Qui veut la vie éternelle n’aime pas la vie

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’article de René Guyon, Le Nouveau Testament : pas une mémoire, mais un copié-collé ? a suscité ce commentaire d’Armand Vulliet que nous publions sous forme d’article afin que nos lecteurs puissent plus aisément en prendre connaissance.

G & S

 

 

Incroyant depuis toujours, je peux dire que j'étudie la question de l'histoire de Jésus depuis plus de quarante ans maintenant et je dois dire que, sur la question de l'existence ou de l'inexistence de Jésus, je reste toujours aussi indécis. Je suis bien évidemment certain que les Évangiles ne sont pas des livres d'histoire, mais de là à passer à l'inexistence pure et simple de Jésus... Je pense actuellement que cette question restera à jamais sans réponse et que se livrer à cette enquête équivaut à vouloir remplir le tonneau des Danaïdes. Le livre de Nanine Charbonnel, Jésus-Christ, sublime figure de papier, éd. Berg international, Paris, 2017, est remarquable (je pense que c'est le meilleur que j'ai lu soutenant cette thèse) et la question du midrash me semble n'en être plus une depuis longtemps. Mais précisément : si les textes de la Tanakh eux-mêmes sont déjà des midrashs, quid de l'existence elle-même des personnages de l'histoire biblique (Moïse, Samuel, David, Salomon, etc.) ?

 

Inutile de dire que je ne m'intéresse à la question qu'en me plaçant du point de vue de la connaissance. Peu me chaut que Jésus ait existé ou non. Je n'en sais rien, et je suspends donc mon jugement. Dieu ne me concerne en rien, ainsi que les affres des croyants qui doutent. Je suis même persuadé qu'en réalité Dieu ne concerne personne. Les croyants eux-mêmes ne croient en rien. Ils disent qu'ils croient, on les persuade et ils se persuadent qu'ils croient, mais ce sont des mots.

 

Je sais bien que tout ce que je pourrais dire pour vous aider ne servira à rien, mais je répéterai jusqu'à la fin de mes jours ce qui pour moi est une évidence : Dieu n'est rien. C'est un grain de poussière au revers de l'épaule qu'une simple chiquenaude fait disparaître. C'est aussi simple que ça. Seuls ceux qui n'ont pas vécu cette expérience s'imaginent que c'est aussi dur que de déplacer une montagne et que c'est douloureux. Au contraire, on ressent un sentiment de libération et d'immense bonheur. N'ayez crainte : la volonté de Dieu n'est pour rien dans vos difficultés récurrentes avec votre cerveau. La perte de la mémoire est une fatalité banale de l'humain qu'il doit regarder comme tout le reste sans angoisse. Je dis banale parce que les plaisirs et les souffrances de l'homme constituent le tout-venant de sa condition. (Mais il ne suffit pas que l'homme endure des maux naturellement : la croyance est là pour qu'il s'enfonce encore plus dans le malheur en se posant des questions qui n'existent pas. Il paraît pourtant que la foi soulage...)

 

Celui qui vous dit cela sans haine et sans crainte a soixante-six ans. Sa mémoire comme son corps ont pris du plomb dans l'aile eux aussi. Et alors ? J’attends la fin sans peur et sans espoir, en toute sérénité. Hormis les souffrances du corps, bien entendu : « Ce que nous disons craindre principalement en la mort, c’est la souffrance, son avant-coureuse coutumière » (Montaigne). Je n’ai jamais vécu mon incroyance comme un manque. Au contraire. Comme ce qui magnifie la vie, qui seul lui donne toute sa valeur. Qui veut la vie éternelle n’aime pas la vie.

 

