Partir ou mourir
Le sort tragique des chrétiens de Mossoul
En quelques heures, la fuite des derniers chrétiens de cette ville du nord de l’Irak face aux menaces des djihadistes a effacé 1700 ans d’Histoire.
Ce jeudi 17 juillet, en une poignée d’heures, la situation de la communauté chrétienne de Mossoul s’est dramatiquement aggravée. Les centaines de familles qui habitaient encore dans la capitale de la province de Ninive, tombée aux mains de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), le 10 juin, ont été poussées à partir.
La loi du califat
Ces derniers jours, les djihadistes de l’EIIL, qui ne s’en étaient pas jusqu’alors pris directement aux chrétiens, ont multiplié les pressions à leur encontre. Des maisons ont été marquées de la lettre N pour Nazaréen. Comme les autres non sunnites (musulmans chiites et les autres minorités religieuses), les chrétiens n’ont pu bénéficier des distributions de rations alimentaires.
Le 16 juillet, ces pressions sont devenues des menaces lorsqu’un homme armé s’est présenté à l’évêché syriaque catholique pour convoquer les notables chrétiens à une réunion. « Il disait vouloir leur expliquer quelles étaient les lois du califat à Mossoul », explique Petros Mosche, archevêque syriaque catholique de Qaraqosh, la plus grande ville chrétienne d’Irak, située à une trentaine de kilomètres de Mossoul. De crainte qu’il s’agisse d’un piège, personne ne s’y rend.
Dans la nuit du 17 au 18 juillet, des voitures de l’EIIL ont circulé dans les quartiers chrétiens, annonçant par haut-parleurs trois possibilités : se convertir, payer l’impôt et se soumettre à la loi du califat, ou partir sous peine de passer par le fil de l’épée. Une lettre distribuée par les djihadistes fait état des mêmes consignes, fixant l’ultimatum à samedi 19 juillet, à midi, précisant qu’après, il n’y aurait « rien d’autre pour les chrétiens que l’épée ».
« La plupart d’entre eux ont quitté la ville, témoigne un prêtre de Mossoul réfugié à Qaraqosh. Ceux qui sont partis dans la nuit et jusqu’à 8 h du matin ont pu sortir avec quelques biens, mais ensuite les familles se sont vu confisquer leurs affaires au checkpoint tenu par les hommes de l’État islamique. » Le racket est méthodique : des femmes fouillent au corps les chrétiennes pour vérifier qu’elles n’ont rien caché, des hommes inspectent maris et fils. Les bijoux sont arrachés. Dans certains cas, les voitures sont saisies. Les clefs des maisons sont confisquées et « ils ont même eu le culot de demander aux propriétaires l’adresse correspondante ! », s’emporte un autre prêtre de Qaraqosh. Ceux qui ne veulent pas se séparer de leurs derniers biens voient leurs filles ou femmes menacées de kidnapping et s’exécutent. C’est donc souvent avec ce qu’ils portent sur le dos que beaucoup prennent la route de l’exode.
Dans le même temps, le 18 juillet, à 7 h 30, des hommes de l’EIIL sont entrés, furieux, dans l’évêché syriaque catholique de Mossoul en criant : « Où sont ces gens qui ont refusé de se rendre à notre réunion ? » Ils ont décroché des portraits des patriarches et des évêques et les ont brûlés devant l’évêché. « Des musulmans du quartier ont tenté de s’interposer, mais sans succès », rapporte Petros Mosche. Dans les jours qui suivent, les djihadistes mettent la main sur plusieurs églises de Mossoul. Le 19 juillet au soir, ils occupent le monastère et l’église de Saint-Georges, appartenant aux moines Antonins. Le 20 au matin, ils défoncent la porte du couvent des dominicains.
Des vagues de déplacés vers Qaraqosh
Poussés par la peur des djihadistes et par celle des bombardements de l’armée sur Mossoul, qui se sont intensifiés, les chrétiens se réfugient vers les villes de la zone autonome du Kurdistan. Ainsi, environ 250 familles ont été accueillies à Qaraqosh, ville qui compte entre 40 000 et 50 000 chrétiens et où l’on parle encore l’araméen, la langue du Christ. Les habitants sont inquiets face au chaos régnant dans la région.
