Johnny Hallyday, idole sacralisée?

Publié le par Garrigues et Sentiers

Peut-on expliquer ce qui vient de se passer pour les obsèques de Johnny Hallyday? Bien sûr nous avons constaté une construction médiatique, une pression phénoménale des radios et télévisions. Que cherchaient-ils? Probablement d'abord de l'audience, une reconnaissance dans une surenchère dont elles ne sont pas maîtres. Celui qui resterait sur le bord du chemin serait ringardisé, et cela se compte en espèces !

 

Cela ne suffit pas à expliquer le million de personnes dans la rue et les 10 millions devant leur téléviseur. Il s'agit bien d'un événement historique, même si ce mot est récusé par beaucoup. D'ordinaire un événement sera considéré historique à la vue de ses conséquences qui ont influé sur le monde ou sur la nation. Ce n'est pas le cas ici, mais il est historique par son caractère exceptionnel et par la foule qu'il a drainée, même si l'événement lui-même est assez vide.

 

On a assisté au culte d'une idole, sacralisée. Les qualités supposées de Johnny ne suffisent pas à expliquer cet engouement : "il était gentil, il aimait le peuple", etc. Fadaises, personne n'en sait rien, sauf ses relations. Et justement il n'avait pas de relations avec le peuple, sauf à travers ses spectacles. Il était une bête de scène remarquable, il a eu une carrière exceptionnelle, et dans un monde où les stars sont rois il avait la première place. De plus, avec sa longévité, toutes les générations ont été accompagnées par ses "tubes", cela crée de la nostalgie. Mais cela ne crée pas de véritable relation. Il vivait dans un monde d'ultra-riches, les questions du peuple ne semblaient pas le concerner. Résidence à Saint Barth parmi d'autres sur la côte méditerranéenne, en Suisse, etc. Exilé fiscal en Suisse, ayant même monté un système via des paradis fiscaux pour ne rien payer en France, il pouvait difficilement se dire intéressé par les problèmes du peuple ! Icône dont l'exemple était assez discutable : alcool et drogue ! On dit aux sportifs qu'ils doivent donner l'exemple, pour lui cela ne le concernait pas.

 

Alors il faut bien revenir à l'idole sacralisée. A partir de là toutes ces considérations n'existent plus, elles n'ont plus lieu d'être. Le peuple a montré son besoin d'idole. Dieu est mort, les religions renaissent autour des idoles. Lors de ses concerts au stade de France, on pouvait se demander quelle était cette nouvelle religion. "Religion" vient de "relier" et de "rassembler". Une religion est faite de rites, de cérémonies qui donnent sens à la vie des pratiquants qui communient pendant la célébration. Bien sûr les religions doivent avoir leur dieu, ou idole, qui crée la communion, leurs grands-prêtres qui l'organisent. Quant au contenu de la foi portée, il peut être ténu, voire vide, l'adhésion à l'idole peut suffire. Dans les spectacles de Johnny on trouvait l'idole, les grands-prêtres du monde people et médiatique (toutes ces pleureuses du premier rang pendant les obsèques). Le contenu était vide, le rite existait sans être bien fixé. La cérémonie ne donnait aucun sens à la vie. Ce n'était donc pas une véritable religion, mais un ersatz qui avait son importance. Pendant le spectacle, la foule communiait et oubliait tous les ennuis de la vie, ce n'est pas rien ! Religion, opium du peuple, cela n'a jamais été aussi vrai.

 

Les obsèques ont été ainsi la dernière cérémonie "présidée" par l'idole. Cette foule s'est reconnue en Johnny, malgré tout ce qu'elle savait sur lui mais en l'oubliant. Elle a communié et s'est reconnue unie grâce à Johnny. C'était une cérémonie religieuse laïque, même si ces nouvelles religions ont peu de rites et ne donnent pas de sens. On ne cherche plus de sens, on vit l'instant en occultant la vérité et le poids de la vie quotidienne. Et les grands-prêtres, qui eux aussi sont très éloignés du peuple, ont magistralement organisé la célébration. L'idole leur permettait de renouer  avec le peuple, ils se voulaient porteurs des sentiments du peuple, ils veulent surtout que le peuple les reconnaisse. Et bien que ce ne soient pas des obsèques nationales (on n'a pas osé), le Président s'est invité pour ramasser cette unanimité et se présenter comme le porteur du peuple de France. Il n'allait pas laisser passer une telle occasion !

Johnny Hallyday, idole sacralisée?

Parlant devant l'église, mais en lui tournant le dos, il marquait la frontière entre la célébration de l'idole et celle qui allait suivre. Il s'est montré comme le grand-prêtre qui porte le peuple, qui adhère à ses sentiments, qui parle en son nom. Malheureusement ses mots étaient étrangement creux, car cette religion n'avait aucun contenu, mais l'important n'était pas là. Le discours valait par son rythme, ses silences, ses mimiques, et se terminait par des applaudissements fort judicieusement réclamés qui confondaient ainsi l'idole et l'orateur. Chapeau l'artiste ! mais quelle tristesse !

