Les chemins chrétiens vers la liberté
La liturgie chrétienne situe la fête de Pâques dans la suite de l’histoire biblique de l’Exode. En effet, l’événement pascal ouvre non pas un temps d’installation dans des certitudes définitives, mais un itinéraire vers cette « liberté à laquelle nous avons été appelés » (1).
L’errance du peuple d’Israël pendant quarante ans dans le désert n’a été viable, nous dit la Bible, que grâce à la « manne », un « pain du ciel » qui « pleuvait » chaque jour. La première fois que les fils d’Israël découvrirent ce phénomène « ils se dirent l’un à l’autre manne-hou (Qu’est-ce ?), car ils ne savaient pas ce que c’était » (2). Ils nommèrent alors cette nourriture par cette question ! Pour le rabbin et philosophe Marc-Alain Ouaknin, « pendant toute la traversée du désert, pendant quarante ans, les enfants d’Israël ont mangé du « qu’est-ce que c’est ? ». Expérience fondatrice où s’est forgé l’apprentissage de la liberté et de la parole. Être libre, c’est pouvoir garder de façon constante une distance par rapport au monde, ne pas être happé immédiatement dans la « toile d’araignée du sens » idéologiquement préfabriquée. Etre libre, c’est garder une interrogation devant le monde et être capable de voir en lui, à chaque fois, l'aube qui recommence » (3).
Pour l’apôtre Paul, la Résurrection du Christ ouvre à « l’exode » permettant de passer « du vieil homme à l’homme nouveau ». Dans son épître aux Colossiens, il invite à se libérer de la prétention totalisante des éléments constitutifs ce que Marc-Alain Ouaknin appelle « la toile d’araignée du sens idéologiquement préfabriquée » :
- la philosophie: « cette creuse duperie à l’enseigne de la tradition des hommes, des éléments du monde et non plus du Christ ».
- le pouvoir : « Il a dépouillé les Autorités et les Pouvoirs, il les a publiquement livrés en spectacle, il les a traînés dans le cortège triomphal de la Croix ».
- la dévotion : « Ne vous laissez pas frustrer de la victoire par des gens qui se complaisent dans une dévotion, dans un culte des anges, ils se plongent dans leurs visions et leur intelligence les gonfle de chimères ».
- la morale : « Pourquoi vous plier à des règles comme si votre vie dépendait encore du monde : ne prends pas, ne goûte pas, ne touche pas ; tout cela pour des choses qui se décomposent à l’usage (...) Voilà bien les commandements et les doctrines des hommes. Ils ont beau faire figure de sagesse, religion personnelle, dévotion, ascèse, ils sont déniés de toute valeur ».
- les possessions : « Faites donc mourir ce qui appartient à la terre : débauche, impureté, passions, désir mauvais et cette cupidité qui est une idolâtrie ».
- les identités : « Il n’y a plus Grec et Juif, circoncis et incirconcis, barbare, Scythe, esclave, homme libre, mais Christ : il est tout en tous » (4).
Paul définit ainsi la « liberté » comme l’accès à une hiérarchie des valeurs qui permet d’éviter les enfermements intellectuels, moraux ou institutionnels : « Par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres. Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (5).
Bernard Ginisty
- Epître aux Galates, 5, 13.
- Exode, 16, 15.
- Marc-Alain OUAKIN, Méditations érotiques. Essai sur Emmanuel Levinas, éd. Balland, 1992, p. 69-70.
- Epître aux Colossiens, 2, 8 à 3, 11.
- Epître aux Galates, 5, 13-14.