Les politiques face à « la malédiction de la finance »
Il y a un an, le magazine économique états-unien Forbes, publiait un article intitulé : la prochaine crise financière se prépare.On peut y lire ceci : « L’important taux d’endettement public et privé au niveau mondial est identifié comme un risque pouvant déclencher la prochaine crise financière. En effet, l’Institute of International Finance a publié une analyse qui estime la dette globale mondiale à 217 000 milliards de dollars, atteignant ainsi plus de 325% du PIB mondial. Dix ans auparavant celle-ci s’élevait à 276% du PIB » (1).
Ainsi, sur ce point précis, la situation s’est aggravée par rapport à la précédente crise financière. L‘emballement pour des produits financiers sophistiqués ne s’est pas modéré malgré les objurgations des politiques et les quelques mea culpa de dirigeants de banque.
Ce poids d’une gestion irresponsable de la finance sur l’économie vient d’être mis en lumière dans une récente étude publiée au Royaume-Uni qui montre qu’un excès de finance nuit à la croissance. « Plus le secteur financier est important, plus les flux financiers se dirigent majoritairement vers des activités peu productives. Au Royaume-Uni, seuls 3,5% des prêts vont vers l’industrie. L’immense majorité va vers l’immobilier et les actifs financiers, provoquant des bulles et une économie circulaire sans réelle valeur ajoutée. Les seuls bénéficiaires directs en sont les personnes qui travaillent dans le secteur financier lui-même : c’est un traditionnel phénomène de « rente »(2). Les auteurs de cette étude, économistes anglais et américains, estiment que l'excès du poids de la finance aurait fait perdre à ce pays, entre 1995 et 2015, 4500 milliards de livres soit l’équivalent de deux ans du produit intérieur brut (PIB).
On comprend alors les propos du journaliste économiste britannique Nicholas Shaxon. Ce spécialiste des paradis fiscaux vient de publier un ouvrage intitulé : La malédiction des finances : à quel point la finance mondiale nous rend tous plus pauvres (3). À l’adresse de ceux qui se réjouissent bruyamment de l’arrivée à Paris de nombreuses banques suite au Brexit, il déclare ceci : « Les politiciens qui se lèchent les babines à l’idée d’attirer de nombreux banquiers à Paris grâce au Brexit feraient bien de faire attention à ce qu’ils souhaitent. Économiquement, cela pourrait se retourner contre eux » (4).
Dans un article publié dans le Journal Le Figaro, Alain Touraine écrivait lors de la précédente crise financière ces mots qui restent d’une brûlante actualité : « Le système financier a créé des circuits coupés de la vie économique et celle-ci a subi les effets de cette crise, qui est devenue avant tout sociale par l’augmentation du chômage. Dans le cas présent, il s’est formé un deuxième système financier gigantesque qui n’a plus aucun rapport avec l’économie, qui n’a aucune fonction sociale sinon l’enrichissement de ceux qui le mènent. Et lorsque le financier se sépare de l’économique, l’ensemble du système social se casse, se fragmente. Résultat : nous sommes dans une situation qui ne peut être réglée, améliorée que si on recompose un système social. L’économie n’appartient plus à la société. Elle est devenue hors d’atteinte d’acteurs sociaux ou politiques. »(5)
C’est le problème majeur auquel doivent s’affronter aujourd’hui les responsables politiques.
Bernard Ginisty
- Maeva COURTOIS, Trader algorithmique et MichelRUIMY, Professeur à l’ESCP Europe : La prochaine crise financière se prépare…, www.forbes.fr, 19 octobre 2017.
- Eric ALBERT, La « malédiction de la finance » étouffe l’économie. Le poids excessif de la City a eu un impact négatif sur le PIB du Royaume –Uniin journal Le Monde du 6 octobre 2018, Supplément Economie & Entreprise, p. 3.
- Nicholas SHAXSON, The finance curse. How global Finance is making us all poorer,éd. The Bodley Head Ltd, 2018. Cet ouvrage n’est pas encore traduit en français. Cité par Eric ALBERT, op. cit.
- Nicholas SHAXSON in Eric Albert, op. cit.
- Alain TOURAINE : La crise et la double mort du social inLe Figaro du 1ermars 2010, p. 18.