Le Mal : Dieu seul sait ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

Après le tsunami de 2004 : « Le Bouddha se fâche » affirme un moine bouddhiste thaïlandais... Et un imâm indonésien : « Allah est en colère »....

La religion, tentative pour donner sens à l'inacceptable ????

Peut-on encore dire que Dieu a vraiment le souci des humains puisqu'il les abandonne à la cruauté du monde, ou à leur folie ???

Comment penser l'effroyable décalage entre l'idée de Dieu communément répandue, et son silence devant Auschwitz, ou le tsunami, ou Haïti ?

Comment justifier Dieu quand on est confronté à l'injustifiable ?

 

 

Le péché originel, théorisé par saint Augustin, avait essayé de rendre compte du Mal...

Mais c'était déjà l'objet de la Genèse.

Les chapitres 2 et 3 de la Genèse nous présentent la condition humaine telle que nous la connaissons : l'homme est confronté au mal, sous la forme de la souffrance, dès sa naissance. On ne trouve en effet dans la Bible aucune trace d'un monde étranger à la souffrance. Aucun « paradis » dans le récit de la Genèse.

La première expérience humaine : celle du manque et de la solitude. (« Il n'est pas bon pour la créature terrestre d'être seule. »).  

La contingence n'est donc pas liée au péché.

Et la mort est présente dès cette origine. (« Si tu manges de cet arbre, tu mourras. ») Si l'être humain comprend de quoi il s'agit, c'est bien que l'expérience de la mort fait partie de sa condition.

 

La Genèse nous apprend que le mal est un mystère dont nous ne pouvons comprendre l'origine  : « Tu ne mangeras pas de l'arbre à connaître le bien et le mal «  (2,17).

C'est ce qu'on a appelé le péché originel : la prétention de connaître l'origine de ce mystère et de se poser par conséquent en juge absolu.

 L'humain est invité à accepter qu'il ne connaît pas la valeur ultime de ses actes et de ceux d'autrui.  

Il est donc appelé à se tenir dans un état de «non-savoir» inconfortable.

 

Autrefois, on disait communément que, quand le malheur s'abattait sur quelqu'un, c'était que, sans doute, il l'avait bien mérité.

Aujourd'hui, on dirait plus volontiers que c'est la preuve que Dieu n'existe pas.

Dans un cas comme l'autre, on s'efforce d'apprivoiser, de réduire, le drame. L'Évangile, au contraire, le radicalise : Dieu n'est que bonté, et ceux qui sont frappés de malheur ne sont pas plus pécheurs que les autres.

Alors pourquoi ?

On dira que Dieu nous laisse libres de nos choix, même de ceux qui nous nuisent, ou bien que, nécessairement, le monde terrestre est condamné à la finitude. Ces arguments, malgré leur pertinence, ne rejoignent pas les personnes au creux de leur existence. Et ne sont donc pas d'un grand secours.

 

Depuis Job, nous ne pouvons que nous reconnaître radicalement démunis devant un mal qui vient d'ailleurs, et prendre acte que le mal demeurera toujours un abîme qui ne cesse de buter sur le silence de Dieu.

 

Quant aux souffrances du Jésus de la Passion, juste parmi les justes, on a toujours su qu'on ne pouvait les expliquer en termes de punition ou de pédagogie. La seule « justification » qui s'est avérée possible était la Rédemption : il fallait en passer par là pour que soit sauvé le « genre humain ».

On a dit tant de choses en ce sens, quitte à tourner le dos au Dieu dont Jésus était venu dévoiler le vrai visage.

Et en vérité, une seule voie possible :

s'abandonner, comme l'homme de la croix, à l'humble certitude que « Dieu seul sait »  « Je sais que tu sais d'où vient ce mal et cela me suffit ».

 

Bien au-delà de nos petites conceptions, et argumentations, c'est bien au mystère infini de Dieu que nous sommes confrontés.

Face aux explications trop rassurantes de la théodicée ou de l'athéisme, s'élève le cri de la prière,

la révolte contre les forces du mal appelant à un combat sans fin,

le labeur de la compassion,

l'inattendu, toujours nouveau, pouvoir de pardonner,

et l'accueil d'une présence au cœur même des ténèbres.

