Excommunication de la présidente de "Wir sind Kirche"
Martha Heizer, présidente autrichienne du mouvement réformiste, a été excommuniée ce mercredi par l'évêque d'Innsbrück. Une décision qui a littéralement coupé la cathosphère germanophone en deux
D'un côté, les soutiens à Mgr Manfred Scheuer, qui a présenté au couple le décret d'excommunication mercredi soir. De l'autre, les soutiens à la présidente de Wir sind Kirche et à son époux, tous deux concernés par cette excommunication latae sententiae.
Fallait-il excommunier Martha Heizer ? Pour le théologien autrichien Roman Siebenrock, c'était “inévitable”. « Avec leurs célébrations eucharistiques privées et invalides, Martha et Gerd Heizer ont cassé les règles élémentaires de l'Eglise et se sont eux-même exclus de la communauté ecclésiale », résume l'agence Kathpress (en allemand) à propos de sa tribune parue sur le site de l'université d'Innsbrück (en allemand)
Le théologien, qui reconnaît avoir été « sympathisant » et même « membre » de Wir sind Kirche, prend clairement ses distances avec le mouvement. Selon lui, l'attitude du couple Heizer révèle un « danger latent » pour l'Église. « Ils croient en leur propre souveraineté ». Selon Roman Siebenrock, en se proclamant prêtre, ces croyants ont tout simplement déclaré : « Je suis l'Église à moi tout seul, je suis évêque ou pape, et cela de ma propre souveraineté ».
Jan Endrik Stens, théologien et chroniqueur sur la radio catholique Domradio, va plus loin. Dans un commentaire publié jeudi (en allemand), il tire un parallèle entre Wir sind Kirche et la Fraternité Saint-Pie X, comparant les messes privées sans prêtre aux ordinations de 1988 réalisées sans l'aval de Rome. « Quand un mouvement qui prétend réformer l'Église de l'intérieur cherche ouvertement à rompre avec celle-ci, on peut s'interroger sur ce qu'il y a encore a espérer d'un tel mouvement ». Le chroniqueur dit soutenir la décision de l'évêque sans triomphalisme. « Toute jubilation serait ici hors de propos », assure-t-il.
Le couple Heizer a d'ailleurs prévenu ce vendredi (en allemand) qu'il n'y aurait aucun retour en arrière, seule possibilité de lever l'excommunication. « Nous ne regrettons rien et nous ne disons pas non plus que nous étions aveuglés. C'est magnifique et nous continuerons encore à célébrer de telles messes ».
Le responsable allemand de Wir sind Kirche, Christian Weisner, soutient leur attitude. « L'infraction grave présumée dont Martha Heizer est accusée est commise tous les jours dans le monde par des centaines de groupes catholiques », déclare-t-il (en allemand) au quotidien Die Welt. « C'est une conséquence de la pénurie de prêtres, poursuit-il. Plutôt que de punir, il faut se réjouir de cette forme d'engagement des laïcs ». Pour lui, sanctionner une forme de piété « uniquement parce qu'elle est contraire à la lettre même de la loi de l'Église est un reliquat typique de la vision de l'Église propre à Benoît XVI ».
De toute évidence, le responsable allemand de Wir sind Kirche estime que l'Église ne parvient pas à surmonter son archaïsme. « Cette décision montre que l'esprit de François n'est pas encore parvenu jusqu'à l'appareil de la curie (…) La bureaucratie de l'Eglise continue de fonctionner ».
Derrière les termes curie et bureaucratie, c'est le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) qui est visé. Mgr Gerhard Müller, ancien évêque de Ratisbonne, en Bavière, guère connu pour ses positions progressistes, est la bête noire des membres de Wir sind Kirche, comme l'explique Jan Endrik Stens sur Domradio. « De même, le mythe va se construire que ce n'est pas vraiment François qui se cache derrière l'excommunication, mais bien le dur cardinal Gerhard Müller ».
Pourtant, selon le chroniqueur, le fait que la CDF ait délégué son pouvoir à l'évêque local en lui laissant le soin de mener l'enquête et de publier le décret, est un signe que les sympathisants de Wir sind Kirche auraient dû regarder positivement : « Changer ce processus reviendrait à affaiblir les Églises locales, ce que François refuse tout simplement. »
Matthias Scharer, professeur de théologie à l'université catholique d'Innsbrück, veut quant à lui « dépasser les questions de droit canonique ». Sur le site de l'université (en allemand), il rend hommage à Martha Heizer, avec qui il a travaillé « des années durant », rappelant que dans ce cas, « l'excommunication concerne un être profondément connecté à l'Église catholique, une personne qui souffre à cause d'elle mais qui s'est en même temps engagé pour elle ».
« Elle a défendu à de nombreuses reprises les positions de l'Église de façon critique », explique-t-il, souhaitant que tout soit mis en œuvre pour trouver une issue rapide à cette situation « blessante » autant pour les Heizer que pour l'Église.
Au final, résume le théologien allemand Paul Zulehner, « l'affaire suscite plus de questions qu'elle n'en règle ». Dans deux billets publiés sur son blog (ici et là), le théologien revient sur les messes privées, « célébrées depuis les origines de l'Église » et qui, à ses yeux, posent la question du sacerdoce des laïcs. Il appelle à la convocation d'un « synode du prêtre » qui définirait une sorte d'« équipe presbytérale » composée de laïcs pour les communautés dépourvues de prêtres. « Ce serait une option futuriste, mais sans problème dogmatique, d'ordonner les Heizer au lieu de les excommunier, conclut-il. Car ils sont déjà suffisamment formés ».
Anna Latron
pour lavie.fr