Armand Vulliet

Publié dans Réflexions en chemin

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V
Monsieur Levy,<br /> Merci de votre réponse. Si vous ne l’avez déjà fait, je vous conseille de lire la notice « Option spirituelle » (p. 673-675) du Dictionnaire amoureux de la laïcité d’Henri Peña-Ruiz (Plon, 2014), qui traite la question d’un tout autre point de vue que le vôtre (« essayer de cerner la question du croire »). Peña-Ruiz se place du point de vue de la laïcité, c’est-à-dire d’un régime qui permette aux diverses convictions, qu’on les appelle options spirituelles ou pas, de coexister dans la paix civile.
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L
Merci de votre conseil. Je n'ai effectivement pas lu et je vais me reporter à ce dictionnaire. Sachant qu'indépendamment des questionnements que j'essaie d'explorer et d'approfondir autour de la question de la transcendance, je partage entièrement la définition de la laïcité à laquelle vous vous rapportez : " ... la laïcité, (...) un régime qui permet (...) aux diverses convictions, qu’on les appelle options spirituelles ou pas, de coexister dans la paix civile ". En spécifiant que cette paix civile est celle de la République dont le corpus des droits et garanties citoyennes est d'abord fondé sur la liberté de conscience. Du regard que nous pouvons porter sur la longue histoire qui nous précède, peut-il procéder une certitude plus forte celle qui a réuni, malgré toutes leurs divergences de vues par ailleurs, Clemenceau, Jaurès et Briand : l'exercice - l'exercice naturel et donc apaisé - de cette liberté de conscience implique que les institutions et les lois de la Républiques ne reconnaissent la tutelle d'aucun culte, i.e. que la laïcité soit la garante inentamable de leur conception et, respectivement, de leur fonctionnement et de leur application.
M
"Les croyants ne croient en rien". Quelle affirmation! <br /> Pour comprendre ce qu'on ne voit pas, ce qui n'est pas matériel, les hommes construisent des théories, ou des récits, des histoires, qu'ils corrigent au fil du temps (d'ailleurs pour ce qui est matériel la physique a exactement la même attitude). Ce que les chrétiens disent de Dieu est probablement très approximatif, et croyant, je suis persuadé que j'en rirai dans l'autre monde. Mais l'homme ne peut se passer d'images, de concepts, pour évoquer l'au-delà de lui-même. Cela ne signifie pas que ce soit une illusion mensongère, c'est une approche qui lui permet de se situer. Dieu est peut-être une illusion, mais parler de Dieu, c'est parler de la relation des hommes avec lui, c'est donc surtout parler des hommes. Que Dieu existe ou non, les interrogations des hommes sur leur existence, sur le mal et la souffrance, sur le bonheur et l'amour, restent. Et cela, ce ne sont pas des mots, ce n'est pas "rien". Les affres du doute? Je pense que tout homme doute, il n'y a pas besoin d'être croyant, je crains les croyants qui ne doutent pas. Nous doutons sur notre vie, sur les chemins que nous choisissons, sur nos croyances (qui sont nombreuses) qu'elles soient au sujet de Dieu ou d'un tout autre ordre, sur l'amour qu'on nous donne et celui que nous offrons. Et j'avoue ne pas comprendre l'affirmation, sans doute, que Dieu n'est rien. Elle me semble aussi problématique que celle, sans doute, de son existence. Je comprends mieux les agnostiques : "je ne sais pas, je ne peux pas décider".<br /> L'être de chaque homme est construit sur l'altérité, c'est l'autre qui me fonde. Seul, je suis une monade vide. Cette altérité, les croyants l'exhaussent dans une transcendance, certains incroyants parlent de la transcendance dans l'immanence. Mais de toutes façons il reste l'altérité. Dommage pour les croyants s'ils sont dans l'illusion quand ils l'exhaussent ainsi, mais ont-ils perdu leur temps si elle leur a permis, même par le moyen détourné d'une illusion, de construire une vie véritablement humaine, car cette altérité transcendante les renvoie vers leurs vis-à-vis qui sont bien réels, eux. Quand je rencontre un autre, je ne me demande pas s'il est croyant ou pas, mais si les chemins qu'il suit lui permettent de me reconnaître comme homme en relation avec lui. Et là, nous ne sommes pas dans l'illusion.<br /> Enfin je suis intéressé par l'existence de Jésus-Christ. Il est évident que les évangiles sont pétris de midrash, cela ne signifie pas, à mon avis, qu'ils ne soient pas fondés sur l'existence d'un homme, Jésus. Et si cela m'intéresse, c'est que son appel à la liberté et à l'amour, à la transformation de nos vies en le suivant informent ma propre vie. Je ne sais rien sur Dieu, sauf ce qu'il m'en dit, et cela m'intéresse. Sa mort a donné un poids particulier à ce qu'il a exprimé dans sa vie au point que ceux qui le suivaient ont eu conscience qu'il n'avait pas définitivement disparu après sa mort, ce qu'ils ont exprimé quelques années plus tard par le terme de résurrection. Son enseignement resterait s'il n'avait pas existé, mais j'avoue que cela me décevrait. Je préfère suivre un homme qu'un texte.<br /> Et j'aime, passionnément, la vie. Pourquoi ne pas vouloir qu'elle soit reprise hors du temps, c'est-à dire qu'elle débouche sur la vie éternelle?
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L
L'athéisme a bien le droit d'employer des mots durs, et pour tout dire de ne pas faire spécialement dans la nuance à l'égard de la foi. Et d'autant plus que du côté de ceux qui "croient en les forces de l'esprit", considération, esprit de dialogue, et encore moins la tolérance, n'ont été dispensés que très exceptionnellement au cours des millénaires à ceux qui n'y croyaient pas. Mais n'est-il pas temps - non par esprit de compromis, mais pour essayer de mieux cerner la question du croire - de tenir l'athéisme, dans l'intime de son positionnement intellectuel, comme une spiritualité à l'égale des autres ? Spiritualité inversée, si l'on veut, si on y voit la négation de ce qui fait l'objet des autres approches et attentes spirituelles. Mais dans la réponse apportée à l'interrogation portant sur ce qu'il y a lieu de croire, sur ce qu'il y a à croire, que cette réponse désigne une transcendance souveraine ou, comme dans son cas, le silence éternel de mondes nés sans âme et, face à nous, l'absence d'un supplément essentiel qui surplomberait et régirait le hasard et à la nécessité, la détermination de chacun d'entre nous est-elle; a-t-elle jamais été, fondamentalement,d'un autre ordre que spirituel ? La grandeur de l'athéisme procède d'abord de ce qu'il participe de ce mouvement de l'esprit - en l'espèce interrogatif - que recouvre l'indépassable reconnaissance formulée par le "tout ce qui monte, converge".
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S
Peut-être que ceux qui regarde la vie que l'on nous raconte sur Jésus peut les aider à comprendre comment faire pour être heureux. Ce qui n'est pas si mal, vous ne croyez pas?
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