 

« Le seul Dieu que nous pouvons supporter désormais, ce n'est pas le Dieu des hauteurs, c'est le Dieu qui est avec nous dans les ténèbres. » (M. Bellet)

 

« Certes, dit Dieu dans l'Ancien Testament, je ne les empêcherai pas de pleurer, je ne les dispenserai pas de la souffrance, la blessure demeurera la blessure, mais j'essuierai leurs larmes» (B. Feillet)

 

 

                                                                                 Christian Biseau

 

Publié dans Réflexions en chemin

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V
La citation de B. Feillet en conclusion ne conclut rien. L’humain aussi sait que la blessure reste la blessure et l’humain aussi essuie les larmes. Et c’est son honneur que d’essayer d’empêcher les pleurs, la souffrance et les blessures. À ma connaissance, d’ailleurs, Feillet ne fait pas de citation textuelle de l’AT. Il en résume le message tel qu’il le comprend. On lit certes dans Es 25,8: «Le Seigneur Yahvé essuiera les pleurs sur tous les visages» (c’est le seul passage que je connais), mais il m’étonnerait fort que Dieu ait affirmé mot pour mot qu’il n’empêchera pas les humains de pleurer, qu’il ne les dispensera pas de la souffrance et que la blessure restera la blessure. Là, c’est Feillet qui parle, car l’humain sait bien qu’il ne peut que soulager la souffrance et non pas l’empêcher. J’aimerais savoir si, dans le royaume, Dieu se comportera de même avec les élus. Connaîtront-ils eux aussi les larmes, la souffrance et les blessures?<br /> <br /> Armand Vulliet
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V
Je viens de me rendre compte que le titre de cet article est trompeur (en fait, il fonctionne comme une accroche journalistique). Quand on arrive à la fin, on lit une affirmation catégorique. Je ne vois pas là-dedans la moindre interrogation. Et en quoi la certitude que Dieu seul sait règle-t-il le problème ? L’humain aussi sait que, s’il commet certains actes, cela entraînera le mal. Répondre que Dieu n’est pas responsable du mal, sans donner le moindre argument, ne le règle pas non plus. Pour reprendre votre critique de l’athéisme, cette position n’est-elle pas facile, sinon cynique ? Vous ne répondez à rien et vous targuez, vous, de ne pas évacuer le problème comme les athées et les défenseurs d’une théodicée, dont évidemment, toujours sans donner le moindre argument, vous, vous ne faites pas partie. Pourquoi alors avoir écrit cet article ? Et dire qu’on évacue le problème en supprimant Dieu signifie, que vous en soyez conscient ou non, la vérité de votre croyance. Il ne vous viendrait pas à l’esprit d’écrire que c’est une lâcheté de vouloir supprimer le néant, parce que cela n’aurait aucun sens : on ne supprime pas le rien. C’est qu’il vous est inconcevable d’envisager que Dieu n’est rien. Clément Rosset, à propos de la croyance, citait une boutade de Marcel Duchamp : « il n’y pas de solution là où il n’y a pas de problème ». Pour qu’il y ait évacuation d’un problème, il faut qu’il y ait un problème. Le problème dont vous parlez n’existe que pour un monothéiste (j’ai entendu Thomas Römer dans un de ses cours au Collège de France dire que le problème du mal ne se posait que dans le cadre du monothéisme). La position d’un athée, me semble-t-il, n’est pas de résoudre un problème qui pour lui n’existe pas. Je me contente de combattre le mal dans la mesure de mes moyens (j’emploie le mot « mal » pour faire vite). L’injustice et la souffrance existent sans le moindre doute et je pense que la lutte contre cette injustice et cette souffrance suffit largement à occuper une vie humaine sans avoir à me préoccuper de concilier cette souffrance et cette injustice avec… rien !
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M
Il me semble que le texte ne s'occupe pas de faire un parallèle entre la théodicée et l'athéisme, vaste programme qui me semble n'avoir pas de sens. Il met en cause "les explications trop rassurantes" de la théodicée et son évocation de l'athéisme me semble être la critique de la facilité pour certains qui consiste à affirmer que le mal est la preuve de l'inexistence de Dieu et de s'en tenir là.<br /> Face à ces deux manières de botter en touche, non comparables bien sûr car issues de pensées bien différentes, l'auteur propose le "combat sans fin", la "compassion" et, pour les chrétiens, le cri de la prière.
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V
