S’engager quand même !
L’époque est dure pour ceux qui souhaitent donner un sens universel à leur réflexion et leur action.
La mondialisation marxiste par l’union des prolétaires s’est écroulée. La mondialisation économique a conduit à transformer l’argent, qui était un outil pour les transactions, en finalité ultime de l’activité humaine. Quant aux religions, elles vivent les tentations contraires de la conquête et/ou du repli dans du fondamentalisme identitaire. Au niveau de la vie politique la désaffection sans cesse croissante des citoyens pour les élections, les partis politique ou les syndicats crée un vide que l’ultra individualisme de la consommation ne saurait remplir.
Tout cela traduit une crise de l’engagement que Miguel Benasayag et Angélique Del Rey ont remarquablement analysée dans leur ouvrage De l’engagement dans une époque obscure 1.
Ces auteurs me semblent avoir ciblé le cœur du problème en dénonçant un rapport hiérarchique entre la théorie et la pratique qui a trop souvent réduit les militants à de petits soldats de chefs qui seraient porteurs d’un savoir sur l’avenir. À l’engagement-transcendance qui se fonde sur une vision totalitaire du monde, les auteurs opposent l’engagement-recherche qui accepte de s’ancrer dans le particulier et la complexité et qui abandonne la prétention à un changement global. Dès lors, il ne s’agit plus d’appliquer des programmes statiques définis par des experts mais de construire des projets dans les situations que l’on vit. Cet ancrage modeste et conscient dans une réalité territorialisée, dans un va-et-vient permanent entre la théorie et l’expérience, n’est pas un refuge mais la voie qui peut permettre à chaque être humain de devenir ce citoyen que ne cessent d’appeler de leurs vœux les leaders politiques de tous bords.
Dans son analyse sur la société civile comme troisième pouvoir à côté de ceux de l’économie et de la politique, l’économiste et acteur sociétal philippin Nicanor Perlas montre comment celle-ci devient le creuset où peuvent s’inventer de nouvelles pratiques économiques et politiques : « La société civile est actuellement ce pouvoir qui pousse les forces dominantes de la société à réaliser l’équivalent d’un rite de passage. Les pouvoirs dominants doivent être rendus humbles. De cette humilité qui naît dans la phase de liminalité 2 de nouvelles possibilités éclosent pour la société. Ainsi, la société civile devient le lieu de l’initiation de la prochaine génération de dirigeants de la société au sens large : des dirigeants qui tiendront mieux compte des besoins réels de tous les citoyens » 3.
L’engagement permet de résister pour que les citoyens ne soient pas réduits à n’être que des gisements d’électeurs et/ou de consommateurs. Il élargit le champ de la dynamique sociale, convaincu que la culture, la spiritualité et la fraternité seront décisives dans ce que Nicanor Perlas appelle le commencement de la Nouvelle Histoire.
Bernard Ginisty
1 – Miguel Benasayag, Angélique Del Rey : De l’engagement dans une époque obscure, Éditions Le passager clandestin, 2011.
2 – Liminalité : période dans un rite de passage pendant laquelle l’individu n’a plus son ancien statut et pas encore son nouveau statut.
3 – Nicanor Perlas, La société civile : le 3e pouvoir. Changer la face de la mondialisation, Éditions Yves Michel 2003, page 184.