Plaidoyers pour l’Irak
Amis lecteurs,
Nous publions ci-dessous deux plaidoyers pour l'Irak
issus d'organismes officiels
en étant conscients qu'il y en a bien d'autres
tout aussi importants même s'ils sont plus modestes
I – Plaidoyer pour une action urgente en Irak
à tous les responsables mondiaux
et les États membres des Nations Unies
par le Maître de l’Ordre dominicain
(Ordre des Prêcheurs)
fr. Bruno Cadoré, OP
Excellences,
Aucun de nous ne peut rester insensible à ce qui se passe en Irak actuellement. Ce que nous voyons arriver là-bas en appelle à notre solidarité et à une réponse coordonnée pour que cesse la violation extrême des droits humains contre des groupes minoritaires sans défense à qui on dénie la dignité humaine la plus basique. Il s’agit d’une violation de la loi humanitaire internationale, et d’un crime contre l’humanité. Nos frères et sœurs sur place nous tiennent informés en continu de cette terrible situation. Ceux qui commettent cela sont une menace non seulement pour le peuple irakien et ses voisins mais pour nous tous, car ils mettent en œuvre une mentalité et une vision de la vie qui, si elle réussit, attirera de plus en plus d’adhérents, mettant en danger de nombreux États. Alors même que le conflit semble être un conflit interreligieux, il ne peut rien avoir de religieux car Dieu est un Dieu de vie, pas un Dieu de mort.
Nous avons la chance d’avoir, avec les Nations unies, un forum engagé dans la construction d’un monde harmonieux et pacifique. Cependant, beaucoup de ceux qui auraient le plus besoin de son aide sont aujourd’hui cyniques sur son action, ayant l’impression que leurs appels à l’aide tombent dans des oreilles sourdes. La crise actuelle peut ainsi être une chance pour changer une mentalité qui serait soucieuse uniquement de « nos intérêts nationaux » pour une mentalité engagée dans la préservation de la vie et la dignité humaines de chaque être humain, indépendamment de sa race, de son origine ethnique, de sa religion ou de toute autre identité.
Nous reconnaissons les efforts des pays qui répondent aux besoins sécuritaires et humanitaires des personnes déplacées en Irak. Cependant, ce n’est pas suffisant pour assurer leur survie. Quand un État ne peut plus contrôler un niveau brutal de violence sur lequel le monde entier s’accorde à dire qu’il doit être arrêté (comme c’est le cas actuellement en Irak) alors la communauté internationale a l’obligation d’intervenir pour arrêter ceux qui commettent cette violence.
À la lumière de cela nous en appelons à vous et à tous les États membres des Nations unies pour :
- vous saisir de la crise actuelle en Irak aujourd’hui et assurer le déploiement immédiat d’unités militaires spéciales venant du plus grand nombre possible de pays, unités qui auront la capacité nécessaire pour arrêter la purification ethnique et sectaire en cours, assurer le retour sain et sauf des réfugiés dans leurs foyers et traduire les responsables en justice.
- arrêter l’approvisionnement en armes des responsables et de sanctionner ceux qui continuent à leur en fournir.
- répondre immédiatement afin de déminer la crise humaine, et cela avant qu’elle ne prenne des proportions incontrôlables.
- protéger les membres des communautés minoritaires persécutées et, selon le droit humanitaire international, leur garantir un droit d’asile immédiat.
- mettre en place immédiatement des conditions de dialogue et de négociations de paix qui incluent toutes les composantes de la société.
Nous espérons et nous prions afin que vous et vos gouvernements répondent à cet appel urgent.
Fr. Bruno Cadoré, OP
Maître de l’Ordre dominicain (Ordre des prêcheurs)
(14 août 2014)
Publié par le fr. Mike Deeb, OP,
délégué permanent de l’Ordre dominicain auprès des Nations unies.
