La vérité ne doit pas réduire l’autre à l’erreur
Ce texte répond à l’article d'Albert Olivier
Vous avez dit dualité ?…
qui répondait lui-même à l’article de Bernard Ginisty
L’intelligence de croire
Merci à Albert Olivier pour sa contribution qui permet de prolonger et approfondir une question capitale, non seulement pour la philosophie, mais pour la vie spirituelle. Il est vrai que trop souvent, nous oscillons entre des tentations de fusions qui nous éviteraient d’exister par nous mêmes, et l’enfermement dans des séparations que l’on cherche à combler par des idéologies totalisantes ou plus prosaïquement par des système d’autorité ou d’exclusion.
La pensée d’Emmanuel Levinas, se situe au cœur de cette question lorsqu’elle se pose en contestation de la tentation de la pensée occidentale « totalisante ». Dans la préface qu’il a rédigée pour l’ouvrage de Stéphane Mosès, Système et Révélation. La philosophie de Franz Rosenzweig 1, Emmanuel Levinas expose un certain « discours de la méthode » pour penser cette question, en prenant comme exemple la relation du Judaïsme et du Christianisme que traite, entre autres, l’ouvrage majeur de Franz Rosenzweig L’Étoile de la Rédemption 2.
Il voit dans la pensée de Rosenzweig « le fait de s’en tenir à la totalité éclatée ; l’idée que tout n’est pas assemblable : Dieu, le monde, l’homme. Éclatement de la totalité affirmée contre Hegel ». Ce n’est pas un système de pensée qui va permettre de fonder le vivre ensemble, mais l’accueil d’une Révélation qui « est vie, langage et temporalité. L’entrée-en-rapport par la révélation n’établit rien, elle lie le non additionnable, elle le lie d’une liaison dont le langage ou la socialité ou l’amour serait l’originelle métaphore (…) La Rédemption, dira Rosenzweig, c’est apprendre à dire tu à un il ».
Ce que Rosenzweig nous apprend, c’est que la vérité de l’un ne suppose pas de réduire l’autre à l’erreur
Et Levinas voit le rapport entre chrétiens et juifs comme un paradigme du rapport la vérité : « L’Etoile de la Rédemption innove. Il y aurait entre chrétiens et juifs l’intimité la plus grande. Elle est autour de la vérité. Non pas le simple partage de quelques idées, non pas la continuité d’une histoire où les uns reprennent ou renouvellent les opinions des autres. Vérité ne signifie plus énoncés et affirmations, mais un événement et un drame eschatologique qui se déroule. Il s’agit d’une vérité qui est d’autant plus vraie que les partenaires du drame sont appelés à jouer des rôles différents. L’absolument vrai se scinde, de par sa vérité même, en judaïsme et en christianisme et se joue dans leur dialogue. C’est une vie commune ».
Et Levinas conclut son magnifique texte par ces mots : « L’ultime nœud du psychisme n’est pas celui qui assure l’unité du sujet, mais, si l’on peut dire, la séparation liante de la société, le dia du dialogue, de la dia-chronie, de ce temps que Rosenzweig entend prendre au sérieux, la séparation liante que l’on appelle, d’un mot usé, amour » 3.
Je pense que l’on doit ainsi penser les couples parallèles qu’évoque Paul Valadier. J’en ajouterai un : jamais le christianisme sans le judaïsme.
Bernard Ginisty
1 – Stéphane Moses : Système et Révélation. La philosophie de Franz Rosenzweig. Préface d’Emmanuel Levinas. Éditions du Seuil, 1982
2 – Franz Rosenzweig : L’Étoile de la Rédemption, Éditions du Seuil, 2003
3 – Emmanuel Levinas : Extraits de la Préface écrite pour Système et Révélation, op.cit. pages 7-18.