 

Puis on s'est retourné et entré dans l'église où cette fois devait se dérouler une cérémonie d'une autre religion. Mais les places semblaient réservées aux "people", aux thuriféraires. Il est tout-à-fait légitime que les amis (qui étaient tous des "people") soient présents, mais les autres ? Les thuriféraires du culte de l'idole ne pouvaient laisser la place, ils devaient s'approprier tout le culte, il n'y a pas de place pour la concurrence ! La frontière mise par l'emplacement du président pendant son discours était abolie, sont rentrés les prêtres du culte précédent. Et dans l'église, le refus du président de bénir le corps signifiait qu'il était là comme président, porteur du peuple, et donc tenu à la laïcité alors qu'il se trouvait dans un édifice religieux et qu'il ne s'agissait pas d'obsèques nationales. Ce refus signifiait qu'il se trouvait encore dans la cérémonie laïque dont il était le porteur (1).

 

Heureusement, au cours de ce culte chrétien, le responsable de cette phase a sauvé l'ensemble par son homélie. S'adressant à la famille, aux amis – ont-ils la foi ? peu importe – il a donné un sens à la vie de Johnny en témoignant de la foi en un amour qui transcende tous nos amours, qui dépasse toutes nos turpitudes et qui appelle l'espérance (2). On pouvait l'entendre sans avoir la foi, les chrétiens pouvaient l'entendre à leur niveau. Il a été suivi par une prière universelle lue par l'actrice Carole Bouquet qui a été de la même veine et qui s'est déroulée dans un silence (ponctué par de la musique bien choisie entre les invocations) qui exprimait la communion de tous à ce qui se passait. Cette religion, malgré ses rites surannés qu'il serait temps de décrasser pour qu'ils parlent à ceux qui les vivent, a alors porté un sens, elle n'était pas l'opium du peuple.

 

                                                                                 Marc Durand

 

1 - Evidemment s'il avait béni, cela lui aurait été fortement reproché, il a eu raison d'éviter. Mais cela montre qu'on était encore dans le culte qui avait précédé... cela pose problème.

 

2 - Par exemple ce passage : "Que sont, pourtant, nos vies sans l’Amour ? Non pas l’amour éphémère d’une passion aussi intense que fugace, non pas l’amour égoïste et narcissique, mais l’Amour véritable qui nous fait reconnaître dans l’autre un frère à aimer, l’amour exigeant qui nous invite à aimer comme Jésus lui-même a aimé. Lequel d’entre nous ne mesure l’infini vide que procurent, au bout du compte, les objets de ce monde pour lesquels nous déployons pourtant tant d’efforts et d’énergie ? Qui n’a jamais ressenti, enfant, la déception devant le jouet tant espéré qui, sitôt obtenu, devient moins séduisant, moins excitant ? Rien ne peut combler le cœur de l’homme sinon l’Amour. C’est cet Amour qui nous rend capables de sortir de nous-mêmes, de croire que nous valons plus que nous n’osons l’envisager, de comprendre que nous sommes appelés à l’immortalité."

Publié dans Signes des temps

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A
a la retraite maintenant je me suis occupe d'un papi tres croyant un jour il me dit tu peut me lie l evangile du jour et c'etait l ecclesiaste,et bien nous tous lisons cela cela resume la vie d'un homme dans tout ce qu il y a de futile,ce monsieur avait 99ans et oui ,et malicieusement il me dit rendons grace a dieu,et qu est ce que tu dit allez dans la paix du christ................
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L
Un immense remerciement pour cet article qui "purge" de toutes leurs approximations, ou de leurs non sens, la somme incommensurable des hommages rendus à Johnny Hallyday et celle des commentaires attachés à sa disparition (dans l'intime des afflictions les plus vives, il s'est agi, me semble-t-il, davantage du ressenti de la disparition que de l'image de la mort du chanteur). Et "en même temps", Johnny qui disparaît en personnage et en représentation d'idole, n'est-ce pas la fin d'une vie qui consacre celle-ci en destin ? Au moins dans la mesure où nous revient en mémoire une chanson, et le sacre qu'elle a accompli, du temps du début de sa carrière : 'Je suis l'idole des jeunes". Au delà de cette continuité dans un sacre renouvelé de génération en génération, et renouvelé en les ajoutant les unes aux autres, il faut en rester à ce qui importe en fin de compte et fait sens par dessus tout le bruit - orchestré ou spontané - qui a entouré cette fin de vie ; à ce qui tient en ceci qui conclut l'analyse de Marc Durand : "... On pouvait l'entendre sans avoir la foi, les chrétiens pouvaient l'entendre à leur niveau. Il a été suivi par une prière universelle lue par l'actrice Carole Bouquet qui a été de la même veine et qui s'est déroulée dans un silence (ponctué par de la musique bien choisie entre les invocations) qui exprimait la communion de tous à ce qui se passait. Cette religion, malgré ses rites surannés qu'il serait temps de décrasser pour qu'ils parlent à ceux qui les vivent, a alors porté un sens, elle n'était pas l'opium du peuple".
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L
Excellente analyse de Marc Durand. Je rajouterai au-delà de la récupération politique et médiatique, la récupération religieuse telle qu'a pu l'exprimer Isabelle de Gaulmyn, pas très inspirée cette-fois ci : "La France reste un pays catholique. Ce que la célébration de ce matin, pour les funérailles du chanteur Johnny Hallyday, vient une nouvelle fois de montrer". Le catholicisme ne saurait se réduire au culte des morts même si à l'occasion d'un décès l'Eglise doit se montrer accueillante et tolérante vis à vis des degrés de foi des participants. Ce catholicisme triomphaliste et récupérateur est complètement dépassé et générateur de vices qu'Isabelle de Gaulmyn a su par ailleurs dénoncer. L'homélie du prêtre qui présidait la célébration religieuse fut effectivement exemplaire dans la concision et la sobriété.
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