Depuis le 10 juin, date de la prise de Mossoul, ils voient arriver les vagues de déplacés qu’ils tentent d’aider malgré un accès à l’eau et à l’électricité aléatoire. Aujourd'hui, on compte environ 600 familles venues de Mossoul. 400 sont arrivées entre le 11 et le 12 juin, tout de suite après la prise de leur ville par les djihadistes. Les 200 autres sont arrivées suite à leur ultimatum poussant les chrétiens à fuir.
Parmi ces familles arrivées ces derniers jours, environ 120 ont été littéralement dépouillées en quittant Mossoul et n'ont plus rien. « Plusieurs habitants de Qaraqosh ont mis à leur disposition des maisons vident dans lesquelles nous avons installées un, deux, parfois trois familles. D'autres ont ouvert leur propre maison pour accueillir ces déplacés, raconte Petros Mosche. Nous nourrissons ces personnes et essayons de récolter de l'argent pour en donner à ceux qui ont perdu les économies d'une vie ».
Les chrétiens de Qaraqosh sont d'autant plus sensibles au soir des déplacés que eux-mêmes ont été bombardés par les djihadistes, fin juin, et ont fui vers d’autres villes du Kurdistan avant de revenir, quelques jours plus tard, après que l’armée kurde eut repoussé les hommes de l’EIIL. On vit, dans la plaine de Ninive, au rythme des exodes successifs.
Un exode brutal
« Nous sommes psychologiquement fatigués par ces déplacements », confie l’un d’eux. « Les gens ont peur », explique un autre. Une peur renforcée par l’occupation, le 20 juillet, du monastère syriaque catholique de Mar Behnam (à 12 km de Qaraqosh). Les djihadistes, qui étaient déjà présents dans la localité, ont donné cinq minutes aux moines pour se convertir ou partir sans rien. « Il y a au moins 500 manuscrits anciens là-bas, et même des parchemins dont certains datent du XIe siècle », souligne un prêtre de Qaraqosh, craignant pour l’avenir de ces trésors.
Pour les habitants de Qaraqosh, cette proximité avec les djihadistes est source d’inquiétudes. Même si le sentiment « d’être les prochains sur la liste », est un peu tempéré par la présence de policiers kurdes dans la ville. « Nous sommes sur la ligne rouge, pris en tampon. Que se passera-t-il si Da’ash (l’État islamique en arabe) décide d’attaquer ? Nous n’avons plus confiance ».
Plusieurs familles sont déjà parties vers la Turquie, le Liban ou la Jordanie. Beaucoup tentent de récupérer leur certificat de baptême, sésame pour l’étranger. « Qui peut leur en vouloir ? estime un religieux de Qaraqosh. Les nuages menaçants s’accumulent au-dessus de nos têtes. Peut-être vaut-il mieux fuir avant la tempête ? La vie de l’homme vaut plus que la terre ! » D’autres chrétiens refusent cependant de partir.
Que reste-t-il donc aujourd'hui de l'antique Ninive maintenant que les djihadistes ont pulvérisé le tombeau du prophète Jonas, cher aux trois monothéismes ? Que reste-t-il de la présence, depuis 1700 ans, des chrétiens à Mossoul, devenue un califat ? « Rien », disent certains. Le prêtre de la ville ne peut y croire : « Ce n’est pas possible que tout le monde ait pu fuir en seulement quelques heures. Je pense à cette vieille paroissienne : a-t-elle pu partir à temps ? Où est-elle aujourd’hui ? » Le prêtre marque une pause et reprend, « la violence de ce qui nous arrive, la brutalité de cet exode, est impossible à décrire. Je n’ai plus de mots ».
Comment les aider ?
Plusieurs associations apportent leur soutien aux chrétiens de la plaine de Ninive. L’Œuvre d’Orient et l’Aide à l’Église en détresse financent depuis de nombreuses années les projets de l’Église locale. Ces deux associations sont mobilisées pour faire face à l’urgence. Plus récente, l’association Fraternité en Irak se rend régulièrement à Qaraqosh pour mener des actions avec la population. Elle a lancé l’opération Urgence à Ninive.
Vous pouvez contribuer en faisant un don à www.oeuvre-orient.fr, www.aed-france.org et fraternite-en-irak.org
Laurence Desjoyaux
pour lavie.fr