II – Déclaration du Conseil pontifical
pour le Dialogue interreligieux
Le 12 août 2014, le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, présidé par le cardinal Jean-Louis Tauran, a appelé à une réaction claire et courageuse des responsables musulmans devant les crimes commis en Irak contre les minorités religieuses. Voici la déclaration du Conseil en intégralité :
Le monde entier a assisté, stupéfait, à ce qu’on appelle désormais la « restauration du califat » qui avait été aboli le 29 octobre 1923 par Kamal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne.
La contestation de cette « restauration » par la majorité des institutions religieuses et politiques musulmanes n’a pas empêché les jihadistes de l’« État Islamique » de commettre et de continuer à commettre des actions criminelles indicibles.
Ce Conseil pontifical, tous ceux qui sont engagés dans le dialogue interreligieux, les adeptes de toutes les religions ainsi que les hommes et les femmes de bonne volonté, ne peuvent que dénoncer et condamner sans ambiguïté ces pratiques indignes de l’homme :
- le massacre de personnes pour le seul motif de leur appartenance religieuse
- la pratique exécrable de la décapitation, de la crucifixion et de la pendaison des cadavres dans les places publiques
- le choix imposé aux chrétiens et aux yézidis entre la conversion à l’islam, le paiement d’un tribut (jizya) ou l’exode
- l’expulsion forcée de dizaines de milliers de personnes, parmi lesquelles des enfants, des vieillards, des femmes enceintes et des malades
- l’enlèvement de jeunes filles et de femmes appartenant aux communautés yézidie et chrétienne comme butin de guerre (sabaya)
- l’imposition de la pratique barbare de l’infibulation
- la destruction des lieux de culte et des mausolées chrétiens et musulmans
- l’occupation forcée ou la désacralisation d’églises et de monastères
- le retrait des crucifix et d’autres symboles religieux chrétiens ainsi que ceux d’autres communautés religieuses
- la destruction du patrimoine religieux-culturel chrétien d’une valeur inestimable
- la violence abjecte dans le but de terroriser les personnes pour les obliger à se rendre ou à fuir.
Aucune cause ne saurait justifier une telle barbarie et certainement pas une religion. Il s’agit d’une offense d’une extrême gravité envers l’humanité et envers Dieu qui en est le Créateur, comme l’a souvent rappelé le Pape François.
On ne peut oublier pourtant que chrétiens et musulmans ont pu vivre ensemble – il est vrai avec des hauts et des bas – au long des siècles, construisant une culture de la convivialité et une civilisation dont ils sont fiers. C’est d’ailleurs sur cette base que, ces dernières années, le dialogue entre chrétiens et musulmans a continué et s’est approfondi.
La situation dramatique des chrétiens, des yézidis et d’autres communautés religieuses et ethniques numériquement minoritaires en Irak exige une prise de position claire et courageuse de la part des responsables religieux, surtout musulmans, des personnes engagées dans le dialogue interreligieux et de toutes les personnes de bonne volonté. Tous doivent être unanimes dans la condamnation sans aucune ambiguïté de ces crimes et dénoncer l’invocation de la religion pour les justifier. Autrement quelle crédibilité auront les religions, leurs adeptes et leurs chefs ? Quelle crédibilité pourrait avoir encore le dialogue interreligieux patiemment poursuivi ces dernières années ?
Les responsables religieux sont aussi appelés à exercer leur influence auprès des gouvernants pour la cessation de ces crimes, la punition de ceux qui les commettent et le rétablissement d’un état de droit sur tout le territoire, tout en assurant le retour des expulsés chez eux. En rappelant la nécessité d’une éthique dans la gestion des sociétés humaines, ces mêmes chefs religieux ne manqueront pas de souligner que le soutien, le financement et l’armement du terrorisme est moralement condamnable.
Ceci dit, le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux est reconnaissant envers tous ceux et celles qui ont déjà élevé leurs voix pour dénoncer le terrorisme, surtout celui qui utilise la religion pour le justifier.
Unissons donc nos voix à celle du Pape François : « Que le Dieu de la paix suscite en tous un désir authentique de dialogue et de réconciliation. La violence ne se vainc pas par la violence. La violence se vainc par la paix ! ».