Les citoyens européens condamnés à inventer !

Publié le par Garrigues et Sentiers

À l’heure où j’écris ces lignes, j’ignore le résultat des élections au Parlement européen dont tous les observateurs nous disent qu’elles vont entériner la montée de l’euro scepticisme.

La crise que traverse la communauté européenne peut être illustrée par deux déclarations, déjà anciennes. L’une de Jacques Delors : « Aujourd’hui, l’Europe ressemble à un ménage qui vient d’acheter un appartement dans une maison. Il a ajouté deux, trois pièces, mais il n’y a pas d’architecte qui pense l’ensemble et réponde à la question centrale : pourquoi voulons-nous vivre et agir ensemble ? ». L’autre, du philosophe Allemand Jürgen Habermas : « Le processus d’unification bute aujourd’hui sur l’absence d’une identité européenne. Les problèmes que nous avons à résoudre aujourd’hui sont des problèmes politiques et l’on ne s’en débarrassera pas en se contentant d’espérer une intégration indirecte générée par des impératifs fonctionnels liées à l’unification des marchés et au jeu des décisions cumulées » 1.

Nous sommes loin des déclarations tonitruantes et naïves qui avaient accompagné la naissance de l’euro, le 1er janvier 2002, dont celle de Wim Duisenberg, alors président de la Banque centrale européenne : « Je suis persuadé que l’introduction des pièces et billets en euros apparaîtra dans les livres d’histoire de tous nos pays et même d’ailleurs comme le début d’une nouvelle ère en Europe ». C’était croire que la création d’une monnaie commune pourrait dispenser les Européens de l’apprentissage d’un rapport au politique comme pouvoir de régulation plus que d’identité. Comme l’écrit l’américain Jeremy Rifkin, « L’union européenne est la première expérience d’institution gouvernementale dans un monde qui renonce progressivement au niveau géographique pour accéder à la sphère planétaire. Elle ne régit pas des relations de propriété au sein des territoires, elle gère bien davantage une activité humaine incessante et constamment mouvante dans des réseaux mondiaux » 2.

Dans le débat qui suivit l’intervention de Paul Ricœur à la session de 1997 des Semaines Sociales de France, celui-ci fut questionné sur l’identité européenne et son rapport à l’étranger. Sa réponse me paraît particulièrement éclairante pour tous ceux qui s’engagent dans le projet européen : « Dans l'état actuel des choses, l'État-nation paraît indépassable. Les espaces de juridiction sont fermés et il y a donc un phénomène de clôture du politique. (…) Je crois que la distinction national-étranger est constitutive du politique. Mais il y a autre chose, c'est la vie culturelle, esthétique, religieuse, qui, elle, est transfrontière. De ce point de vue-là, il faut penser l'Europe non pas comme un système de frontières à franchir et à rendre plus ou moins perméables, mais en termes de foyers de rayonnement qui se chevauchent les uns les autres (...) La question est de savoir comment on arrivera dans l'avenir proche à négocier entre un système de clôture à frontières et un système de rayonnement à foyers (…) Ce sont deux systèmes de pensée que nous allons avoir à gérer simultanément » 3.

Bernard Ginisty

1 – Jürgen Habermas : Sur l’Europe Éditions Bayard 2006, page 42.
2 – Jeremy Rifkin : Le rêve européen ou comment l’Europe se substitue peu à peu à l’Amérique dans notre imaginaire, Éditions Fayard 2005, page 288.
3– Paul Ricœur : Étranger moi-même, Conférence aux Semaines Sociales de France de 1997.

Publié dans Signes des temps

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R
Tout cela est bien vrai et ce qui complique singulièrement les chose c'est que ce vote survient lors d'un choc frontal entre la tentation du repli identitaire, provoqué par la situation socio-économique, et la marche inéluctable vers le fédéralisme, si l'on veut que l'Europe existe réellement, au-delà de l'économique et du monnaitaire.<br /> Robert Kaufmann
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