La foi chrétienne ouvre à la fraternité universelle
Le récent discours du Président de la République lors de sa rencontre avec les représentants de l’Eglise catholique au Collège des Bernardins à Paris, le 9 avril dernier, a suscité un certain émoi chez les défenseurs de la laïcité. En effet en déclarant vouloir réparer « le lien entre l’Église et l’État qui s’est abîmé », on pouvait légitimement s’interroger pour savoir s’il s’agissait de remettre en cause la loi de séparation entre l’État et l’Église de 1905. La teneur globale du discours du Président montre que ce n’est pas son intention.
Cependant, on ne peut pas ne pas voir, dans certains pays européens de tradition chrétienne, le retour d’un nationalisme agressif qui s’appuie sur des hiérarchies d’Eglises chrétiennes. La plus grande victoire des fondamentalismes islamistes qui défient l’Europe serait d’acculer les chrétiens à se convertir à leur logiciel. La foi chrétienne ne saurait être liée au destin de son milieu géographique d’origine. Analysant les processus de déchristianisation en Europe, le théologien Joseph Moingt écrit : « La déchristianisation de l’Europe n’est pas venue du rejet d’une foi vaincue par les progrès de la raison et de la science, mais schématiquement, de la conjonction d’un fait social et d’un fait religieux, conjonction obscurcie par les interactions d’un fait sur l’autre. Il y a eu, d’une part, le fait que la société civile voulait se libérer des tutelles religieuses dans tous les domaines qui relevaient exclusivement à ses yeux du temporel et du rationnel ; et, d’autre part, le fait que trop de chrétiens n’adhéraient pas à la foi par attachement volontaire au Christ mais par conformité passive à la religiosité commune. Les uns se séparaient de l’Église parce qu’ils partageaient, souvent en invoquant l’Évangile, les aspirations nouvelles à la liberté de pensée et de parole que repoussait l'Eglise, et d’autres les rejoignaient, qui perdaient la foi quand elle cessait d’être la croyance majoritaire de la société » (1).
Le Christianisme est né de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ rejeté par les représentants de sa religion d’origine qu’il n’a jamais reniée. Il serait désolant qu’une « nouvelle évangélisation » de l’Europe se traduise par des tentatives de refaire des « chrétientés » nationales ! L’itinéraire chrétien vers Dieu consiste à quitter le « mon Dieu-bon Dieu » bricolé par nos peurs et nos fantasmes et le « notre Dieu » des fondamentalismes religieux ou nationalistes pour aller vers l’universalité du « Notre Père ». C’est ce chemin que, selon Maurice Bellet, nous enseignent les mystiques chrétiens : « Les mystiques les plus orthodoxes le savent (on conçoit que l’autorité religieuse s’en méfie !). S’approcher de Dieu, c’est le rendre lointain par rapport à tout ce que avons construit : le vrai temple est l’Ailleurs, le souffle que tu entends, mais dont tu ne sais ni d’où il vient ni où il va » (2).
Nous ne sommes pas définis par nos appartenances, mais par notre histoire qui ne cesse de nous déloger de nos certitudes. La foi n’est pas une pratique qui découle d’une théorie, elle est un va-et-vient permanent entre ce que nous vivons et la lecture que nous en faisons à la lumière de l’Evangile.
Bernard Ginisty
(1) Joseph MOINGT, L’Évangile sauvera l’Église, éditions Salvator 2013, p. 114.
(2) Maurice BELLET (1923-2018), Dieu, personne ne l’a jamais vu, éditions Albin Michel 2008, p. 84.