Être ou ne pas être… responsable ?
Notre régime démocratique exalte sans cesse l'esprit citoyen, et républicain s'il se peut. Le mot clef semblerait devoir être alors responsabilité. D'ailleurs on entend constamment les hommes politiques inviter (surtout leurs adversaires) à « prendre leurs responsabilités » ; ce qui dégage la leur. On peut être responsable même si l'on n'est pas coupable (distinction importante et légitime). On signe, collectivement, des "pactes de responsabilité » (ce qui supposerait a priori que chacun se montrera responsable), etc. Qu'en est-il – en pratique – dans tous les secteurs d'activités de la société ?
« La responsabilité est le devoir de répondre de ses actes, toutes circonstances et conséquences comprises, c’est-à-dire d'en assumer l'énonciation, l'effectuation, et par suite la réparation voire la sanction lorsque l'obtenu n'est pas l'attendu.» (Définition Wikipedia, ici excellente, mots soulignés par moi). Cela peut coûter à celui qui la revendique.
Dès l'école, dans le but de ne pas traumatiser les enfants, on les entoure de fausses protections qui les dispensent des conséquences de leurs comportements. Plus de sanctions, un simple blâme peut les commotionner ; peu d'encouragements également, il faut l'avouer : plus de prix, afin de ne pas discriminer les cancres ; projet de supprimer les notes, qui ont pourtant un double intérêt : 1° de favoriser une auto-évaluation dans la durée, 2° de confronter le jeune à la concurrence qu'il va rencontrer tout au long de sa vie et de le stimuler. Au moindre incident, même lointain, dans un établissement scolaire, on multiplie les prises en charge émotionnelles : cellules psychologiques, dépôts de fleurs sur les lieux de l'incident, marches blanches, interventions des médias, en particulier de la fascinante télévision… Les parents, qui déplorent pour eux-mêmes les difficultés d'élever les enfants, critiquent souvent a priori l'attitude des enseignants au lieu de soutenir leur autorité (sauf scandale évidemment). Heureux quand ils ne leur tapent pas dessus. Je me souviens, dans les années 60, de ce conseil lucide de mon premier proviseur à notre bande de profs débutants : « Allez et essayez de garder, avec trente ou quarante enfants, la patience que les parents n'ont pas avec deux ou trois ».
Plus globalement, on déplore souvent l'absence de repères chez les jeunes, et pas seulement dans les quartiers dits sensibles. Mais dès qu'on tente de proposer des principes de respect, de maîtrise de soi, de simple politesse, indispensables au fameux vivre ensemble prétendument souhaité par tous, on accuse les dispositions prises de moralisme liberticide. Pourtant, les plus vieux d'entre nous se souviennent du caractère structurant du quart d'heure de morale et d'instruction civique par lequel commençait la matinée à l'école primaire (NB. où – accessoirement – on travaillait 5 jours, y compris le samedi après-midi). La morale laïque essayait de donner ces repères de loyauté, de non-agressivité, d'esprit d'entraide…
Dans la vie quotidienne, on n'éduque pas davantage les adultes à mesurer les conséquences de leurs choix et de leurs actes. L'inexorable concurrence et l'omniprésente publicité y jouent un grand rôle en brouillant les repères. Ainsi, on a habitué depuis plusieurs générations les consommateurs des pays dits riches à payer toujours moins cher, sans leur faire tenir compte : d'une part, de la qualité des marchandises , d'autre part de la juste rémunération des producteurs (agriculteurs, ouvriers ou prestataires de services) ; on ne remarque même plus que favoriser l'importation de biens de consommation à bas-coût (parce que produits par un sous-prolétariat surexploité, y compris de très jeunes enfants) encourage les délocalisations et entraîne du chômage dans notre pays.
Autre exemple d'irresponsabilité : le repérage, parfois la destruction des radars sur les routes. On peut en penser ce que l'on veut, par exemple qu'ils produisent des retombées financières au bénéfice de l'État, mais ils servent aussi à encadrer les fous du volant qui se moquent bien des conséquences de leur vitesse excessive ou de leurs imprudences de conduite (mépris des lignes médianes, des feux rouges etc.). Et certaines compagnies d'assurances en rajoutent en précisant que, chez elles, le malus n'existe pas.
On peut encore regretter les diminutions régulières du remboursement des médicaments par la Sécurité sociale. Néanmoins, faire de l'argument « on vous remboursera même les médicaments non-prescrits », comme le proclame une publicité, ne favorise pas l'autolimitation de la surconsommation médicamenteuse, dont notre pays est l'un des champions, et constitue un danger potentiel pour la santé du client.
Bien sûr, nous ne parlerons pas des promesses électorales (souvent imprudentes) non tenues, des propositions de lois bénéfiques auxquelles on renonce parce qu'elles gênent tel lobby… Cela amène les électeurs à considérer leurs représentants comme non fiables et finalement… irresponsables, participant à une désaffection de la politique, et donc remet en cause la participation, base d'une démocratie véritable.
On pourrait multiplier les exemples pluriquotidiens d'une irresponsabilité généralisée ; on aura sans doute, hélas, l'occasion d'y revenir.
Marc Delîle