Les défis de la famille décortiqués par le Vatican
Le Saint-Siège a publié jeudi 26 juin le document de travail Instrumentum labori servant de base à l'assemblée extraordinaire des évêques consacrée à la pastorale familiale, qui se tiendra à Rome du 5 au 19 octobre 2014. Un document qui décortique les grands défis de la famille contemporaine et met en lumière un décalage croissant entre celle-ci et les enseignements de l'Église.
Le constat des responsables du Synode des évêques est sans appel : les catholiques, dans leur majorité, ne connaissent pas la doctrine de l'Église concernant les questions familiales. Lors de la conférence de presse visant à présenter l'Instrumentum laboris, Mgr Lorenzo Baldisseri, secrétaire général du Synode des évêques, a repris l'avis très tranché formulé il y a quelques mois par le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi (CFD), Mgr Gehrard Müller et que nous évoquions alors.
Cette synthèse de 80 pages rendue publique ce jeudi est le résultat d'un immense travail de collecte, commencé en début d'année par le conseil du secrétariat général du Synode des évêques, à partir des réponses au questionnaire envoyé l'an dernier. À partir des réponses des conférences épiscopales, mais aussi de diocèses, de paroisses et de mouvements, qui révèlent “beaucoup de joies et d’espérances, mais aussi des incertitudes et des souffrances”, l'Instrumentum laboris présente donc une radioscopie précise de la façon dont le Magistère est perçu par les fidèles.
Le Magistère mal connu par les fidèles
Le texte, s'il relève un désir des fidèles "de mieux connaître l'Écriture Sainte”, constate que “le peuple de Dieu semble avoir généralement une faible connaissance des documents conciliaires et postconciliaires du Magistère sur la famille”. Certaines réponses confessent “avec franchise que ces documents ne sont pas du tout connus des fidèles”. Les documents de l'Église sur la famille sont même perçues par les fidèles “comme des réalités un peu ‘exclusives’”.
“La faute à qui ?”, serait-on tenté de s'interroger. Selon les réponses au questionnaire, ce serait d'abord celle de pasteurs “parfois inadaptés et impréparés à traiter des problématiques qui concernent la sexualité, la fécondité et la procréation, de sorte qu’ils préfèrent souvent ne pas affronter ces thèmes”. Plusieurs réponses évoquent également “une certaine insatisfaction à l’égard de certains prêtres qui apparaissent indifférents par rapport à certains enseignements moraux. Leur désaccord avec la doctrine de l’Église engendre de la confusion au sein du Peuple de Dieu.”
Même quand la doctrine de l'Église est connue, “beaucoup de chrétiens manifestent des difficultés à l’accepter intégralement”. Et les rédacteurs du texte d'évoquer certains sujets “chauds” sur lesquels les fidèles montrent “une résistance” : contrôle des naissances, divorce et remariage, homosexualité, concubinage, fidélité, relations avant le mariage, fécondation in vitro... Pour dépasser ces résistances, certaines réponses observent “qu’une plus grande intégration entre spiritualité familiale et morale serait nécessaire”. En un mot : cesser d'asséner des vérités pour favoriser une rencontre personnelle avec le Christ. Et le document d'insister sur “l’insuffisance d’une pastorale soucieuse uniquement d’administrer les sacrements, sans que corresponde à cela une véritable expérience chrétienne impliquant la personne”.
Face au “contraste croissant entre les valeurs proposées par l’Église sur le mariage et la famille et la situation sociale et culturelle diversifiée sur toute la planète” – évoqué longuement à travers les termes de “culture hédoniste”, “relativisme” et “tout, tout de suite” – les évêques notent une première urgence : “former des agents pastoraux capables de transmettre le message chrétien d’une façon culturellement adéquate”.
Loi naturelle et polygamie
L'Instrumentum laboris note un autre point d'achoppement : la loi naturelle, à laquelle les documents du Magistère font souvent référence. “Il s’agit d’une expression qui est perçue différemment ou tout simplement pas comprise”, précise-t-il. Ainsi, de nombreuses conférence épiscopales affirment que “les systèmes législatifs de nombreux pays se trouvent à devoir réglementer des situations contraires à l’ordre traditionnel de la loi naturelle” – fécondation in vitro, unions homosexuelles, manipulation d’embryons humains, avortement – favorisant “la diffusion croissante de l’idéologie appelée gender theory ou théorie du genre”.
Certaines conférences épiscopales (Afrique, Océanie et Asie) notent que “c’est la polygamie qui est considérée comme étant ‘naturelle’”. Sans système de référence commun, la loi naturelle n'est donc plus considérée comme universelle. Face à ces difficultés, les réponses invitent l'Eglise à “communiquer les valeurs de l’Évangile d’une manière compréhensible pour l’homme d’aujourd’hui”, en mettant notamment l'accent sur le rôle de la Parole de Dieu comme “instrument privilégié dans la conception de la vie conjugale et familiale”, à travers des “langages accessibles”.
Cette conception de la loi naturelle influence aussi la question du divorce et du remariage, note le document. “Le nombre de ceux qui considèrent avec négligence leur situation irrégulière est assez important.” Mais cette question n'est pas considérée comme prioritaire par Rome, qui préfère travailler en amont : “Avant de prendre en considération la souffrance de ceux qui sont en situation d’irrégularité (...), l’Église doit prendre en charge une souffrance signalée plus en amont, à savoir celle qui touche à l’échec du mariage.” Cependant, plusieurs Conférences épiscopales mettent l’accent sur la nécessité pour l’Église de se doter d’instruments pastoraux permettant d’exercer “une plus vaste miséricorde, clémence et indulgence par rapport aux nouvelles unions”.
Formation constante
À de nombreuses reprises, les réponses soulignent la nécessité d’une “formation constante et systématique sur la valeur du mariage comme vocation et sur la redécouverte de la parentalité comme don”. L'Instrumentum laboris rappelle d'ailleurs que l'accompagnement du couple ne doit pas se limiter à la préparation au mariage, “pour lequel on signale la nécessité de revoir les parcours” pour une formation “plus structurée”. Les parcours actuels “sont souvent perçus davantage comme une proposition obligatoire que comme une possibilité de croissance”. Sur la question du mariage homosexuel, toutes les Conférences épiscopales se sont exprimées “contre une ‘redéfinition’ du mariage entre un homme et une femme en introduisant une législation permettant l’union entre deux personnes du même sexe”.
Face à des défis si nombreux, la mission du Synode sur la famille s'annonce gigantesque. Le document précise donc que le travail sera fait en deux temps : lors de l'Assemblée générale extraordinaire d'octobre prochain, “les Pères synodaux évalueront et approfondiront les données, les témoignages et les suggestions des Églises particulières, afin de répondre aux nouveaux défis sur la famille”. Un travail qui sera complété lors de l'Assemblée générale ordinaire de 2015 qui “réfléchira plus profondément sur les thématiques affrontées pour définir des lignes d’action pastorales plus appropriées”.
Anna Latron
pour lavie.fr