Qu’est-ce qui est sacré pour Jésus ?
« Le terrain du sacré c’est toute la vie, traversée par toutes les personnes possibles, qui devient le lieu de la sainteté ». Francine Robert définit ainsi ce qui, pour elle, est sacré dans l’Évangile.
Matthieu 23,16.19 : « Quel est donc le plus digne : l’or ou le sanctuaire qui a rendu cet or sacré ?... Quel est donc le plus digne : l’offrande ou l’autel qui rend cette offrande sacrée ? »
Jésus rétablit dans ces deux exemples les causes et le sens de ce qui rend sacré. Et il va plus loin encore car le sanctuaire est habité par Dieu donc c’est Dieu la véritable source du sacré. Ainsi le « sacré » sort de son objet et remonte jusqu’à Dieu. De cause en effet le sacré devient évolutif.
Pour Jésus aucun culte n’est sacré y compris le culte des morts : « laisse les morts enterrer leurs morts mais toi, suis-moi ». Le suivre devient plus important que le culte des morts et celui-ci perd son caractère sacré au profit du message évangélique.
Aucun lieu de culte n’est vraiment prioritaire : « Le salut vient des juifs » (Jean 4,22). C’est dire que le Judaïsme, contenant la loi de Moïse et la croyance en un seul Dieu, constitue la voie du salut et (21-22) : « Ce n’est ni sur une montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père… Mais les véritables adorateurs adoreront le Père en Esprit et en Vérité ». Donc ni la montagne, ni Jérusalem – la ville du Temple – ne sont sacrées, mais Dieu seul en nous et avec nous. Jésus chassera cependant les marchands du Temple en reprenant une citation à leur adresse : « Il est écrit : ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites un repaire de brigands » (Matthieu 21,13). Pour Jésus, les témoignages de la foi et de la prière sont primordiaux dans la maison de Dieu. Et s’il chasse ainsi les vendeurs du Temple c’est que ceux-ci portaient atteinte aux personnes venues pour exprimer leur foi en profanant leur lieu de prière et de même atteinte à la Parole de Dieu qu’il enseignait tous les jours dans le Temple. Mais comme il le dit aux juifs qui lui demandent : « par quel signe fais-tu cela ? » (Jean 2,18) le seul véritable Temple c’est son corps, sa personne : un sacré indestructible, temple qu’on peut abattre mais reconstruire en trois jours, parole que les disciples se rappelleront à sa résurrection.
Ne sont sacrées que les valeurs de l’Amour : le partage des richesses, la non-violence, le pardon, la justice, la solidarité, le regard et les soins portés aux malades aux handicapés. On peut dire que tout cela constitue les gestes du sacré pour Jésus : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir… Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25, 35-39.40). La sacralisation naturelle de ces actes d’amour se fait par leur montée vers la transcendance de sa personne et de ce fait Jésus, coexistant avec le Père, devient l’unique sacré.
Les disciples mangent les épis de blé le jour du Sabbat. Au reproche des Pharisiens, Jésus va répondre : « Il y a ici plus grand que le Temple » en Matthieu 12,6 et : « Le Fils de l’homme est maître du Sabbat » en Marc 2,28.
Jésus rétablit ainsi le véritable sens du Sabbat : le Sabbat fait pour l’homme et non l’inverse. Et là aussi, en rétablissant le Sabbat, il rétablit le véritable sens du sacré vers sa propre personne.
De même, en Luc 6,6-10 Jésus guérit un homme à la main sèche le jour du sabbat et il dit : « Est-il permis de faire le mal, de sauver une vie plutôt que de la perdre ? » Une guérison, une vie sauvée sont infiniment plus sacrées que le respect du Sabbat.
Le véritable sens du sacré est la priorité donnée à la personne sur le respect des cultes et des religions. De même la réconciliation avec le frère passe avant l’offrande apportée à l’autel.
Cette expression : « Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, ne jetez pas vos perles aux porcs » Matthieu 7,6). Jésus fait encore allusion à la personne. Les chiens ce sont les païens. (La Syro-phénicienne parle des petits chiens sous la table de leur maître). Ne leur donnez pas ce qui est sacré, du moins aux païens enfermés dans leur croyance sans espoir d’ouverture. Cela peut signifier aussi de ne pas employer à leur égard un certain prosélytisme qui ferait plus de ravages que de bien. Ces mots, indirectement, font appel à toute une psychologie à observer envers les non-croyants.
Mais le porc est un animal répugnant dans lequel seuls les esprits impurs peuvent se réfugier. Nos perles dont parle Jésus, c’est le trésor de la Parole de Dieu que nous portons en nous, un trésor que ni la rouille ni les vers ne peuvent attaquer mais que nous portons dans des vases d’argile. « Ne leur jetez pas vos perles » sachant que ce trésor sera rejeté, bafoué, ridiculisé si bien que notre cœur, notre esprit, notre foi risquent d’en être affectés.
En sacralisant un culte, on remet tout à ce culte et on l’immobilise (c’est l’homme fait pour le Sabbat des Pharisiens). De même, en sacralisant un objet, même de piété (l’or du sanctuaire, l’offrande de l’autel) on se fige sur l’objet. Le véritable sacré exige de regarder vers l’avenir. Le sabbat fait pour l’homme fait évoluer le sabbat.
Dans la Cène, à partir d’un repas, acte de la vie courante, Jésus nous dit de faire mémoire de lui et cette mémoire fait de la personne de Jésus un sacrement, car la mémoire est renouvelable, reconductible. La mémoire comme l’acte de prier ne sont jamais figés. Le sacré, pour Jésus, passe de ce qui est statique à ce qui évolue, à condition dans la prière de « ne pas rabâcher comme les païens » ce qui reviendrait à figer la prière.
Nous savons que Jésus n’est pas venu abolir la loi ni son contenu sacré mais il est venu l’accomplir, transcender ce contenu dans l’Amour. Le sacré c’est ce passage, cette évolution qui n’a pas de fin jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans le Royaume de Dieu. L’acte même de donner un verre d’eau à l’un de ces petits ne sera pas perdu.
Le sacré part du plus petit de nos actes vers l’infiniment grand de l’Amour. Le sacré est compassion, don, gratuité.
Jésus lui-même fait prendre au sacré signification de sainteté. Avec Jésus on peut dire que le sacré se définit en sainteté.
En définitive le sacré pour Jésus se résume aux deux commandements de l’Amour :
- Pour le premier : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit.
- Et le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, liant l’un et l’autre indéfectiblement dans la personne humaine.
On retrouve ici ce terrain du sacré de toute la vie avec toutes ses rencontres et ses situations humaines, devenant lieu de sainteté.
Christiane Guès