Éditorial

Publié le par Garrigues et Sentiers

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Dossier n° 25

Éditorial

Le Sacré

Le thème que nous avons choisi de traiter dans ce 25e dossier de notre blog paraît évoquer des réalités immémoriales, même pour notre société que l’on dit, sans doute un peu rapidement, « désacralisée ». « Sacré » n’a pourtant été longtemps qu’un simple adjectif ; c’est seulement depuis le début du siècle dernier, grâce à E. Durkheim et ses disciples sociologues, qu’il est aussi un substantif dont l’usage s’est largement répandu depuis dans d’autres sciences humaines, puis dans le grand public. Du coup le terme s’est quelque peu démonétisé, ce qui risque de faire oublier les réalités complexes et à bien des égards redoutables auxquelles il renvoie.

Aussi convient-il d’évoquer pour commencer cette face sombre du sacré dont traitent deux contributions d’Alain Barthélemy-Vigouroux. Loin de se limiter à un résumé de l’ouvrage classique qu’est La violence et le sacré, la première, René Girard, le sacré, la violence, met cette étude en perspective avec les autres travaux de ce philosophe dont la contribution à toute réflexion sur le sacré reste fondamentale. La seconde, L’horreur sacrée, tire profit des compétences de linguiste de l’auteur pour pointer que « le sacré porte en lui le sacerdoce comme la nuée porte l’orage », avec toutes les dérives que cela peut comporter, même dans le christianisme où pourtant le mot « sacré » est absent des Évangiles. Aussi sa conclusion est-elle que la notion de sacré « charrie trop d’horreurs pour convenir à l’incarnation d’un Dieu d’amour ».

La tonalité n’est guère différente dans l’article de Christian Salenson, Sacré et sainteté, qui relève en quoi la révélation – mais non toujours les pratiques chrétiennes – ont opéré « une conversion du sacré à la sainteté », ce qui constitue en outre un utile complément à notre Dossier n° 19 : Saints et Sainteté dans lequel nous n’avions pas abordé le rapport entre sainteté et sacré. Et l’analyse des textes évangéliques à laquelle s’est livrée Christiane Guès dans sa contribution Qu’est-ce qui est sacré pour Jésus ? ne fait que confirmer ce jugement car pour elle aussi « avec Jésus le sacré se définit en sainteté ».

Pour autant cette conversion du sacré à la sainteté était enracinée dans la tradition juive, dont Jésus entendait conserver jusqu’à la plus petite lettre (Matthieu 5,18). Et elle est toujours aussi actuelle dans le judaïsme contemporain comme le pointent deux articles. Dans l’un, Le sacré et le profane : une opposition apparente, Marcel Goldenberg souligne en effet que l’opposition entre ces deux notions ne saurait être opératoire pour un Juif parce que l’injonction qui est première pour lui, « Choisir la vie » (Deutéronome 30,19), « ne sépare pas la vie quotidienne de la vie religieuse ». Ce qu’avait bien marqué Yéchoua-Jésus, écrit-il pour conclure, quand il a reconnu comme les plus grands des commandements l’amour de Dieu et celui du prochain (Matthieu 22,36-39). À quoi répond comme en écho la conclusion de l’article d’Éric Penso, Le sacré, le judaïsme… et moi, dans laquelle l’amour du prochain apparaît également comme constituant la fine pointe du sacré dans le judaïsme. Vision exigeante car, comme le souligne l’auteur avec l’humour qu’on lui connaît, « l’autre met à coup sûr le bazar dans nos habitudes. Il chamboule notre routine et notre confort. »

On ne saurait pourtant limiter aux religions une enquête sur le sacré, car il est d’autres traditions spirituelles qui s’intéressent à cette notion. À preuve l’article qu’un ancien Grand-Maître de la Loge de France, Louis Trébuchet, nous a fait l’honneur de nous confier. Le titre en est modeste, Un franc-maçon face au sacré, car l’auteur entend donner son témoignage mais non engager ses frères et encore moins son obédience. Tant il est vrai, comme disait Montaigne, que « chaque homme porte en lui la forme de l’humaine condition », qui ne se reconnaîtrait pourtant dans la vision qu’il propose du sacré : « C’est le Saint des saints qui est en chaque être humain, le lieu intérieur où l’être humain va nommer ce qui le transcende, le lieu par lequel il va reconnaître l’autre, et le lieu qu’il va reconnaître en l’autre pour l’aimer » ?

Une telle vision engage, mais n’est pas toujours facile à vivre. Éric Penso l’avait déjà souligné, Nathalie Gadea y revient dans un article, Tout homme est une histoire sacrée, en forme de ces fioretti dont elle a le secret. Comme une fleur des champs que l’on glisse dans un livre qu’on aime, nous l’avons placé au cœur de ce dossier dont les derniers articles sont une sorte d’anthologie que nous avons constituée avec la complicité d’amis amoureux d’images et de peintures. Car peut-on s’intéresser au sacré sans évoquer les expressions artistiques qu’il a suscitées ?

Dans cette anthologie, Jean Blache nous fait partager son Regard sur les mosaïques du premier art chrétien à Rome ; deux contributions – celles d’Élizabeth Hériard-Dubreuil, L’icône, lieu du sacré et d’Élizabeth Durand, L’icône, une marche vers la Beauté absolue de Dieu, disent la transmutation que ces images des premiers temps chrétiens ont connue du fait de la spiritualité orientale ; dans son article Le sacré chez les primitifs siennois du XIVe siècle, Jacques Lefur montre enfin comment l’art de Byzance a fécondé à son tour celui de l’Italie médiévale jusqu’à y faire germer les fleurs de la Renaissance à partir de laquelle l’histoire de l’art prend un tout autre cours.

Choix subjectifs, bien entendu, qui n’ont d’autre but que d’en appeler à la subjectivité du lecteur pour qu’avec ses propres références (et préférences) culturelles, il compose à son tour un « musée imaginaire », intime et singulier, qui soit pour lui évocateur du sacré. Ce sacré qu’il porte en lui et qu’il a vocation non seulement à reconnaître mais aussi à susciter dans le monde où il lui est donné de vivre.

Tant il est vrai que « tout homme est un histoire sacrée. »

G&S

 

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