Cherchez le royaume de la finance… et tout le reste vous sera donné en surcroît !
Les récentes élections au Parlement européen ont été qualifiées aussi bien par des responsables politiques que par des journalistes de « séisme ». Qu’un des pays fondateurs de la Communauté Européenne et qui se veut, avec l’Allemagne, le moteur de cette communauté, envoie au Parlement européen, comme groupe le plus nombreux, les représentants d’un parti très officiellement europhobe, remet en cause l’image de la France.
Par ailleurs, les deux partis de gouvernement, l’UMP et le Parti Socialiste ont connu des revers très importants et leur score additionné ne représente qu’un peu plus du tiers des votants !
Depuis des lustres, les hommes politiques sont tétanisés par les deux forces qui s’imposent de plus en plus comme les critères essentiels : l’argent et les media. La logique présidentielle de la constitution de la 5e République ne cesse de focaliser la vie politique sur cette grande échéance électorale à laquelle tout le reste est subordonné. Et une élection présidentielle devient de plus en plus une affaire d’argent et de media.
Dans un entretien qu’il vient d’accorder au journal La Croix, le prix Nobel de la paix, Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank, première institution de microcrédit au service des personnes déshéritées du Bangladesh, analyse ainsi les impasses de l’entreprise moderne : « L’argent est le seul but qui motive l’entreprise moderne (…) L’explication de cet état d’esprit est à chercher dans l’essence du capitalisme moderne. C’est une machine. Avant, un entrepreneur devait prendre soin de ses ouvriers, de l’environnement, d’un village. Maintenant, un entrepreneur rend des comptes à des actionnaires. Ceux-ci regardent le cours de l’action et parient. Ils ne savent même pas ce que font les entreprises dont ils détiennent les parts. L’entrepreneur n’a pas le temps de traiter des enjeux sociaux. Il les exclut. Simplement, après avoir fait gagner beaucoup d’argent à l’entreprise, il prend un peu de cet argent pour des actions sociales. Il le fait comme une charité. Cette conception des affaires transforme les salariés en robots à faire de l’argent » 1.
J’ai bien peur que cette conception des affaires ait envahi la vie politique convertie de plus en plus au dogme qu’on pourrait exprimer ainsi : cherchez premièrement le royaume de la finance et tout le reste vous sera donné par surcroît ! Si le seul challenge que l’on puisse proposer aux électeurs, c’est d’être les meilleurs dans la compétitivité mondiale, c’est-à-dire les meilleurs pour fabriquer des produits aux coûts les plus bas, alors il ne faut pas s’étonner de la désaffection des peuples pour la politique, ce que manifeste les taux croissants d’abstention.
Muhammad Yunus définit un renouveau possible de la vie politique lorsqu’il déclare : « Chacun doit pouvoir être utile. Sans cela, le système est absurde. Chaque être humain a un pouvoir illimitée de création (…) J’utilise ma créativité, pas seulement pour prendre soin de moi, mais pour prendre soin de la planète. Je ne me limite pas à ma seule survie. La survie est un défi animal. Le défi humain est au-delà. Chaque être humain veut prendre soin de la planète ».
Bernard Ginisty
1 – Muhammad Yunus : J’utilise ma créativité pour prendre soin de la planète, Entretien paru dans le journal La Croix du 30 mai 2014, page 11.