Ce que parler veut dire

Publié le par Garrigues et Sentiers

On ne fait pas suffisamment attention au vocabulaire qu'on utilise, en particulier dans les milieux politiques et médiatiques. Ainsi, après les résultats d'un premier tour d'élections, on entend régulièrement les candidats en ballottage requérir, pour le tour suivant, une "mobilisation" de leurs réserves de voix supposées. Ce langage guerrier oublie ce qu'il conviendrait de faire pour obtenir une vie politique véritablement démocratique : sûrement pas "mobiliser", terme qui suppose un embrigadement plus ou moins irréfléchi (on suit ceux qui savent, voire le chef charismatique). On n'est pas sûr qu'on forme ainsi de meilleurs citoyens, mais seulement qu'on convoque une force d'appoint pour obtenir un siège, sans qu'on nous dise pourquoi faire ? Et parfois sans un vrai programme réaliste.

Je préfèrerais que l'on parle de "responsabilisation " des citoyens. Et d'abord, qu'on leur donne vraiment les informations sincères nécessaires pour entretenir la capacité de participation au pouvoir du peuple, dont on parle tant sans savoir en quoi elle pourrait consister, ni comment la réaliser en vérité..

Un exemple de manque d'information : le débat sur la proportionnelle intégrale, Radio-trottoir nous assure que c'est la solution pour une juste représentation des "forces" politiques présentes dans le pays. A première vue, ce serait le mode de scrutin le plus démocratique puisqu'il donne à chaque voix le même poids et que chacun est censé se trouver effectivement représenté. En vérité, les plus "anciens" parmi nous se souviennent des errements des IIIe et IVe Républiques, où le mode de scrutin favorisait la multiplication des partis jusqu'à rendre ingérables des gouvernements successifs de courte durée, car nés d'associations occasionnelles et sans plans à long terme.

Toujours dans le vocabulaire politique, la presse attribue facilement un "fief " à M. ou Mme X. pour désigner sa circonscription électorale, comme si elle était son domaine propre, concédé par un suzerain (le parti?) pour services rendus et à rendre. Mais la Révolution a, en principe, supprimé les privilèges dans la nuit du 4 août 1789 et la féodalité du même coup. Est-ce un signe de bonne santé "républicaine" que de reconnaître à des hommes et femmes politiques une sorte d'abonnement viager à leur circonscription ? C'est ainsi que le personnel politique ne se renouvelle guère, ni les idées à trouver pour sortir le pays du marasme, ni ne se modifient les comportements conservateurs, le clientélisme etc. : un détenteur de fief n'a de compte à rendre qu'à son suzerain et surement pas à ses "sujets".

Si l'on veut emprunter des mots guerriers à la Révolution, quel sera l'homme d'État (?) qui proclamera la "levée en masse " contre le déclin et la misère ? Qui expliquera que les "impôts" sont une "contribution" (terme employé par la susdite Révolution) permettant au pays de vaincre ses difficultés ? Qui entraînera tous les corps de l'État, tous les "corps intermédiaires, peut-être même les syndicats de travailleurs et de patrons ? Pour solliciter le courage du peuple, il faut être courageux et savoir parler juste, franc et clair ; savoir ce que parler veut dire.

Marc Delîle

Publié dans Signes des temps

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Tout à fait d'accord Monsieur Delîle. Et que penser de cette dernière campagne des législatives avec des feuilles de programme électoraux ne mentionnant plus la "couleur" des candidats, mise à part la couleur "bleue marine". Il fallait un certains temps de recherche sur internet pour savoir de quel bord étaient les candidats, les programmes en eux-mêmes n'étant pas suffisamment explicites et détaillés pour pouvoir deviner l'appartenance de ces messieurs dames.
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