercesseurs (saint Antoine ou d’autres). Je ne crois pas en un Dieu qui aimerait se faire prier ou qui attendrait que nous soyons humiliés pour montrer sa puissance.
La Bible donne parfois ces images car elle est faite d’approches de Dieu imparfaites et souvent contradictoires, tant est grand le mystère de Dieu et tant sont ambiguës les démarches humaines qui projettent sur Dieu leurs attentes. Mais ces images ne peuvent qu’être rejetées par les mentalités modernes, et on risque de les réactiver en parlant de « supplier Dieu pour que la paix advienne ».
Heureusement, après les tâtonnements d’Israël, le Christ nous a révélé le vrai visage de Dieu. La prière de Jésus est un cœur-à-cœur avec le Père. Il demande, bien sûr, force et lumière car il partage les limites de la condition humaine, mais il le fait comme on demande de l’aide à quelqu’un qu’on aime. Jésus nous invite à faire de même et sans rabâcher puisque « Dieu sait ce dont vous avez besoin » et puisque « il envoie sans tarder l’Esprit Saint à qui le demande ».
S’il faut parler à Dieu de nos besoins, c’est parce que le dialogue fait partie de l’amour. C’est aussi et surtout pour ouvrir nos cœurs à l’action de Dieu.
Le pape François a invité les peuples à « porter devant Dieu leur aspiration ardente pour la paix… [pour être] artisans de paix ». Si supplier veut dire insister devant l’ampleur des changements à faire, je veux bien. Mais à condition de témoigner que le Dieu des chrétiens est un Dieu qui nous supplie de travailler à son règne de justice et de paix.
Dans un texte sur « la prière du Dieu démuni », Serge Baqué écrivait : Jésus a donné son testament « non pas sur le ton du commandement mais de la supplication » 1. Il faut le redire : la prière n’a pas pour but de changer Dieu qui ne cesse de vouloir notre bien et d’agir pour cela ; elle a pour but de changer nos cœurs. Pour que ce soit clair, il faudrait abandonner tous ces refrains qui demandent à Dieu de nous écouter. Ceux qui témoignent d’une prière chrétienne ne doutent pas de son écoute mais demandent son aide pour contribuer à son règne : « Donne-nous ton Esprit… Fais de nous des ouvriers de paix… »
La « responsabilité spécifique » des chrétiens me semble être de découvrir la volonté de Dieu en lui demandant de changer nos cœurs pour y communier, surtout si cette volonté de Dieu semble contrarier nos vues humaines.
Je ne pense pas que tous les croyants parlent du même Dieu et je me sens plus proche de certains athées que de croyants en un Dieu qu’il faudrait supplier.
De quel Dieu voulons-nous témoigner ? Qui est le TU qui nous envoie ? Question sans cesse à reprendre…
Gilbert Delanoue
Prêtre de la Mission de France
La Croix – 27.09.14
1 – Lettre aux communautés de la Mission de France, n° 184.