Vous ne faites que répéter l'article de Christian Biseau sans apporter d'élément nouveau. Et ne répondez pas plus que lui à ce que précisément je conteste. En quoi s'en tenir à la conclusion que Dieu n'existe pas vu l'existence du mal est-il « facile » ou « rassurant » et « botte en touche » (ô cet insupportable vocabulaire sportif qui a tout envahi !) ? J’ai cité Jean Rostand pour répondre à cet argument : . Et une fois de plus je suis obligé de répéter que les chrétiens écrivent comme si Conche n’avait pas écrit « Christianisme et mal absolu » (Raison présente 7, p. 73-90), qui n’a jamais selon moi été réfuté et répond par avance dans le détail à tout ce que j’ai lu et lis chez les chrétiens sur la question. (On trouve les réponses de deux chrétiens, Étienne Borne et François Heidsieck, à cet article, avec les réponses de Conche à ces réponses, dans Raison présente 9, p. 99-109 et Raison présente 10, p. 117-124.) Conche écrivit aussi : « J’ai parfois l’impression, lorsque je me trouve à discuter de choses graves avec des amis, d’être avec des humains qui ont en eux, dans leur être le plus intime (dans le lieu où se forme leur jugement), quelque chose de mort. Alors la discussion s’arrête, car ils s’en tiennent à une position d’où il est impossible de les faire bouger. Tantôt c’est comme si l’on portait vainement des coups de couteau à une méduse, tantôt comme si les arguments se brisaient sur un mur de béton. Dans Vie et destin, de Vassili Grossman, le détenu d’un camp de concentration allemand, Ikonnikov, dit ceci : “Le 15 septembre de l’année dernière, j’ai vu l’exécution de vingt mille Juifs, de femmes, d’enfants, de vieillards. Ce jour-là, j’ai compris que Dieu n’aurait pas permis une telle chose et il m’apparut évident que Dieu n’existait pas.” (trad. fr., Julliard/L’Âge d’Homme, 1983, p. 34). Ikonnikov est bouleversé : il ne peut plus penser après comme il pensait avant. Mais j’ai dit à Élie : “« Auschwitz », « Birkenau », « Sobibor », « Treblinka », songe à ce que signifient ces mots : dis-moi si cela est compatible avec l’idée d’un gouvernement des choses par un Dieu tout-puissant et bon.” Mais Élie en reste à sa foi dans le Dieu du catéchisme, le Dieu-Logos, le Dieu-Raison suprême : “Bien des choses ne s’expliquent pas, dit-il, il faut avoir confiance : toutes choses s’expliqueront un jour.” Élie pense après Auschwitz comme il pensait avant. Il reste immobile sur une position figée. Cette immobilité est non-vie, est mort. “Héraclite ôta, dit Aétius, de la totalité des choses le repos et la stabilité, car cet état est celui des morts” (I, 23, 7). Il y avait, à Auschwitz, “des trous profonds où l’on brûlait sur des bûchers directement, sans les avoir passés par les chambres à gaz, des enfants vivants jusqu’à l’âge de quatorze ans” (Pelagia Lewinska, Vingt mois à Auschwitz, Paris, Nagel, 1945, p. 177). Si le croyant en Dieu n’est pas ébranlé dans sa foi par ce spectacle, que lui dire ? Son âme est-elle encore tout à fait celle d’un vivant ? » (Noms. Journal étrange III, p. 293-294.)
V
Il faudrait arrêter de traiter les athées comme des lâches et l’athéisme comme une facilité. Jean Rostand écrivait (dans Carnets d’un biologiste, je crois) : « Trop facile d’accepter l’incompréhension ? On ne le dirait pas, à voir le peu d’esprits qui s’y tiennent. » Écrire sans état d’âme : « Dans un cas comme dans l’autre [la théodicée et l’athéisme], on s’efforce d’apprivoiser, de réduire, le drame [le mal] » serait comique si ce n’était pas affligeant. Mettre sur le même plan la théodicée et l’athéisme est effarant. Tout chrétien, qu’il le veuille ou pas, professe une théodicée. Vous vous contentez d’affirmer que vous rejetez l’un et l’autre, et en même temps que « Dieu seul sait ». Dieu détient donc l’explication et, que je sache, il est juste. Assener que, face aux explications rassurantes de l’athéisme, s’élève la révolte chrétienne contre les forces du mal est grotesque et semble écrit par quelqu’un qui ne vit pas sur notre planète. Et l’athéisme n’a pas pour rôle de rassurer ni d’effrayer. Marcel Conche constate le mal absolu et se contente d’en tirer les conséquences. Est-ce que cela l’empêche d’être sensible à la souffrance et de la combattre ? Jean Rostand écrivait aussi : « La science n’explique rien, j’en conviens, mais tout ce qu’on y ajoute ne vaut pas mieux que de se taire. Science ou silence. »
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